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– Quel Tchijov? Dis-moi-le, puisque tu le sais.

– Un grand, qu’a les cheveux longs; on le voyait au marché c’t’été.

– Que veux-tu que je fasse de ton Tchijov, hein! bonnes gens?

– Et qu’est-ce que j’en sais moi-même?

– Qui peut savoir ce que tu lui veux? reprit une autre. Tu dois le savoir toi-même, puisque tu brailles. Car c’est à toi qu’on parlait, pas à nous, nigaud… Alors comme ça, tu le connais pas?

– Qui ça?

– Tchijov.

– Que le diable emporte Tchijov et toi avec! Je le rosserai, ma parole, Il s’est fichu de moi!

– Toi, rosser Tchijov? C’est lui qui te rossera, espèce de serin!

– C’est pas Tchijov, méchante gale, c’est le gamin que je rosserai. Amenez-le, amenez-le, il s’est fichu de moi!»

Les bonnes femmes éclatèrent de rire. Kolia était déjà loin et cheminait d’un air vainqueur. Smourov, à ses côtés, se retournait parfois vers le groupe criard. Lui aussi s’amusait beaucoup, tout en appréhendant d’être mêlé à une histoire avec Kolia.

«De quel Sabanéiev lui parlais-tu? demanda-t-il à Kolia, en se doutant de la réponse.

– Qu’est-ce que j’en sais? Maintenant, ils vont se chamailler jusqu’au soir. J’aime à mystifier les imbéciles dans toutes les classes de la société… Tiens, voilà encore un nigaud. Note ceci; on dit: «Il n’est pire sot qu’un sot français», mais une physionomie russe se trahit également. Regarde-moi ce bonhomme-là: n’est-ce pas écrit sur son front qu’il est un imbécile?

– Laisse-le tranquille, Kolia, passons notre chemin.

– Jamais de la vie, je suis parti, maintenant. Hé! bonjour, mon gars!»

Un robuste individu, qui marchait lentement et semblait pris de boisson, la figure ronde et naïve, la barbe grisonnante, leva la tête et dévisagea l’écolier.

«Bonjour, si tu ne plaisantes pas, répondit-il sans se presser.

– Et si je plaisante? dit Kolia en riant.

– Alors, plaisante, si le cœur t’en dit. On peut toujours plaisanter, ça ne fait de mal à personne.

– Excuse-moi, j’ai plaisanté.

– Eh bien, que Dieu te pardonne!

– Et toi, me pardonnes-tu?

– De grand cœur. Passe ton chemin.

– Tu m’as l’air d’un gars pas bête.

– Moins bête que toi, répondit l’autre avec le même sérieux.

– J’en doute, fit Kolia un peu déconcerté.

– C’est pourtant vrai.

– Après tout, ça se peut bien.

– Je sais ce que je dis.

– Adieu, mon gars.

– Adieu.

– Il y a des croquants de différentes sortes, déclara Kolia après une pause. Pouvais-je savoir que je tomberais sur un sujet intelligent?»

Midi sonna à l’horloge de l’église. Les écoliers pressèrent le pas et ne parlèrent presque plus durant le trajet, encore assez long. À vingt pas de la maison, Kolia s’arrêta, dit à Smourov d’aller le premier et d’appeler Karamazov.

«Il faut, au préalable, se renseigner, lui dit-il.

– À quoi bon le faire venir? objecta Smourov. Entre tout droit, on sera ravi de te voir. Pourquoi lier connaissance dans la rue, par ce froid?

– Je sais pourquoi je le fais venir ici au froid», répliqua Kolia d’un ton despotique qu’il aimait prendre avec ces «mioches».

Smourov courut aussitôt exécuter les ordres de Krassotkine.

IV. Scarabée.

Kolia, l’air important, s’adossa à la barrière, attendant l’arrivée d’Aliocha. Il avait beaucoup entendu parler de lui par ses camarades, mais toujours témoigné une indifférence méprisante à ce qu’ils lui rapportaient à son sujet. Néanmoins dans son for intérieur il désirait beaucoup faire sa connaissance; il y avait, dans tout ce qu’on racontait d’Aliocha, tant de traits qui attiraient la sympathie! Aussi le moment était-il grave; il s’agissait de sauvegarder sa dignité, de faire preuve d’indépendance: «Sinon, il me prendra pour un gamin comme ceux-ci. Que sont-ils pour lui? Je le lui demanderai quand nous aurons fait connaissance. C’est dommage que je sois de si petite taille. Touzikov est plus jeune que moi et il a la moitié de la tête en plus. Je ne suis pas beau, je sais que ma figure est laide, mais intelligente. Il ne faut pas non plus trop m’épancher; en me jetant tout de suite dans ses bras il croirait… Fi, quelle honte, s’il allait croire…»

Ainsi s’agitait Kolia tout en s’efforçant de prendre un air dégagé. Sa petite taille le tourmentait plus encore que sa «laideur». À la maison, dès l’année précédente, il avait marqué sa taille au crayon sur le mur, et tous les deux mois, le cœur battant, il se mesurait pour voir s’il avait grandi. Hélas! il grandissait fort lentement, ce qui le mettait parfois au désespoir. Quant à son visage, il n’était nullement «laid», mais au contraire assez gentil, pâle, semé de taches de rousseur. Les yeux gris et vifs regardaient hardiment et brillaient souvent d’émotion. Il avait les pommettes un peu larges; de petites lèvres plutôt minces, mais très rouges; le nez nettement retroussé, «tout à fait camus, tout à fait camus!» murmurait en se regardant au miroir Kolia, qui se retirait toujours avec indignation.» Et je ne dois même pas avoir l’air intelligent», songeait-il parfois, doutant même de cela. Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que le souci de sa figure et de sa taille l’absorbât tout entier. Au contraire, si vexantes que fussent les stations devant le miroir, il les oubliait bientôt et pour longtemps, «en se consacrant tout entier aux idées et à la vie réelle», ainsi que lui-même définissait son activité.

Aliocha parut bientôt et s’avança rapidement vers Kolia; celui-ci remarqua de loin qu’il avait l’air radieux.» Est-il vraiment si content de me voir?» songeait Kolia avec satisfaction. Notons, en passant, qu’Aliocha avait beaucoup changé depuis que nous l’avons quitté; il avait abandonné le froc et portait maintenant une redingote de bonne coupe, un feutre gris, les cheveux courts. Il avait gagné au change et paraissait un beau jeune homme. Son charmant visage respirait toujours la gaieté, mais une gaieté douce et tranquille. Kolia fut surpris de le voir sans pardessus; il avait dû se dépêcher. Il tendit la main à l’écolier.

«Vous voilà enfin, dit-il; nous vous attendions avec impatience.

– Mon retard avait des causes que vous apprendrez. En tout cas, je suis heureux de faire votre connaissance. J’en attendais l’occasion, on m’a beaucoup parlé de vous, murmura Kolia, un peu gêné.

– Nous aurions fait de toute façon connaissance; moi aussi j’ai beaucoup entendu parler de vous, mais ici vous venez trop tard.

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