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Seulement, le lieu était solitaire et silencieux; aucun hennissement ne s'était fait entendre; aucun cheval n'apparaissait attaché ni errant.

M. de Monsoreau mit pied à terre; mais, cette fois, pour ne pas courir la chance de revenir à pied, il passa la bride de Roland dans son bras et se mit à escalader la muraille.

Mais tout était solitaire au dedans comme au dehors du parc. Les longues allées se déroulaient à perte de vue, et quelques chevreuils bondissants animaient seuls le gazon désert des vastes pelouses.

Le comte jugea qu'il était inutile de perdre son temps à guetter des gens prévenus, qui, sans doute effrayés par son apparition de la veille, avaient interrompu leurs rendez-vous ou choisi un autre endroit. Il remonta à cheval, longea un petit sentier, et, après un quart d'heure de marche, dans laquelle il avait été obligé de retenir Roland, il était arrivé à la grille.

Le baron était occupé à faire fouetter ses chiens pour les tenir en haleine, lorsque le comte passa le pont-levis. Il aperçut son gendre et vint cérémonieusement au-devant de lui.

Diane, assise sous un magnifique sycomore, lisait les poésies de Marot. Gertrude, sa fidèle suivante, brodait à ses côtés.

Le comte, après avoir salué le baron, aperçut les deux femmes. Il mit pied à terre et s'approcha d'elles.

Diane se leva, s'avança de trois pas au-devant du comte et lui fit une grave révérence.

– Quel calme, ou plutôt quelle perfidie! murmura le comte; comme je vais faire lever la tempête du sein de ces eaux dormantes!

Un laquais s'approcha; le grand veneur lui jeta la bride de son cheval; puis, se tournant vers Diane:

– Madame, dit-il, veuillez, je vous prie, m'accorder un moment d'entretien.

– Volontiers, monsieur, répondit Diane.

– Nous faites-vous l'honneur de demeurer au château, monsieur le comte? demanda le baron.

– Oui, monsieur; jusqu'à demain, du moins.

Le baron s'éloigna pour veiller lui-même à ce que la chambre de son gendre fût préparée selon toutes les lois de l'hospitalité.

Monsoreau indiqua à Diane la chaise qu'elle venait de quitter, et lui-même s'assit sur celle de Gertrude, en couvant Diane d'un regard qui eût intimidé l'homme le plus résolu.

– Madame, dit-il, qui donc était avec vous dans le parc hier soir?

Diane leva sur son mari un clair et limpide regard.

– À quelle heure, monsieur? demanda-t-elle d'une voix dont, à force de volonté sur elle-même, elle était parvenue à chasser toute émotion.

– À six heures.

– De quel côté?

– Du côté du vieux taillis.

– Ce devait être quelque femme de mes amies, et non moi, qui se promenait de ce côté-là.

– C'était vous, madame, affirma Monsoreau.

– Qu'en savez-vous? dit Diane.

Monsoreau, stupéfait, ne trouva pas un mot à répondre; mais la colère prit bientôt la place de cette stupéfaction.

– Le nom de cet homme? dites-le-moi.

– De quel homme?

– De celui qui se promenait avec vous.

– Je ne puis vous le dire, si ce n'était pas moi qui me promenais.

– C'était vous, vous dis-je! s'écria Monsoreau en frappant la terre du pied.

– Vous vous trompez, monsieur, répondit froidement Diane.

– Comment osez-vous nier que je vous aie vue?

– Ah! c'est vous-même, monsieur?

– Oui, madame, c'est moi-même. Comment donc osez-vous nier que ce soit vous, puisqu'il n'y a pas d'autre femme que vous à Méridor?

– Voilà encore une erreur, monsieur, car Jeanne de Brissac est ici.

– Madame de Saint-Luc?

– Oui, madame de Saint-Luc, mon amie.

– Et M. de Saint-Luc?…

– Ne quitte pas sa femme, comme vous le savez. Leur mariage, à eux, est un mariage d'amour. C'est M. et madame de Saint-Luc que vous avez vus.

– Ce n'était pas M. de Saint-Luc; ce n'était pas madame de Saint-Luc. C'était vous, que j'ai parfaitement reconnue, avec un homme que je ne connais pas, lui, mais que je connaîtrai, je vous le jure.

– Vous persistez donc à dire que c'était moi, monsieur?

– Mais je vous dis que je vous ai reconnue, je vous dis que j'ai entendu le cri que vous avez poussé.

– Quand vous serez dans votre bon sens, monsieur, dit Diane, je consentirai à vous entendre; mais, dans ce moment, je crois qu'il vaut mieux que je me retire.

– Non, madame, dit Monsoreau en retenant Diane par le bras, vous resterez.

– Monsieur, dit Diane, voici M. et madame de Saint-Luc. J'espère que vous vous contiendrez devant eux.

En effet, Saint-Luc et sa femme venaient d'apparaître au bout d'une allée, appelés par la cloche du dîner, qui venait d'entrer en branle, comme si l'on n'eût attendu que M. de Monsoreau pour se mettre à table.

Tous deux reconnurent le comte; et, devinant qu'ils allaient sans doute, par leur présence, tirer Diane d'un grand embarras, ils s'approchèrent vivement.

Madame de Saint-Luc fit une grande révérence à M. de Monsoreau; Saint-Luc lui tendit cordialement la main. Tous trois échangèrent quelques compliments; puis Saint-Luc, poussant sa femme au bras du comte, prit celui de Diane.

On s'achemina vers la maison.

On dînait à neuf heures, au manoir de Méridor: c'était une vieille coutume du temps du bon roi Louis XII, qu'avait conservée le baron dans toute son intégrité.

M. de Monsoreau se trouva placé entre Saint-Luc et sa femme; Diane, éloignée de son mari par une habile manœuvre de son amie, était placée, elle, entre Saint-Luc et le baron.

La conversation fut générale. Elle roula tout naturellement sur l'arrivée du frère du roi à Angers et sur le mouvement que cette arrivée allait opérer dans la province.

Monsoreau eût bien voulu la conduire sur d'autres sujets; mais il avait affaire à des convives rétifs: il en fut pour ses frais.

Ce n'est pas que Saint-Luc refusât le moins du monde de lui répondre; tout au contraire. Il cajolait le mari furieux avec un charmant esprit, et Diane, qui, grâce au bavardage de Saint-Luc, pouvait garder le silence, remerciait son ami par des regards éloquents.

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