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Il prit de nouveau Aliocha par les épaules. Son visage devint fort pâle, ses lèvres se contractèrent, son regard sondait son frère.

«Aliocha, dis-moi toute la vérité, comme devant Dieu. Crois-tu que j’ai tué? La vérité entière, ne mens pas!»

Aliocha chancela, eut un serrement de cœur.

«Assez! Que dis-tu?… murmura-t-il comme égaré.

– Toute la vérité, ne mens pas!

– Je n’ai jamais cru un seul instant que tu sois un assassin», s’écria d’une voix tremblante Aliocha, qui leva la main comme pour prendre Dieu à témoin.

Une expression de bonheur se peignit sur le visage de Mitia.

«Merci, dit-il en soupirant, comme après un évanouissement. Tu m’as régénéré… Le crois-tu, jusqu’à présent je craignais de te le demander, à toi, à toi! Va-t’en, maintenant, va-t’en! Tu m’as donné des forces pour demain, que Dieu te bénisse! Retire-toi, aime Ivan!»

Aliocha sortit tout en larmes. Une pareille méfiance de la part de Mitia, même envers lui, révélait un désespoir qu’il n’eût jamais soupçonné si profond chez son malheureux frère. Une infinie compassion s’empara de lui. Il était navré.» Aime Ivan!» Il se rappela soudain ces dernières paroles de Mitia. Il allait précisément chez Ivan, qu’il voulait voir depuis le matin. Ivan l’inquiétait autant que Mitia, et maintenant plus que jamais, après cette entrevue.

V. Ce n’est pas toi!

Pour aller chez son frère, il devait passer devant la maison où habitait Catherine Ivanovna. Les fenêtres étaient éclairées. Il s’arrêta, résolut d’entrer. Il n’avait pas vu Catherine depuis plus d’une semaine et pensa qu’Ivan était peut-être chez elle, surtout à la veille d’un tel jour. Dans l’escalier, faiblement éclairé par une lanterne chinoise, il croisa un homme en qui il reconnut son frère.

«Ah! ce n’est que toi, dit sèchement Ivan Fiodorovitch. Adieu. Tu vas chez elle?

– Oui.

– Je ne te le conseille pas. Elle est agitée, tu la troubleras encore davantage.

– Non, non, cria une voix en haut de l’escalier. Alexéi Fiodorovitch, vous venez de le voir?

– Oui, je l’ai vu.

– Est-ce qu’il me fait dire quelque chose? Entrez, Aliocha, et vous aussi, Ivan Fiodorovitch, remontez. Vous entendez?»

La voix de Katia était si impérieuse qu’Ivan, après un instant d’hésitation, se décida à remonter avec Aliocha.

«Elle écoutait! murmura-t-il à part soi, avec agitation, mais Aliocha l’entendit.

– Permettez-moi de garder mon pardessus, dit Ivan en entrant au salon, je ne resterai qu’une minute.

– Asseyez-vous, Alexéi Fiodorovitch», dit Catherine Ivanovna qui resta debout.

Elle n’avait guère changé, mais ses yeux sombres brillaient d’une lueur mauvaise. Aliocha se rappela plus tard qu’elle lui avait paru particulièrement belle à cet instant.

«Qu’est-ce qu’il me fait dire?

– Ceci seulement, dit Aliocha en la regardant en face: que vous vous ménagiez et ne parliez pas à l’audience de ce qui (il hésita un peu)… s’est passé entre vous… lors de votre première rencontre.

– Ah! mon salut jusqu’à terre pour le remercier de l’argent! dit-elle avec un rire amer. Craint-il pour lui ou pour moi? Qui veut-il que je ménage: lui ou moi? Parlez, Alexéi Fiodorovitch.»

Aliocha la regardait avec attention, s’efforçant de la comprendre.

«Vous et lui.

– C’est cela, dit-elle méchamment, et elle rougit. Vous ne me connaissez pas encore, Alexéi Fiodorovitch. Moi non plus, je ne me connais pas. Peut-être me détesterez-vous, après l’interrogatoire de demain.

– Vous déposerez avec loyauté, dit Aliocha, c’est tout ce qu’il faut.

– La femme n’est pas toujours loyale. Il y a une heure, je craignais le contact de ce monstre, comme celui d’un reptile… Cependant il est toujours pour moi un être humain. Mais est-il un assassin? Est-ce lui qui a tué?» s’écria-t-elle en se tournant vers Ivan. – Aliocha comprit aussitôt qu’elle lui avait déjà posé cette question avant son arrivée, pour la centième fois peut-être, et qu’ils s’étaient querellés… – «Je suis allée voir Smerdiakov… C’est toi qui m’as persuadée qu’il est un parricide. Je t’ai cru!»

Ivan eut un rire gêné. Aliocha tressaillit en entendant ce toi. Il ne soupçonnait pas de telles relations.

«Eh bien, en voilà assez, trancha Ivan. Je m’en vais. À demain.»

Il sortit, se dirigea vers l’escalier. Catherine Ivanovna saisit impérieusement les mains d’Aliocha.

«Suivez-le! Renseignez-le! Ne le laissez pas seul un instant. Il est fou. Vous ne savez pas qu’il est devenu fou? Il a la fièvre chaude, le médecin me l’a dit. Allez, courez…»

Aliocha se précipita à la suite d’Ivan Fiodorovitch qui n’avait pas encore fait cinquante pas.

«Que veux-tu? dit-il en se retournant vers Aliocha. Elle t’a dit de me suivre, parce que je suis fou. Je sais cela par cœur, ajouta-t-il avec irritation.

– Elle se trompe, bien sûr, mais elle a raison de prétendre que tu es malade. Je t’examinais tout à l’heure, tu as le visage défait, Ivan.»

Ivan marchait toujours, Aliocha le suivait.

«Sais-tu, Alexéi Fiodorovitch, comment on devient fou? demanda Ivan d’un ton calme où perçait la curiosité.

– Non, je l’ignore, je pense qu’il y a bien des genres de folie.

– Peut-on s’apercevoir soi-même qu’on devient fou?

– Je pense qu’on ne peut pas s’observer en pareil cas» répondit Aliocha surpris.

Ivan se tut un instant.

«Si tu veux causer avec moi, changeons de conversation, dit-il tout à coup.

– De peur de l’oublier, voici une lettre pour toi», dit timidement Aliocha en lui tendant la lettre de Lise.

Ils approchaient d’un réverbère. Ivan reconnut l’écriture.

«Ah! c’est de ce diablotin!»

Il eut un rire méchant et, sans la décacheter, la déchira en morceaux qui s’éparpillèrent au vent.

«Ça n’a pas encore seize ans et ça s’offre déjà, dit-il d’un ton méprisant.

– Comment s’offre-t-elle? s’exclama Aliocha.

– Parbleu, comme les femmes corrompues.

– Que dis-tu là, Ivan? protesta Aliocha avec douleur. C’est une enfant, tu insultes une enfant! Elle aussi est très malade, peut-être qu’elle aussi deviendra folle. Je devais te remettre sa lettre… Je voulais, au contraire, que tu m’expliques… pour la sauver.

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