– Il parle d'or, dit Chicot; Quélus, mon fils, va-t'en prêcher par les rues de Paris et je parie un bœuf contre un œuf que tu éteins Lincestre, Cahier, Cotton, et même ce foudre d'éloquence que l'on nomme Gorenflot.
Henri ne répliqua rien; il était évident qu'un grand changement se faisait dans son esprit: il avait d'abord attaqué les mignons par des regards hautains; puis, peu à peu, le sentiment de la vérité; ayant saisi, il redevenait réfléchi, sombre, inquiet.
– Allez, dit-il, vous voyez que je vous écoute, Quélus.
– Sire, reprit celui-ci, vous êtes un très grand roi; mais vous n'avez plus d'horizons devant vous; la noblesse vient vous poser des barrières au delà desquelles vos yeux ne voient plus rien, si ce n'est les barrières, déjà grandissantes, qu'à son tour vous pose le peuple. Eh bien, sire, vous qui êtes un vaillant, dites, que fait-on à la guerre quand un bataillon vient se placer, muraille menaçante, à trente pas d'un autre bataillon? Les lâches regardent derrière eux, et, voyant l'espace libre, ils fuient; les braves baissent la tête et fondent en avant.
– Eh bien, soit; en avant! s'écria le roi; par la mordieu! ne suis-je pas le premier gentilhomme de mon royaume? a-t-on mené plus belles batailles, je vous le demande, que celles de ma jeunesse? et le siècle à la fin duquel nous touchons a-t-il beaucoup de noms plus retentissants que ceux de Jarnac et de Moncontour? En avant donc, messieurs! et je marcherai le premier, c'est mon habitude, dans la mêlée, à ce que je présume.
– Eh bien, oui, sire, s'écrièrent les jeunes gens électrisés par cette belliqueuse démonstration du roi, en avant!
Chicot se mit sur son séant.
– Paix, là-bas, vous autres, dit-il, laissez continuer mon orateur. Va, Quélus, va, mon fils, tu as déjà dit de belles et de bonnes choses, et il t'en reste encore à dire; continue, mon ami, continue.
– Oui, Chicot, et toi aussi tu as raison, comme cela t'arrive souvent. Au reste, oui, je continuerai, et pour dire à Sa Majesté que le moment est venu, pour la royauté, d'agréer un de ces sacrifices dont nous parlions tout à l'heure. Contre tous ces remparts qui enferment insensiblement Votre Majesté, quatre hommes vont marcher, sûrs d'être encouragés par vous, sire, et d'être glorifiés par la postérité.
– Que dis-tu, Quélus? demanda le roi, les yeux brillants d'une joie tempérée par la sollicitude, quels sont ces quatre hommes?
– Moi et ces messieurs, dit le jeune homme avec le sentiment de fierté qui grandit tout homme jouant sa vie pour un principe ou pour une passion; moi et ces messieurs, nous nous dévouons, sire.
– À quoi?
– À votre salut.
– Contre qui?
– Contre vos ennemis.
– Des haines de jeunes gens, s'écria Henri.
– Oh! voilà l'expression du préjugé vulgaire, sire; et la tendresse de Votre Majesté pour nous est si généreuse, qu'elle consent à se déguiser sous ce trivial manteau; mais nous la reconnaissons. Parlez en roi, sire, et non en bourgeois de la rue Saint-Denis. Ne feignez pas de croire que Maugiron déteste Antraguet, que Schomberg est gêné par Livarot, que d'Épernon jalouse Bussy, et que Quélus en veut à Ribérac. Eh! non pas, ils sont tous jeunes, beaux et bons; amis et ennemis, tous pourraient s'aimer comme frères. Mais ce n'est point une rivalité d'hommes à hommes qui nous met l'épée à la main, c'est la querelle de France contre Anjou, la querelle du droit populaire contre le droit divin; nous nous présentons comme champions de la royauté dans cette lice où descendent des champions de la Ligue, et nous venons vous dire: «Bénissez-nous, seigneur; souriez à ceux qui vont mourir pour vous. Votre bénédiction les fera peut-être vaincre, votre sourire les aidera à mourir.»
Henri, suffoqué par les larmes, ouvrit ses bras à Quélus et aux autres. Il les réunit sur son cœur; et ce n'était pas un spectacle sans intérêt, un tableau sans expression, que cette scène où le mâle courage s'alliait aux émotions d'une tendresse profonde, que le dévouement sanctifiait à cette heure.
Chicot, sérieux et assombri, Chicot, la main sur son front, regardait du fond de l'alcôve, et cette figure, ordinairement refroidie par l'indifférence ou contractée par le rire du sarcasme, n'était pas la moins noble et la moins éloquente des six.
– Ah! mes braves! dit enfin le roi, c'est un beau dévouement, c'est une noble tâche, et je suis fier aujourd'hui, non pas de régner sur la France, mais d'être votre ami. Toutefois, comme je connais mes intérêts mieux que personne, je n'accepterai pas un sacrifice dont le résultat, glorieux en espérance, me livrerait, si vous veniez à échouer, entre les mains de mes ennemis. Pour faire la guerre à Anjou, France suffit, croyez-moi. Je connais mon frère, les Guise et la Ligue: souvent, dans ma vie, j'ai dompté des chevaux plus fougueux et plus insoumis.
– Mais, sire, s'écria Maugiron, des soldats ne raisonnent pas ainsi; ils ne peuvent faire entrer la mauvaise chance dans l'examen d'une question de ce genre; question d'honneur, question de conscience, que l'homme poursuit dans sa conviction sans s'inquiéter comment il jugera dans sa justice.
– Pardonnez-moi, Maugiron, répondit le roi, un soldat peut aller en aveugle, mais le capitaine réfléchit.
– Réfléchissez donc, sire, et laissez-nous faire, nous qui ne sommes que soldats, dit Schomberg; d'ailleurs, je ne connais pas la mauvaise chance, moi, j'ai toujours du bonheur.
– Ami! ami! interrompit tristement le roi, je n'en puis dire autant, moi; il est vrai que tu n'as que vingt ans.
– Sire, interrompit Quélus, les paroles obligeantes de Votre Majesté ne font que redoubler notre ardeur. Quel jour devrons-nous croiser le fer avec MM. de Bussy, Livarot, Antraguet et Ribérac?
– Jamais; je vous le défends absolument. Jamais, entendez-vous bien?
– De grâce, sire, excusez-nous, reprit Quélus; le rendez-vous a été pris hier, avant le dîner, paroles sont dites et nous ne pouvons les reprendre.
– Excusez-moi, monsieur, répondit Henri, le roi délie des serments et des paroles, en disant: Je veux ou je ne veux pas; car le roi est la toute-puissance. Faites dire à ces messieurs que je vous ai menacés de toute ma colère si vous en venez aux mains; et, pour que vous n'en doutiez pas vous-mêmes, je jure de vous exiler si…
– Arrêtez, sire, dit Quélus: car, si vous pouvez nous relever de nos paroles, Dieu seul peut vous relever de la vôtre. Ne jurez donc pas, car, si pour une pareille cause nous avons mérité votre colère, et que cette colère se traduise par l'exil, nous irons en exil avec joie, parce que, n'étant plus sur les terres de Votre Majesté, nous pourrons alors tenir notre parole et rencontrer nos adversaires en pays étranger.
– Si ces messieurs s'approchent de vous à la distance seulement d'une portée d'arquebuse, s'écria Henri, je les fais jeter tous les quatre à la Bastille.