– Voyons ce pouls, dit-il, je parie que nous avons la fièvre.
Cinq secondes après, Bussy était à ses côtés.
Les deux jeunes gens n'avaient plus besoin de se parler pour s'entendre; ils restèrent pendant quelques instants suavement embrassés.
– Tu vois, dit Bussy rompant le premier le silence, tu pars et je te suis.
– Oh! que mes jours seront beaux, Bussy, que mes nuits seront douces, si je te sais toujours ainsi près de moi!
– Mais le jour, il nous verra.
– Non, tu nous suivras de loin, et c'est moi seulement qui te verrai, mon Louis. Au détour des routes, au sommet des monticules, la plume de ton feutre, la broderie de ton manteau, ton mouchoir flottant; tout me parlera en ton nom, tout me dira que tu m'aimes. Qu'au moment où le jour baisse, où le brouillard bleu descend dans la plaine, je voie ton doux fantôme s'incliner en m'envoyant le baiser du soir, et je serai heureuse, bien heureuse!
– Parle, parle toujours, ma Diane bien-aimée, tu ne peux savoir toi-même tout ce qu'il y a d'harmonie dans ta douce voix.
– Et quand nous marcherons la nuit, et cela arrivera souvent, car Remy lui a dit que la fraîcheur du soir était bonne pour ses blessures, quand nous marcherons la nuit, alors, comme ce soir, de temps en temps, je resterai en arrière; de temps en temps, je pourrai te presser dans mes bras, et te dire, dans un rapide serrement de main, tout ce que j'aurai pensé de toi dans le courant du jour.
– Oh! que je t'aime! que je t'aime! murmura Bussy.
– Vois-tu, dit Diane, je crois que nos âmes sont assez étroitement unies, pour que, même à distance l'un de l'autre, même sans nous parler, sans nous voir, nous soyons heureux par la pensée.
– Oh! oui! mais te voir, mais te presser dans mes bras, oh! Diane! Diane!
Et les chevaux se touchaient et se jouaient en secouant leurs brides argentées, et les deux amants s'étreignaient et oubliaient le monde.
Tout à coup, une voix retentit, qui les fit tressaillir tous deux, Diane de crainte. Bussy de colère.
– Madame Diane, criait cette voix, où êtes-vous? Madame Diane, répondez!
Ce cri traversa l'air comme une funèbre évocation.
– Oh! c'est lui, c'est lui! je l'avais oublié, murmura Diane. C'est lui, je rêvais! O doux songe! réveil affreux!
– Écoute, s'écriait Bussy, écoute, Diane; nous voici réunis. Dis un mot, et rien ne peut plus t'enlever à moi. Diane, fuyons. Qui nous empêche de fuir? Regarde: devant nous l'espace, le bonheur, la liberté! Un mot, et nous partons! un mot, et, perdue pour lui, tu m'appartiens éternellement.
Et le jeune homme la retenait doucement.
– Et mon père? dit Diane.
– Quand le baron saura que je t'aime… murmura-t-il.
– Oh! fit Diane. Un père, que dis-tu là?
Ce seul mot fit rentrer Bussy en lui-même.
– Rien par violence, chère Diane, dit-il, ordonne et j'obéirai.
– Écoute, dit Diane en étendant la main, notre destinée est là; soyons plus forts que le démon qui nous persécute; ne crains rien, et tu verras si je sais aimer.
– Il faut donc nous séparer, mon Dieu! murmura Bussy.
– Comtesse! comtesse! cria la voix. Répondez, ou, dussé-je me tuer, je saute au bas de cette infernale litière.
– Adieu, dit Diane, adieu; il le ferait comme il le dit, et il se tuerait.
– Tu le plains?
– Jaloux! fit Diane, avec un adorable accent et un ravissant sourire.
Et Bussy la laissa partir.
En deux élans, Diane était revenue près de la litière: elle trouva le comte à moitié évanoui.
– Arrêtez! murmura le comte, arrêtez!
– Morbleu! disait Remy, n'arrêtez pas! il est fou, s'il veut se tuer, qu'il se tue.
Et la litière marchait toujours.
– Mais après qui donc criez-vous? disait Gertrude, Madame est là, à mes côtés. Venez, madame, et répondez-lui; bien certainement M. le comte a le délire.
Diane, sans prononcer une parole, entra dans le cercle de lumière épandu par les torches.
– Ah! fit Monsoreau épuisé, où donc étiez-vous?
– Où voulez-vous que je sois, monsieur, sinon derrière vous?
– À mes côtés, madame, à mes côtés; ne me quittez pas.
Diane n'avait plus aucun motif pour rester en arrière; elle savait que Bussy la suivait. Si la nuit eût été éclairée par un rayon de lune, elle eût pu le voir.
On arriva à la halte. Monsoreau se reposa quelques heures, et voulut partir. Il avait hâte, non point d'arriver à Paris, mais de s'éloigner d'Angers.
De temps en temps, la scène que nous venons de raconter se renouvelait.
Remy disait tout bas:
– Qu'il étouffe de rage, et l'honneur du médecin sera sauvé.
Mais Monsoreau ne mourut pas; au contraire, au bout de dix jours, il était arrivé à Paris et il allait sensiblement mieux.
C'était décidément un homme fort habile que Remy, plus habile qu'il ne l'eût voulu lui-même.
Pendant les dix jours qu'avait duré le voyage, Diane avait, à force de tendresses, démoli toute cette grande fierté de Bussy.
Elle l'avait engagé à se présenter chez Monsoreau, et à exploiter l'amitié qu'il lui témoignait.
Le prétexte de la visite était tout simple: la santé du comte.
Remy soignait le mari, et remettait les billets à la femme.
– Esculape et Mercure, disait-il, je cumule.