– Il vit, dit-il, c'est vrai; mais, si je le tue, il sera bien mort.
Et il regardait Monsoreau, qui le regardait aussi d'un œil si effaré, qu'on eût dit qu'il pouvait lire dans l'âme de ce passant de quelle nature étaient ses intentions.
– Fi! s'écria tout à coup Remy, fi! la hideuse pensée. Dieu m'est témoin que, s'il était là tout droit, sur ses jambes, brandissant sa rapière, je le tuerais du plus grand cœur. Mais tel qu'il est maintenant, sans force et aux trois quarts mort, ce serait plus qu'un crime, ce serait une infamie.
– Au secours! murmura Monsoreau, au secours! je me meurs.
– Mordieu! dit Remy, la position est critique. Je suis médecin, et, par conséquent, il est de mon devoir de soulager mon semblable qui souffre. Il est vrai que le Monsoreau est si laid, que j'aurai presque le droit de dire qu’il n'est pas mon semblable, mais il est de la même espèce, – genus homo.
– Allons, oublions que je m'appelle le Haudoin, oublions que je suis l'ami de M. de Bussy, et faisons notre devoir de médecin.
– Au secours! répéta le blessé.
– Me voilà, dit Remy.
– Allez me chercher un prêtre, un médecin.
– Le médecin est tout trouvé, et peut-être vous dispensera-t-il du prêtre.
– Le Haudoin! s'écria M. de Monsoreau, reconnaissant Remy, par quel hasard?
Comme on le voit, M. de Monsoreau était fidèle à son caractère; dans son agonie il se défiait et interrogeait.
Remy comprit toute la portée de cette interrogation. Ce n'était pas un chemin battu que ce bois, et l'on n'y venait pas sans y avoir affaire. La question était donc presque naturelle.
– Comment êtes-vous ici? redemanda Monsoreau, à qui les soupçons rendaient quelque force.
– Pardieu! répondit le Haudoin, parce qu'à une lieue d'ici j'ai rencontré M. de Saint-Luc.
– Ah! mon meurtrier, balbutia Monsoreau en blêmissant de douleur et de colère à la fois.
– Alors il m'a dit: «Remy, courez dans le bois, et, à l'endroit appelé le Vieux-Taillis, vous trouverez un homme mort.»
– Mort! répéta Monsoreau.
– Dame! il le croyait, dit Remy, il ne faut pas lui en vouloir pour cela; alors je suis venu, j'ai vu, vous êtes vaincu.
– Et maintenant, dites-moi, vous parlez à un homme, ne craignez donc rien, dites-moi, suis-je blessé mortellement?
– Ah! diable, fit Remy, vous m'en demandez beaucoup; cependant je vais tâcher, voyons.
Nous avons dit que la conscience du médecin l'avait emporté sur le dévouement de l'ami. Remy s'approcha donc de Monsoreau, et, avec toutes les précautions d'usage, il lui enleva son manteau, son pourpoint et sa chemise.
L'épée avait pénétré au-dessus du téton droit, entre la sixième et la septième côte.
– Hum! fit Rémi, souffrez-vous beaucoup?
– Pas de la poitrine, du dos.
– Ah! voyons un peu, fit Remy, de quelle partie du dos?
– Au-dessous de l'omoplate.
– Le fer aura rencontré un os, fit Remy: de là la douleur.
Et il regarda vers l'endroit que le comte indiquait comme le siège d'une souffrance plus vive.
– Non, dit-il, non, je me trompais; le fer n'a rien rencontré du tout, et il est entré comme il est sorti. Peste! le joli coup d'épée, monsieur le comte; à la bonne heure, il y a plaisir à soigner les blessés de M. de Saint-Luc. Vous êtes troué à jour, mon cher monsieur.
Monsoreau s'évanouit; mais Remy ne s'inquiéta point de cette faiblesse.
– Ah! voilà, c'est bien cela: syncope, le pouls petit; cela doit être. Il tâta les mains et les jambes: froides aux extrémités. Il appliqua l'oreille à la poitrine: absence du bruit respiratoire. Il frappa doucement dessus: matité du son. Diable, diable, le veuvage de madame Diane pourrait bien n'être qu'une affaire de chronologie.
En ce moment, une légère mousse rougeâtre et rutilante vint humecter les lèvres du blessé.
Remy tira vivement une trousse, et de sa poche une lancette, puis il déchira une bande de la chemise du blessé, et lui comprima le bras.
– Nous allons voir, dit-il; si le sang coule, ma foi, madame Diane n'est peut-être pas veuve. Mais s'il ne coule pas!… Ah! ah! il coule, ma foi. Pardon, mon cher monsieur de Bussy, pardon, mais, ma foi! on est médecin avant tout.
Le sang, en effet, après avoir, pour ainsi dire, hésité un instant, venait de jaillir de la veine; presque en même temps qu'il se faisait jour, le malade respirait et ouvrait les yeux.
– Ah! balbutia-t-il, j'ai bien cru que tout était fini.
– Pas encore, mon cher monsieur, pas encore; il est même possible…
– Que j'en réchappe.
– Oh! mon Dieu! oui, voyez-vous, fermons d'abord la plaie. Attendez, ne bougez pas. Voyez-vous, la nature, dans ce moment-ci, vous soigne en dedans comme je vous soigne en dehors. Je vous mets un appareil, elle fait son caillot. Je fais couler le sang, elle l'arrête. Ah! c'est une grande chirurgienne que la nature, mon cher monsieur. Là! attendez, que j'essuie vos lèvres.
Et Remy passa un mouchoir sur les lèvres du comte.
– D'abord, dit le blessé, j'ai craché le sang à pleine bouche.
– Eh bien! voyez, dit Remy, maintenant, voilà déjà l'hémorrhagie arrêtée. Bon! cela va bien, ou plutôt tant pis!
– Comment! tant pis?
– Tant mieux pour vous, certainement; mais tant pis! je sais ce que je veux dire. Mon cher monsieur de Monsoreau, j'ai peur d'avoir le bonheur de vous guérir.
– Comment! vous avez peur?
– Oui, je m'entends.
– Vous croyez donc que j'en reviendrai?
– Hélas!
– Vous êtes un singulier docteur, monsieur Remy.
– Que vous importe, pourvu que je vous sauve?… Maintenant, voyons.
Remy venait d'arrêter la saignée: il se leva.
– Eh bien! vous m'abandonnez? dit le comte.
– Ah! vous parlez trop, mon cher monsieur. Trop parler nuit. Ce n'est pas l'embarras, je devrais bien plutôt lui donner le conseil de crier.
– Je ne vous comprends pas.
– Heureusement. Maintenant vous voilà pansé.
– Eh bien?