Son parti fut pris à l'instant même; il s'arrêta au plus mauvais cabaret de la rue, et, après s'être assuré que son cheval ne manquerait de rien, moins inquiet de lui-même que de sa monture, à la vigueur de laquelle il pouvait avoir besoin de recourir, il s'installa près d'une fenêtre, en ayant le soin de se cacher derrière un lambeau de toile qui servait de rideau.
Ce qui avait surtout déterminé Bussy dans le choix qu'il avait fait de cette espèce de bouge, c'est qu'il était situé en face la meilleure hôtellerie de la ville, et qu'il ne doutait point que Monsoreau ne fit halte dans cette hôtellerie.
Bussy avait deviné juste; vers quatre heures de l'après-midi, il vit apparaître un coureur, qui s'arrêta à la porte de l'hôtellerie.
Une demi-heure après, vint le cortège.
Il se composait, en personnages principaux, du comte, de la comtesse, de Remy et de Gertrude;
En personnages secondaires, de huit porteurs qui se relayaient de cinq lieues en cinq lieues.
Le coureur avait mission de préparer les relais des paysans. Or, comme Monsoreau était trop jaloux pour ne pas être généreux, cette manière de voyager, tout inusitée qu'elle était, ne souffrait ni difficulté ni retard.
Les personnages principaux entrèrent les uns après les autres dans l'hôtellerie; Diane resta la dernière, et il sembla à Bussy qu'elle regardait avec inquiétude autour d'elle. Son premier mouvement fut de se montrer, mais il eut le courage de se retenir; une imprudence les perdait.
La nuit vint, Bussy espérait que, pendant la nuit, Remy sortirait, ou que Diane paraîtrait à quelque fenêtre; il s'enveloppa de son manteau et se mit en sentinelle dans la rue.
Il attendit ainsi jusqu'à neuf heures du soir; à neuf heures du soir, le coureur sortit.
Cinq minutes après, huit hommes s'approchèrent de la porte: quatre entrèrent dans l'hôtellerie.
– Oh! se dit Bussy, voyageraient-ils de nuit? Ce serait une excellente idée qu'aurait M. de Monsoreau.
Effectivement, tout venait à l'appui de cette probabilité: la nuit était douce, le ciel tout parsemé d'étoiles, une de ces brises qui semblent le souffle de la terre rajeunie passait dans l'air, caressante et parfumée.
La litière sortit la première.
Puis vinrent à cheval Diane, Remy et Gertrude.
Diane regarda encore avec attention autour d'elle; mais, comme elle regardait, le comte l'appela, et force lui fut de revenir près de la litière.
Les quatre hommes de relais allumèrent des torches et marchèrent aux deux côtés de la route.
– Bon, dit Bussy, j'aurais commandé moi-même les détails de cette marche, que je n'eusse pas mieux fait.
Et il rentra dans son cabaret, sella son cheval, et se mit à la poursuite du cortège.
Cette fois, il n'y avait point à se tromper de route ou à le perdre de vue: les torches indiquaient clairement le chemin qu'il suivait.
Monsoreau ne laissait point Diane s'éloigner un instant de lui.
Il causait avec elle, ou plutôt il la gourmandait. Cette visite dans la serre servait de texte à d'inépuisables commentaires et à une foule de questions envenimées.
Remy et Gertrude se boudaient, ou, pour mieux dire, Remy rêvait et Gertrude boudait Remy.
La cause de cette bouderie était facile à expliquer: Remy ne voyait plus la nécessité d'être amoureux de Gertrude, depuis que Diane était amoureuse de Bussy.
Le cortège s'avançait donc, les uns disputant, les autres boudant, quand Bussy, qui suivait la cavalcade hors de la portée de la vue, donna, pour prévenir Remy de sa présence, un coup de sifflet d'argent avec lequel il avait l'habitude d'appeler ses serviteurs à l'hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Honoré.
Le son en était aigu et vibrant. Ce son retentissait d'un bout à l'autre de la maison, et faisait accourir bêtes et gens.
Nous disons bêtes et gens, parce que Bussy, comme tous les hommes forts, se plaisait à dresser des chiens au combat, des chevaux indomptables et des faucons sauvages.
Or, au son de ce sifflet, les chiens tressaillaient dans leurs chenils, les chevaux dans leurs écuries, les faucons sur leurs perchoirs.
Remy le reconnut à l'instant même. Diane tressaillit et regarda le jeune homme, qui fit un signe affirmatif.
Puis il passa à sa gauche, et lui dit tout bas:
– C'est lui.
– Qu'est-ce? demanda Monsoreau, et qui vous parle, madame?
– À moi? personne, monsieur.
– Si fait, une ombre a passé près de vous, et j'ai entendu une voix.
– Cette voix, dit Diane, est celle de M. Remy; êtes-vous jaloux aussi de M. Remy?
– Non; mais j'aime à entendre parler tout haut, cela me distrait.
– Il y a cependant des choses que l'on ne peut pas dire devant M. le comte, interrompit Gertrude, venant au secours de sa maîtresse.
– Pourquoi cela?
– Pour deux raisons.
– Lesquelles?
– La première, parce qu'on peut dire des choses qui n'intéressent pas monsieur le comte, ou des choses qui l'intéressent trop.
– Et de quel genre étaient les choses que M. Remy vient de dire à madame?
– Du genre de celles qui intéressent trop monsieur.
– Que vous disait Remy? madame, je veux le savoir.
– Je disais, monsieur le comte, que si vous vous démenez ainsi, vous serez mort avant d'avoir fait le tiers de la route.
On put voir, aux sinistres rayons des torches, le visage de Monsoreau devenir aussi pâle que celui d'un cadavre.
Diane, toute palpitante et toute pensive, se taisait.
– Il vous attend à l'arrière, dit d'une voix à peine intelligible Remy à Diane; ralentissez un peu le pas de votre cheval; il vous rejoindra.
Remy avait parlé si bas, que Monsoreau n'entendit qu'un murmure; il fît un effort, renversa sa tête en arrière, et vit Diane qui le suivait.
– Encore un mouvement pareil, monsieur le comte, dit Remy, et je ne réponds pas de l'hémorragie.
Depuis quelque temps, Diane était devenue courageuse. Avec son amour était née l'audace, que toute femme véritablement éprise pousse d'ordinaire au delà des limites raisonnables. Elle tourna bride et attendit.
Au même moment, Remy descendait de cheval, donnait sa bride à tenir à Gertrude, et s'approchait de la litière pour occuper le malade.