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La tactique des assassins changea en voyant tomber deux hommes et se retirer le troisième: ils renoncèrent à faire usage de l'épée, les uns tombèrent sur lui à coups de crosse de mousquet, les autres tirèrent sur lui leurs pistolets, dont ils ne s'étaient pas encore servis et dont il eut l'adresse d'éviter les balles, soit en se jetant de côté, soit en se baissant. Dans cette heure suprême, tout son être se multipliait, car, non seulement il voyait, entendait et agissait, mais encore il devinait presque la plus subite et la plus secrète pensée de ses ennemis; Bussy enfin était dans un de ces moments où la créature atteint l'apogée de la perfection; il était moins qu'un dieu, parce qu'il était mortel, mais il était certes plus qu'un homme.

Alors il pensa que tuer Monsoreau ce devait mettre fin au combat: il le chercha donc des yeux parmi ses assassins; mais celui-ci, aussi calme que Bussy était animé, chargeait les pistolets de ses gens, ou, les prenant tout chargés de leurs mains, tirait tout en se tenant masqué derrière ses spadassin.

Mais c'était chose facile pour Bussy que de faire une trouée; il se jeta au milieu des sbires, qui s'écartèrent, et se trouva face à face avec Monsoreau.

En ce moment, celui-ci, qui tenait un pistolet tout armé, ajusta Bussy et fit feu.

La balle rencontra la lame de l'épée, et la brisa à six pouces au-dessous de la poignée,

– Désarmé! cria Monsoreau, désarmé!

Bussy fit un pas de retraite, et, en reculant, ramassa sa lame brisée.

En une seconde, elle fut soudée à son poignet avec son mouchoir.

Et la bataille recommença, présentant ce spectacle prodigieux d'un homme presque sans armes, mais aussi presque sans blessures, épouvantant six hommes bien armés et se faisant un rempart de dix cadavres.

La lutte recommença et redevint plus terrible que jamais; tandis que les gens de Monsoreau se ruaient sur Bussy, Monsoreau, qui avait deviné que le jeune homme cherchait une arme par terre, tirait à lui toutes celles qui pouvaient être à sa portée.

Bussy était entouré; le tronçon de sa lame, ébréché, tordu, émoussé, vacillait dans sa main; la fatigue commençait à engourdir son bras; il regardait autour de lui, quand un des cadavres, ranimé, se relève sur ses genoux, lui met aux mains une longue et forte rapière.

Ce cadavre, c'était Remy, dont le dernier effort était un dévouement.

Bussy poussa un cri de joie, et bondit en arrière, afin de dégager sa main de son mouchoir et de se débarrasser du tronçon devenu inutile.

Pendant ce temps, Monsoreau s'approcha de Remy et lui déchargea, à bout portant, son pistolet dans la tête.

Remy tomba le front fracassé, et, cette fois, pour ne plus se relever.

Bussy jeta un cri, ou plutôt poussa un rugissement.

Les forces lui étaient revenues avec les moyens de défense; il fit siffler son épée en cercle, abattit un poignet à droite et ouvrit une joue à gauche.

La porte se trouvait dégagée par ce double coup.

Agile et nerveux, il s'élança contre elle et essaya de l'enfoncer avec une secousse qui ébranla le mur. Mais les verrous lui résistèrent.

Épuisé de l'effort, Bussy laissa retomber son bras droit, tandis que, du gauche, il essayait de tirer les verrous derrière lui, tout en faisant face à ses adversaires.

Pendant cette seconde, il reçut un coup de feu qui lui perça la cuisse et deux coups d'épée lui entamèrent les flancs.

Mais il avait tiré les verrous et tourné la clef.

Hurlant et sublime de fureur, il foudroya d'un revers le plus acharné des bandits, et, se fendant sur Monsoreau, il le toucha à la poitrine.

Le grand veneur vociféra une malédiction.

– Ah! dit Bussy en tirant la porte, je commence à croire que j'échapperai.

Les quatre hommes jetèrent leurs armes et s'accrochèrent à Bussy: ils ne pouvaient l'atteindre avec le fer, tant sa merveilleuse adresse le faisait invulnérable; ils tentèrent de l'étouffer.

Mais à coups de pommeau d'épée, mais à coups de taille, Bussy les assommait, les hachait sans relâche. Monsoreau s'approcha deux fois du jeune homme et fut touché deux fois encore.

Mais trois hommes s'attachèrent à la poignée de son épée et la lui arrachèrent des mains.

Bussy ramassa un trépied de bois sculpté qui servait de tabouret, frappa trois coups, abattit deux hommes; mais le trépied se brisa sur l'épaule du dernier, qui resta debout.

Celui-là lui enfonça sa dague dans la poitrine.

Bussy le saisit au poignet, arracha la dague, et, la retournant contre son adversaire, il le força de se poignarder lui-même.

Le dernier sauta par la fenêtre.

Bussy fit deux pas pour le poursuivre; mais Monsoreau, étendu parmi les cadavres, se releva à son tour et lui ouvrit le jarret d'un coup de couteau.

Le jeune homme poussa un cri, chercha des yeux une épée, ramassa la première venue, et la plongea si vigoureusement dans la poitrine du grand veneur, qu'il le cloua au parquet.

– Ah! s'écria Bussy, je ne sais pas si je mourrai; mais, du moins, je t'aurai vu mourir!

Monsoreau voulut répondre; mais ce fut son dernier soupir qui passa par sa bouche entr'ouverte.

Bussy alors se traîna vers le corridor, il perdait tout son sang par sa blessure de la cuisse et surtout par celle du jarret.

Il jeta un dernier regard derrière lui.

La lune venait de sortir brillante d'un nuage, sa lumière entrait dans cette chambre inondée de sang; elle vint se mirer aux vitres et illuminer les murailles hachées par les coups d'épées, trouées par les balles, effleurant au passage les pâles visages des morts, qui, pour la plupart, avaient conservé en expirant le regard féroce et menaçant de l'assassin.

Bussy, à la vue de ce champ de bataille peuplé par lui, tout blessé, tout mourant qu'il était, se sentit pris d'un orgueil sublime.

Comme il l'avait dit, il avait fait ce qu'aucun homme n'aurait pu faire.

Il lui restait maintenant à fuir, à se sauver; mais il pouvait fuir, car il fuyait devant les morts.

Mais tout n'était pas fini pour le malheureux jeune homme.

En arrivant sur l'escalier, il vit reluire des armes dans la cour; un coup de feu partit: la balle lui traversa l'épaule.

La cour était gardée.

Alors il songea à cette petite fenêtre par laquelle Diane lui promettait de regarder le combat du lendemain, et, aussi rapidement qu'il put, il se traîna de ce côté.

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