Celui-là avait le visage couvert d'un masque, et tenait dans la main gauche un pistolet, de l'autre une épée nue.
Bussy demeura un instant immobile et glacé par le cri épouvantable que poussa Diane en s'élançant à son cou.
L'homme au masque fit un signe, et ses trois compagnons avancèrent d'un pas; un de ces trois hommes était armé d'une arquebuse.
Bussy, d'un même mouvement, écarta Diane avec la main gauche, tandis que de la droite il tirait son épée.
Puis, se repliant sur lui-même, il l'abaissa lentement et sans perdre de vue ses adversaires.
– Allez, allez, mes braves, dit une voix sépulcrale qui sortit de dessous le masque de velours, il est à moitié mort, la peur l'a tué.
– Tu te trompes, dit Bussy, je n'ai jamais peur!
Diane fit un mouvement pour se rapprocher de lui.
– Rangez-vous, Diane! dit-il avec fermeté.
Mais Diane, au lieu d'obéir, se jeta une seconde fois à son cou.
– Vous allez me faire tuer, madame! dit-il.
Diane s'éloigna, le démasquant entièrement. Elle comprenait qu'elle ne pouvait venir en aide à son amant que d'une seule manière: c'était en obéissant passivement.
– Ah! ah! dit la voix sombre, c'est bien M. de Bussy; je ne le voulais pas croire, niais que je suis! Vraiment, quel ami, quel bon et excellent ami!
Bussy se taisait, tout en mordant ses lèvres, et en examinant tout autour de lui quels seraient ses moyens de défense quand il faudrait en venir aux mains.
– Il apprend, continua la voix avec une intonation railleuse que rendait encore plus terrible sa vibration profonde et sombre, il apprend que le grand veneur est absent, qu'il a laissé sa femme seule, que cette femme peut avoir peur; et il vient lui tenir compagnie; et quand cela? la veille d'un duel. Je le répète, quel bon et excellent ami que le seigneur de Bussy!
– Ah! c'est vous, monsieur de Monsoreau! dit Bussy. Bon! jetez votre masque. Maintenant je sais à qui j'ai affaire.
– Ainsi ferai-je, répliqua le grand veneur.
Et il jeta loin de lui le loup de velours noir.
Diane poussa un faible cri. La pâleur du comte était celle d'un cadavre, tandis que son sourire était celui d'un damné.
– Çà, finissons, monsieur! dit Bussy; je n'aime pas les façons bruyantes, et c'était bon pour les héros d'Homère, qui étaient des demi-dieux, de parler avant de se battre; moi, je suis un homme, seulement je suis un homme qui n'a pas peur, attaquez-moi ou laissez-moi passer.
Monsoreau répondit par un rire sourd et strident qui fit tressaillir Diane, mais qui provoqua chez Bussy la plus bouillante colère.
– Passage, voyons! répéta le jeune homme, dont le sang, qui un instant avait reflué vers son cœur, lui montait aux tempes.
– Oh! oh! fit Monsoreau, passage; comment dites-vous cela, monsieur de Bussy?
– Alors, croisez donc le fer, et finissons-en! dit le jeune homme; j'ai besoin de rentrer chez moi, et je demeure loin.
– Vous étiez venu pour coucher ici, monsieur, dit le grand veneur, et vous y coucherez.
Pendant ce temps, la tête de deux autres hommes apparaissait à travers les barres du balcon, et ces deux hommes, enjambant la balustrade, vinrent se placer près de leurs camarades.
– Quatre et deux font six, dit Bussy; où sont les autres?
– Ils sont à la porte et attendent, dit le grand veneur.
Diane tomba sur ses genoux, et, quelque effort qu'elle fit, Bussy entendit ses sanglots.
Il jeta un coup d'œil rapide sur elle, puis ramenant son regard vers le comte:
– Mon cher monsieur, dit-il après avoir réfléchi une seconde, vous savez que je suis un homme d'honneur.
– Oui, dit Monsoreau, vous êtes un homme d'honneur, comme madame est une femme chaste.
– Bien, monsieur, répondit Bussy en faisant un léger mouvement de tête de haut en bas; c'est vif, mais c'est mérité, et tout cela se payera ensemble. Seulement, comme j'ai demain partie liée avec quatre gentilshommes que vous connaissez, et qu'ils ont la priorité sur vous, je réclame la grâce de me retirer ce soir, en vous engageant ma parole de me retrouver où et quand vous voudrez.
Monsoreau haussa les épaules.
– Écoutez, dit Bussy, je jure Dieu, monsieur, que, lorsque j'aurai satisfait MM. de Schomberg, d'Épernon, Quélus et Maugiron, je serai à vous, tout à vous et rien qu'à vous. S'ils me tuent, oh bien, vous serez payé par leurs mains, voilà tout; si, au contraire, je me trouve en fonds pour vous payer moi-même…
Monsoreau se retourna vers ses gens.
– Allons! leur dit-il, sus, mes braves!
– Ah! dit Bussy, je me trompais, ce n'est plus un duel, c'est un assassinat.
– Parbleu! fit Monsoreau.
– Oui, je le vois: nous nous étions trompés tous deux l'un à l'égard de l'autre; mais, songez-y, monsieur, le duc d'Anjou prendra mal la chose.
– C'est lui qui m'envoie, dit Monsoreau.
Bussy frissonna, Diane leva les mains au ciel avec un gémissement.
– En ce cas, dit le jeune homme, j'en appelle à Bussy tout seul. Tenez-vous bien, mes braves!
Et, d'un tour de main, il renversa le prie-Dieu, attira à lui une table, et jeta sur le tout une chaise; de sorte qu'il avait, en une seconde, improvisé comme un rempart entre lui et ses ennemis.
Ce mouvement avait été si rapide, que la balle partie de l'arquebuse ne frappa que le prie-Dieu, dans l'épaisseur duquel elle se logea en s'amortissant; pendant ce temps, Bussy abattait une magnifique crédence du temps de François 1er, et l'ajoutait à son retranchement.
Diane se trouva cachée par ce dernier meuble; elle comprenait qu'elle ne pouvait aider Bussy que de ses prières, et elle priait.
Bussy jeta un coup d'œil sur elle, puis sur les assaillants, puis sur son rempart improvisé.
– Allez maintenant, dit-il; mais prenez garde, mon épée pique.
Les braves, poussés par Monsoreau, firent un mouvement vers le sanglier qui les attendait, replié sur lui-même et les yeux ardents; l'un d'eux allongea même la main vers le prie-Dieu pour l'attirer à lui; mais, avant que sa main eût touché le meuble protecteur, l'épée de Bussy, passant par une meurtrière, avait pris le bras dans toute sa longueur, et l'avait percé depuis la saignée jusqu'à l'épaule.
L'homme poussa un cri, et se recula jusqu'à la fenêtre.