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On voulut savoir à qui elle faisait allusion.

«Mais cette demoiselle, cette Catherine Ivanovna. Elle m’avait fait venir chez elle, offert du chocolat, dans l’intention de me séduire. Elle est sans vergogne, ma parole…»

Le président l’interrompit, en la priant de modérer ses expressions. Mais enflammée par la jalousie, elle était prête à tout braver…

«Lors de l’arrestation, à Mokroïé, rappela le procureur, vous êtes accourue de la pièce voisine en criant: «Je suis coupable de tout, nous irons ensemble au bagne!» Vous aussi le croyiez donc parricide, à ce moment?

– Je ne me rappelle pas mes sentiments d’alors, répondit Grouchegnka, tout le monde l’accusait, j’ai senti que c’était moi la coupable, et qu’il avait tué à cause de moi. Mais dès qu’il a proclamé son innocence, je l’ai cru et le croirai toujours; il n’est pas homme à mentir.»

Fétioukovitch, qui l’interrogea ensuite, s’informa de Rakitine et des vingt-cinq roubles «en récompense de ce qu’il vous avait amené Alexéi Fiodorovitch Karamazov».

«Rien d’étonnant à ce qu’il ait pris cet argent, sourit dédaigneusement Grouchegnka; il venait toujours quémander, recevant de moi jusqu’à trente roubles par mois, et le plus souvent pour s’amuser; il avait de quoi boire et manger sans cela.

– Pour quelle raison étiez-vous si généreuse envers Mr Rakitine? reprit Fétioukovitch, bien que le président s’agitât.

– C’est mon cousin. Ma mère et la sienne étaient sœurs. Mais il me suppliait de n’en parler à personne, tant je lui faisais honte.»

Ce fait nouveau fut une révélation pour tout le monde; personne ne s’en doutait en ville et même au monastère. Rakitine, dit-on, était rouge de honte. Grouchegnka lui en voulait, sachant qu’il avait déposé contre Mitia. L’éloquence de Mr Rakitine, ses nobles tirades contre le servage et le désarroi civique de la Russie furent ainsi ruinées dans l’opinion. Fétioukovitch était satisfait, le ciel lui venait en aide. D’ailleurs, on ne retint pas longtemps Grouchegnka, qui ne pouvait rien communiquer de particulier. Elle laissa au public une impression des plus défavorables. Des centaines de regards méprisants la fixèrent, lorsque après sa déposition elle alla s’asseoir assez loin de Catherine Ivanovna. Tandis qu’on l’interrogeait, Mitia avait gardé le silence, comme pétrifié, les yeux baissés.

Ivan Fiodorovitch se présenta comme témoin.

V. Brusque catastrophe

Il avait été appelé avant Aliocha. Mais l’huissier informa le président qu’une indisposition subite empêchait le témoin de comparaître et qu’aussitôt remis il viendrait déposer. On n’y fit d’ailleurs pas attention, et son arrivée passa presque inaperçue; les principaux témoins, surtout les deux rivales, étaient déjà entendues, la curiosité commençait à se lasser. On n’attendait rien de nouveau des dernières dépositions. Le temps passait. Ivan s’avança avec une lenteur étrange, sans regarder personne, la tête baissée, l’air absorbé. Il était mis correctement, mais son visage, marqué par la maladie, avait une teinte terreuse et rappelait celui d’un mourant. Il leva les yeux, parcourut la salle d’un regard trouble. Aliocha se dressa, poussa une exclamation, mais on n’y prit pas garde.

Le président rappela au témoin qu’il n’avait pas prêté serment et pouvait garder le silence, mais devait déposer selon sa conscience, etc. Ivan écoutait, les yeux vagues. Tout à coup, un sourire se dessina sur son visage, et lorsque le président, qui le regardait avec étonnement, eut fini, il éclata de rire.

«Et puis, quoi encore? demanda-t-il à haute voix.

Silence absolu dans la salle. Le président s’inquiéta.

«Vous… êtes encore indisposé, peut-être? demanda-t-il en cherchant du regard l’huissier.

– Ne vous inquiétez pas, Excellence, je me sens suffisamment bien et puis vous raconter quelque chose de curieux, répondit Ivan d’un ton calme et déférent.

– Vous avez une communication particulière à faire?» continua le président avec une certaine méfiance.

Ivan Fiodorovitch baissa la tête et attendit durant quelques secondes avant de répondre.

«Non…, je n’ai rien à dire de particulier.»

Interrogé, il fit à contrecœur des réponses laconiques, pourtant assez raisonnables, avec une répulsion croissante. Il allégua son ignorance sur bien des choses et ne savait rien des comptes de son père avec Dmitri Fiodorovitch. «Je ne m’occupais pas de cela», déclara-t-il. Il avait entendu les menaces de l’accusé contre son père et connaissait l’existence de l’enveloppe par Smerdiakov.

«Toujours la même chose! interrompit-il soudain d’un air las; je ne puis rien dire au tribunal.

– Je vois que vous êtes encore souffrant, et je comprends vos sentiments…», commença le président.

Il allait demander au procureur et à l’avocat s’ils avaient des questions à poser, lorsque Ivan dit d’une voix exténuée:

«Permettez-moi de me retirer, Excellence, je ne me sens pas bien.»

Après quoi, sans attendre l’autorisation, il se retourna et marcha vers la sortie. Mais après quelques pas il s’arrêta, parut réfléchir, sourit et revint à sa place:

«Je ressemble, Excellence, à cette jeune paysanne, vous savez: «Si je veux j’irai, si je ne veux pas, je n’irai pas!» On la suit pour l’habiller et la conduire à l’autel, et elle répète ces paroles… Cela se trouve dans une scène populaire…

– Qu’entendez-vous par là? dit sévèrement le président.

– Voilà, dit Ivan en exhibant une liasse de billets de banque, voilà l’argent… le même qui était dans cette enveloppe (il désignait les pièces à conviction), et pour lequel on a tué mon père. Où faut-il le déposer! Monsieur l’huissier, veuillez le remettre à qui de droit.»

L’huissier prit la liasse et la remit au président.

«Comment cet argent se trouve-t-il en votre possession… si c’est bien le même? demanda le président surpris.

– Je l’ai reçu de Smerdiakov, de l’assassin, hier… J’ai été chez lui avant qu’il se pendît. C’est lui qui a tué mon père, ce n’est pas mon frère. Il a tué et je l’y ai incité… Qui ne désire pas la mort de son père?

– Avez-vous votre raison? ne put s’empêcher de dire le président.

– Mais oui, j’ai ma raison… Une raison vile comme la vôtre, comme celle de tous ces… museaux! – Il se tourna vers le public. – Ils ont tué leurs pères et simulent la terreur, dit-il avec mépris en grinçant des dents. Ils font des grimaces entre eux. Les menteurs! Tous désirent la mort de leurs pères. Un reptile dévore l’autre… S’il n’y avait pas de parricide, ils se fâcheraient et s’en iraient furieux. C’est un spectacle! Panem et circenses! D’ailleurs, je suis joli, moi aussi! Avez-vous de l’eau, donnez-moi à boire, au nom du ciel!»

Il se prit la tête. L’huissier s’approcha de lui aussitôt. Aliocha se dressa en criant: «Il est malade, ne le croyez pas, il a la fièvre chaude!» Catherine Ivanovna s’était levée précipitamment et, immobile d’effroi, considérait Ivan Fiodorovitch. Mitia, avec un sourire qui grimaçait, écoutait avidement son frère.

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