– Et moi, je m'amuse joliment, va, mon fils, répliqua Chicot se dégageant de son capuchon et fendant la foule des moines, qui s'écartèrent avec un hurlement d'effroi.
À ce moment, le duc de Guise, qui s'était fait apporter une lampe, lisait au bas de l'acte la signature encore fraîche obtenue avec tant de peine:
CHICOT Ier
– Moi, Chicot Ier! s'écria-t-il; mille damnations!
– Allons, dit le cardinal, nous sommes perdus; fuyons.
– Ah! bah! fit Chicot en distribuant à Gorenflot, presque évanoui, des coups de la corde qu'il portait à sa ceinture; ah! bah!
XXX Les intérêts et le capital.
À mesure que le roi avait parlé, à mesure que les conjurés l'avaient reconnu, ils étaient passés de la stupeur à l'épouvante.
L'abdication, signée Chicot Ier, avait changé l'épouvante en rage.
Chicot rejeta son froc sur ses épaules, croisa les bras, et, tandis que Gorenflot fuyait à toutes jambes, il soutint, immobile et souriant, le premier choc.
Ce fut un terrible moment à passer. Les gentilshommes, furieux, s'avancèrent sur le Gascon, bien déterminés à se venger de la cruelle mystification dont ils étaient victimes.
Mais cet homme sans armes, la poitrine couverte de ses deux bras seulement, ce visage au masque railleur, qui semblait défier tant de force de s'attaquer à tant de faiblesse, les arrêta plus encore peut-être que les remontrances du cardinal, lequel leur faisait observer que la mort de Chicot ne servirait à rien, mais, tout au contraire, serait vengée terriblement par le roi, de complicité avec son fou dans cette scène de terrible bouffonnerie.
Il en résulta que les dagues et les rapières s'abaissèrent devant Chicot, qui, soit dévouement, – et il en était capable, – soit pénétration de leur pensée, continua de leur rire au nez.
Cependant les menaces du roi devenaient plus pressantes, et les coups de hache de Crillon plus pressés. Il était évident que la porte ne pouvait résister longtemps à une pareille attaque, qu'on n'essayait pas même de repousser.
Aussi, après un moment de délibération, le duc de Guise donna-t-il l'ordre de la retraite.
Cet ordre fit sourire Chicot.
Pendant les nuits de retraite avec Gorenflot, il avait examiné le souterrain; il avait reconnu la porte de sortie, et il avait dénoncé cette porte au roi, qui y avait placé Tocquenot, lieutenant des gardes suisses.
Il était donc évident que les ligueurs, les uns après les autres, allaient se jeter dans la gueule du loup.
Le cardinal s'éclipsa le premier, suivi d'une vingtaine de gentilshommes. Alors Chicot vit passer le duc avec un pareil nombre à peu près de moines; puis Mayenne, à qui sa difficulté de courir, à cause de son énorme ventre et de son épaisse encolure, avait tout naturellement fait confier le soin de la retraite.
Quand M. de Mayenne passa le dernier devant la cellule de Gorenflot et que Chicot le vit se traîner, alourdi par sa masse, Chicot ne souriait plus, il se tenait les côtes de rire.
Dix minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles Chicot prêta l'oreille, croyant toujours entendre le bruit des ligueurs refoulés dans le souterrain; mais, à son grand étonnement, le bruit, au lieu de revenir à lui, continuait de s'éloigner.
Tout à coup une pensée vint au Gascon, qui changea ses éclats de rire en grincements de dents. Le temps s'écoulait, les ligueurs ne revenaient pas; les ligueurs s'étaient-ils aperçus que la porte était gardée, et avaient-ils découvert une autre sortie?
Chicot allait s'élancer hors de la cellule, quand, tout à coup, la porte en fut obstruée par une masse informe qui se vautra à ses pieds en s'arrachant des poignées de cheveux tout autour de la tête.
– Ah! misérable que je suis! s'écriait le moine. Oh! mon bon seigneur Chicot, pardonnez-moi! pardonnez-moi!
Comment Gorenflot, qui était parti le premier, revenait-il seul quand déjà il eût dû être bien loin?
Voilà la question qui se présenta tout naturellement à la pensée de Chicot.
– Oh! mon bon monsieur Chicot, cher seigneur, à moi! continuait de hurler Gorenflot; pardonnez à votre indigne ami, qui se repent et fait amende honorable à vos genoux.
– Mais, demanda Chicot, comment ne t'es-tu pas enfui avec les autres, drôle?
– Parce que je n'ai pas pu passer par où passent les autres, mon bon seigneur; parce que le Seigneur, dans sa colère, m'a frappé d'obésité. Oh! malheureux ventre! oh! misérable bedaine! criait le moine en frappant de ses deux poings la partie qu'il apostrophait. Ah! que ne suis-je mince comme vous, monsieur Chicot! Que c'est beau et surtout que c'est heureux d'être mince!
Chicot ne comprenait absolument rien aux lamentations du moine.
– Mais les autres passent donc quelque part? s'écria Chicot d'une voix de tonnerre; les autres s'enfuient donc?
– Pardieu! dit le moine, que voulez-vous qu'ils fassent? qu'ils attendent la corde? Oh! malheureux ventre!
– Silence! cria Chicot, et répondez-moi.
Gorenflot se redressa sur ses deux genoux.
– Interrogez, monsieur Chicot, répondit-il, vous en avez bien certainement le droit.
– Comment se sauvent les autres?
– À toutes jambes.
– Je comprends… mais par où?
– Par le soupirail.
– Mordieu! par quel soupirail?
– Par le soupirail qui donne dans le caveau du cimetière.
– Est-ce le chemin que tu appelles le souterrain? réponds vite.
– Non, cher monsieur Chicot. La porte du souterrain était gardée extérieurement. Le grand cardinal de Guise, au moment de l'ouvrir, a entendu un Suisse qui disait: Mich durstet, ce qui veut dire, à ce qu'il paraît: J'ai soif.
– Ventre de biche! s'écria Chicot, je sais ce que cela veut dire; de sorte que les fuyards ont pris un autre chemin?
– Oui, cher monsieur Chicot; ils se sauvent par le caveau du cimetière.
– Qui donne?…
– D'un côté, dans la crypte, de l'autre, sous la porte Saint-Jacques.
– Tu mens!
– Moi, cher seigneur!
– S'ils s'étaient sauvés par le caveau donnant dans la crypte, je les eusse vus repasser devant ta cellule.
– Voilà justement, cher monsieur Chicot; ils ont pensé qu'ils n'auraient pas le temps de faire ce grand détour, et ils sont passés par le soupirail.