– Et le duc ne vous a rien dit autre chose?
– Il m'a dit qu'étant sur le point de revenir avec la reine mère il désirait que Votre Majesté sût le retour d'un de ses plus fidèles sujets.
Le roi, presque suffoqué de surprise, ne put continuer son interrogatoire.
Chicot profita de l'interruption pour s'approcher de l'ambassadeur.
– Bonjour, monsieur de Bussy, dit-il.
Bussy se retourna, étonné d'avoir un ami dans toute l'assemblée.
– Ah! monsieur Chicot, salut, et de tout mon cœur, répliqua Bussy. Comment se porte M. de Saint-Luc?
– Mais, fort bien. Il se promène en ce moment avec sa femme du côté des volières.
– Et voilà tout ce que vous aviez à me dire, monsieur de Bussy? demanda le roi.
– Oui, sire; s'il reste quelque autre nouvelle importante, monseigneur le duc d'Anjou aura l'honneur de vous l'annoncer lui-même.
– Très bien! dit le roi.
Et, se levant tout silencieux de son trône, il descendit les deux degrés.
L'audience était finie, les groupes se rompirent.
Bussy remarqua du coin de l'œil qu'il était entouré par les quatre mignons, et comme enfermé dans un cercle vivant plein de frémissement et de menaces.
À l'extrémité de la salle, le roi causait bas avec son chancelier.
Bussy fit semblant de ne rien voir et continua de s'entretenir avec Chicot.
Alors, comme s'il fût entré dans le complot et qu'il eût résolu d'isoler Bussy, le roi appela.
– Venez çà, Chicot, on a quelque chose à vous dire par ici.
Chicot salua Bussy avec une courtoisie qui sentait son gentilhomme d'une lieue.
Bussy lui rendit son salut avec non moins d'élégance, et demeura seul dans le cercle.
Alors il changea de contenance et de visage. De calme qu'il avait été avec le roi, il était devenu poli avec Chicot; de poli il se fit gracieux.
Voyant Quélus s'approcher de lui:
– Eh! bonjour, monsieur de Quélus, lui dit-il; puis-je avoir l'honneur de vous demander comment va votre maison?
– Mais assez mal, monsieur, répliqua Quélus.
– Oh! mon Dieu, s'écria Bussy, comme s'il eût souci de cette réponse; et qu'est-il donc arrivé?
– Il y a quelque chose qui nous gêne infiniment, répondit Quélus.
– Quelque chose? fit Bussy avec étonnement; eh! n'êtes-vous pas assez puissants, vous et les autres, et surtout vous, monsieur de Quélus, pour renverser ce quelque chose?
– Pardon, monsieur, dit Maugiron en écartant Schomberg qui s'avançait pour placer son mot dans cette conversation qui promettait d'être intéressante, ce n'est pas quelque chose, c'est quelqu'un que voulait dire M. de Quélus.
– Mais, si ce quelqu'un gène M. de Quélus, dit Bussy, qu'il le pousse comme vous venez de faire.
– C'est aussi le conseil que je lui ai donné, monsieur de Bussy, dit Schomberg, et je crois que Quélus est décidé à le suivre.
– Ah! c'est vous, monsieur de Schomberg, dit Bussy, je n'avais pas l'honneur de vous reconnaître.
– Peut-être, dit Schomberg, ai-je encore du bleu sur la figure?
– Non pas, vous êtes fort pâle, au contraire. Sériez-vous indisposé, monsieur?
– Monsieur, dit Schomberg, si je suis pâle, c'est de colère.
– Ah çà! mais vous êtes donc comme M. de Quélus, gêné par quelque chose ou par quelqu'un?
– Oui, monsieur.
– C'est comme moi, dit Maugiron, moi aussi, j'ai quelqu'un qui me gêne.
– Toujours spirituel, mon cher monsieur de Maugiron, dit Bussy; mais, en vérité, messieurs, plus je vous regarde, plus vos figures renversées me préoccupent.
– Vous m'oubliez, monsieur, dit d'Épernon en se campant fièrement devant Bussy.
– Pardon, monsieur d'Épernon, vous étiez derrière les autres, selon votre habitude, et j'ai si peu le plaisir de vous connaître, que ce n'était point à moi de vous parler le premier.
C'était un spectacle curieux que le sourire et la désinvolture de Bussy, placé entre ces quatre furieux, dont les yeux parlaient avec une éloquence terrible. Pour ne pas comprendre où ils en voulaient venir, il eût fallu être aveugle ou stupide.
Pour avoir l'air de ne pas comprendre, il fallait être Bussy.
Il garda le silence, et le même sourire demeura imprimé sur ses lèvres.
– Enfin! dit avec un éclat de voix et en frappant de sa botte sur la dalle, Quélus, qui s'impatienta le premier.
– Monsieur, dit-il, remarquez-vous comme il y a de l'écho dans cette salle? Rien ne renvoie le son comme les murs de marbre, et les voix sont doublement sonores sous les voûtes de stuc; bien au contraire, quand on est en rase campagne, les sons se divisent, et je crois, sur mon honneur, que les nuées en prennent leur part. J'avance cette proposition d'après Aristophane. Avez-vous lu Aristophane, messieurs?
Maugiron crut avoir compris l'invitation de Bussy, et il s'approcha du jeune homme pour lui parler à l'oreille.
Bussy l'arrêta,
– Pas de confidence ici, monsieur, je vous en supplie, lui dit-il; vous savez combien Sa Majesté est jalouse; elle croirait que nous médisons.
Maugiron s'éloigna, plus furieux que jamais.
Schomberg prit sa place, et, d'un ton empesé:
– Moi, dit-il, je suis un Allemand très lourd, très obtus, mais très franc; je parle haut pour donner à ceux qui m'écoutent toutes facilités de m'entendre; mais, quand ma parole, que j'essaye de rendre la plus claire possible, n'est pas entendue parce que celui à qui je m'adresse est sourd, ou n'est pas comprise parce que celui à qui je m'adresse ne veut pas comprendre, alors je…
– Vous?… dit Bussy en fixant sur le jeune homme, dont la main agitée s'écartait du centre, un de ces regards comme les tigres seuls en font jaillir de leurs incommensurables prunelles, regards qui semblent sourdre d'un abîme et verser incessamment des torrents de feu; vous?
Schomberg s'arrêta.
Bussy haussa les épaules, pirouetta sur le talon et lui tourna le dos.
Il se trouva en face de d'Épernon.
D'Épernon était lancé, il ne lui était pas possible de reculer.
– Voyez, messieurs, dit-il, comme M. de Bussy est devenu provincial dans la fugue qu'il vient de faire avec M. le duc d'Anjou; il a de la barbe et il n'a pas de nœud à l'épée; il a des bottes noires et un feutre gris.