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— Arrête avec ta philo à deux balles. Il ne faut pas plaisanter avec ça. Moi, ma fille n’a pas de père.

— Et alors? Moi non plus mon père ne m’a pas élevé et je n’en fais pas un drame!

— Attends, tu t’es regardé? Tu largues une nana enceinte de toi pour passer tes nuits aux putes!

— Oui, bon… mais au moins je suis libre.

— Libre? Non mais je rêve! Pas ça, Octave, pas toi! Nadinamouk! T’es beaucoup trop deuxième millénaire! Regarde-moi dans les yeux, j’ai dit les yeux. L’enfant qui va naître PEUT avoir un papa. Pour la première fois de ta vie, tu peux servir à quelque chose. Combien de temps tu vas tenir à traîner dans des boîtes crades, à écouter les mêmes blagues vulgaires racontées par les mêmes poivrots débiles et impuissants? Combien de temps, bordel? C’est ça ta liberté, Ducon?

Il y a des psychanalystes à 150 €-balles la séance: Tamara est une moraliste à 460 euros de l’heure.

— Fous-moi la paix avec tes leçons de morale! Merde!

— Arrête de m’agresser ou je fais une rupture d’anévrisme. La morale, c’est peut-être ringard, mais ça reste encore ce qu’on a trouvé de mieux pour distinguer le bien du mal.

— Et alors? Je préfère être dégueulasse et libre, ouais, libre, tu m’as bien entendu, qu’éthique et prisonnier! «Homme libre, toujours tu chériras l’amer!» Je comprends très bien ce que tu me dis mais figure-toi que le bonheur familial est peut-être encore plus pathétique qu’une connerie d’histoire salace racontée par un abruti aviné à six heures du matin, tu piges? Et puis, comment veux-tu que je m’occupe d’un enfant alors que je tombe amoureux toutes les deux minutes, putain! Oups.

Là, j’ai enfreint une règle de base avec Tamara: il n’y a qu’elle qui a le droit d’employer le mot «putain»; si c’est quelqu’un d’autre, elle le prend comme une insulte. Elle fond en larmes. J’essaie de me rattraper.

— Pleure pas, excuse-moi, tu es une sainte, tu le sais bien, je te l’ai dit et répété. Déjà que j’étais le seul mec qui paye les putes pour ne pas coucher avec elles, maintenant je suis aussi celui qui en aura fait pleurer une. C’est pas un exploit, ça? Prête-moi ton portable, il faut que je prévienne tout de suite le Livre des Records, oui allô? Passez-moi la rubrique «homme le plus maladroit du monde», siouplaît.

Gagné: elle sourit un peu; la maquilleuse n’aura qu’un raccord de mascara à faire. Je poursuis mon auto-analyse sur sa lancée:

— Mon amour d’émigrée, explique-moi juste une chose: pourquoi, dès qu’on aime une femme et que tout se passe à merveille, veut-elle nous transformer en éleveur de chiards, placer entre nous une ribambelle d’enfants, une armée de bambins pour crier dans nos pattes et nous empêcher d’être seuls ensemble? Bon sang, c’est si terrifiant d’être deux? Moi j’étais content d’être un couple «DINK» (Double Income No Kids), pourquoi vouloir faire de nous une «FAMILLE» (Fabrication Artificielle de Malheur Interminable et de Longue Lymphatique Émollience)? Tu trouves pas ça pitoyable d’avoir des enfants? Tous ces couples romantiques qui ne parlent plus que de popo? Tu les trouves sexy, les frères Gallagher, en train de torcher leurs gosses? Faut être scatophile! En plus il n’y a pas de place pour un siège-bébé dans mon coupé BMW Z3!

— C’est toi qui es pitoyable. Si ta mère n’avait pas eu d’enfants, tu ne serais pas là pour déblatérer ces âneries.

— Ce ne serait pas une grande perte!!

— Ta gueule!!

— Ta gueule toi-même!!

— OH ET PUIS ARRÊTE AVEC TES POINTS D’EXCLAMATION!!!!! s’exclame-t-elle en reniflant.

Elle se mouche. Mon Dieu comme elle est splendide quand elle chiale. Si les hommes font tant de peine aux femmes, c’est sans doute parce qu’elles sont tellement plus belles quand elles pleurent.

Elle relève la tête et sait alors trouver les mots pour me convaincre.

— On pourra continuer de se voir en douce.

Vive cette morale-là. C’est Biaise Pascal qui l’a dit: «La vraie morale se moque de la morale». Et tandis que j’aspirais ses larmes avec la paille de mon Seven Up, nous pensions tous deux exactement la même chose.

— Tu sais pourquoi ça ne collera jamais entre nous?

— Oui, je sais, j’ai répondu. Parce que je ne suis pas libre et que toi, tu l’es trop.

5

Et voilà, le tournage est terminé: nous venons de dépenser trois millions de francs (500 K-euros) en trois jours. Avant de ranger les caméras, nous avons demandé à Enrique de tourner une version «trash» de la pub. Bon, nous étions pétés, Tamara aussi, et Charlie s’est écrié:

– Écoutez. ÉCOUTEZ-MOI TOUS! Listen to me, please. La dernière fois que j’ai vu Marc Marronnier vivant, il a engueulé Octave ici présent, en lui disant que le script que nous venons de tourner était minable et qu’il fallait en écrire un autre.

— C’est vrai, ai-je ajouté. Il a même dit cette phrase qui restera pour toujours gravée dans ma mémoire: «On n’est jamais à l’abri de trouver mieux».

— Mesdames et Messieurs, Ladies and Gentlemen, allons-nous passer outre aux dernières volontés d’un mort?

Les techniciens n’étaient pas chauds-chauds. Après quelques pourparlers avec la tivi-prod et Enrique, décision fut tout de même prise de shooter rapidement une prise «agence», en plan-séquence, caméra à l’épaule, style «Dogma» (c’était l’hiver où tout ce qui était filmé à la «Vidéo gag» portait ce label intello danois).

Voici ce que donnait la version «Maigrelette Dogma»: Tamara déambule dans le décor de teck, gracieusement elle enlève son tee-shirt sur la véranda, puis regarde la caméra, torse nu, et s’étale du yaourt sur les joues et les seins. Elle tourne sur elle-même, gambade pieds nus dans le jardin et se met à engueuler son yaourt allégé, hurlant «Maigrelette! I’m gonna eat you!», puis elle se roule dans l’herbe fraîchement repeinte, ses seins sont couverts de peinture verte et de Maigrelette, et elle lèche le fromage blanc sur sa lèvre supérieure en gémissant (zoom sur son visage sur lequel dégouline le produit): «mmmm… Maigrelette. It’s so good when it cornes in your mouth».

Quel talent. Nous décidons d’envoyer cette version au Festival Mondial de la Publicité à Cannes sans la présenter à Madone. Si on récolte un Lion, Duler sera obligé d’applaudir.

Marronnier aurait apprécié pareil dévouement. Nous pouvons rentrer à Paris la conscience tranquille, afin de nous installer dans son fauteuil encore tiède. Mais cela ne suffit pas à Charlie, décidément rempart plus imprenable que jamais. Le soir même, après la fête de fin de tournage au Liquid, il nous entraînait dans une regrettable virée que je suis malheureusement contraint de relater ici.

6

Les stroboscopes quadrillaient l’espace. Une vieille sado-maso traversa la piste de danse avec un corset qui lui faisait un tour de taille de dix centimètres. Elle ressemblait à un sablier en cuir noir.

— Tu sais à quoi elle me fait penser, cette même? En Europe, les entreprises licencient des milliers d’employés pour rapporter plus de fric aux retraités de Miami, pas vrai?

— Euh… en gros, oui. Les vieillards de Floride sont tous actionnaires des fonds de pension qui possèdent les firmes internationales, donc schématiquement, oui.

— Eh ben, puisqu’on est sur place, pourquoi qu’on irait pas rendre visite à un de ces vieux propriétaires de la planète? Ce serait quand même con d’être chez eux et de ne pas s’expliquer avec l’un d’entre eux, peut-être même qu’on pourrait le convaincre de ne virer personne la prochaine fois, qu’est-ce t’en dis?

— J’en dis que t’es bourré mais OK, on y va.

Et nous voilà partis, Tamara, Charlie et ma pomme, dans les rues de Miami Vice, à la recherche d’un représentant de l’actionnariat mondialisé.

— Ding! Dong! Ding! Dong-Ding-Dong-Ding- Dong-Ding!

A Miami même les sonneries cherchent à se faire remarquer: celle-ci joue la Petite Musique de nuit au lieu de faire «dring» comme tout le monde. Cela fait une heure que nous errons dans le quartier résidentiel de Coral Gables à la recherche de fonds-de-pensionnaires à sermonner.

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