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— Veux-tu un café, un thé, ou moi?

— Les trois dans ma bouche. Dis-moi, quelle est ta pub préférée, Tamara?

— «LESS FLOWER, MORE POWER». C’est le slogan de la New Beetle de Volkswagen.

— On ne dit pas «slogan», on dit «titre». Retiens bien ça, si tu veux que je t’engage.

Nous passons l’après-midi à glander devant le combo, ce moniteur vidéo Sony qui retransmet chaque prise: Tamara sur la terrasse, Tamara dans l’escalier, Tamara dans le jardin, Tamara en plan large, Tamara en plan serré, Tamara naturellement artificielle, Tamara en regard caméra, Tamara artificiellement naturelle, Tamara en dégustation produit (ouverture de l’opercule, plongeon de la cuiller, délectation buccale), Tamara et son coude émouvant, Tamara et ses seins à dessein. Mais la Tamara que je préfère m’est réservée: c’est Tamara à poil en tongs, sur le balcon de ma chambre, avec une bague à l’orteil du pied gauche et une rose tatouée au-dessus du sein droit. Celle à qui j’ose dire:

— Je n’ai pas envie de faire l’amour avec toi mais tu m’enchantes. Je crois que je t’aime, Tamara. Tu as des grands pieds mais je t’aime. Tu es mieux avec des retouches informatiques qu’en vrai mais je t’aime.

— Je connais beaucoup de méchants qui font semblant d’être gentils, mais toi tu es une espèce rare: un gentil qui fait semblant d’être méchant. Embrassemoi, c’est gratuit pour cette fois-ci.

— Tu es mon rêve défendu, mon seul tourment et mon unique espérance. Tu es pour moi la seule musique qui fait danser les étoiles sur les dunes.

— Encore des mots, toujours des mots.

Le plan dégustation, c’est toujours le pire boulot: en plein soleil, après le déjeuner, la pauvre Berbère a dû simuler vingt fois l’extase en introduisant dans sa bouche de pleines cuillerées de Maigrelette. Au bout de quelques prises, elle en était complètement dégoûtée. L’accessoiriste apporta alors une bassine dans laquelle elle recrachait le fromage blanc dès qu’Enrique gueulait «Cut!» Voilà, c’est une petite révélation que nous vous confions, ne l’ébruitez pas trop: chaque fois que vous voyez un acteur se délecter d’un produit alimentaire dans un film publicitaire, sachez qu’il ne l’avale jamais et vomit le produit dans un récipient prévu à cet effet dès que la caméra cesse de le filmer.

Charlie et moi sommes assis sur des chaises en plas tique avec des kilos de junk-food pour unique compagnie. Sur tous les tournages de films publicitaires, c’est le même cirque: on parque les créatifs dans un coin en les dorlotant avec un mépris complet, et en espérant qu’ils ne vont pas trop l’ouvrir sous prétexte qu’ils sont les auteurs de la campagne en cours de réalisation. Nous nous sentons humiliés, inutiles et gavés de sucreries, bref, encore plus écoeurés que d’habitude. Nous faisons semblant de ne rien remarquer car nous savons qu’en tant que futurs Directeurs de Création de la Rosse France, nous aurons mille fois l’occasion de nous venger de manière implacable.

Nous serons riches et injustes.

Nous licencierons nos anciens amis.

Nous soufflerons le chaud et le froid pour terroriser tous nos employés.

Nous nous attribuerons les idées des subalternes.

Nous convoquerons des jeunes réalisateurs pour leur pomper des idées fraîches en leur faisant miroiter un gros boulot que nous finirons par exécuter nousmêmes dans leur dos.

Nous refuserons d’accorder des vacances aux salariés, avant de prendre les nôtres à l’île Maurice.

Nous serons mégalos et indécents.

Nous garderons les meilleurs budgets pour nous et confierons les campagnes les plus croustillantes à des free-lances extérieurs pour bien déprimer tous les CDI.

Nous insisterons pour avoir notre portrait dans les pages saumon du Figaro puis exigerons le licenciement de la journaliste dès sa parution, si son papier n’est pas assez hagiographique (en menaçant Le Figaro de ne plus lui acheter de pages de pub).

Nous incarnerons le renouveau de la publicité française.

Nous paierons une attachée de presse pour pouvoir dire dans les pages communication de Stratégies que: «il faut bien distinguer le concept du percept».

Nous emploierons également très souvent le verbe «préempter».

Nous serons débordés et injoignables; pour obtenir un rendez-vous avec nous, il faudra attendre trois mois au minimum (pour se voir annuler au dernier moment, le matin du rendez-vous, par une secrétaire arrogante).

Nous boutonnerons nos chemises jusqu’en haut.

Nous déclencherons des dépressions nerveuses en rafales autour de nous. On dira du mal de nous dans la profession mais jamais en face car nous serons craints.

Nous n’en ficherons pas une ramée mais tous nos proches cesseront pourtant de nous voir.

Nous serons dangereux et hyperfétatoires.

Nous tirerons les ficelles de la société moderne.

Nous resterons dans l’ombre «même en pleine lumière».

Nous serons fiers d’avoir d’aussi importantes irresponsabilités.

— Pour la maquillage vous être contente?

Notre délire à la «Perrette et le pot au lait» est interrompu par la maquilleuse qui veut un avis circonstancié. Au moment venu, nous la nommerons make-up artist in chief du groupe R amp; W car elle a su reconnaître notre importance avant même notre nomination.

— Quelque chose de très naturel suffit, dit Charlie d’un ton péremptoire, il faut qu’elle soit saine/équilibrée/ dynamique/authentique

— Yeah, je la fais les lèvres un peu glossy, je touche pas à sa teint, elle être superbe peau.

— Pas glossy, insiste Charlie avec l’assurance du futur grand patron qu’il est, je préfère shiny.

— Of course, shiny c’est mieux que glossy, m’empressé-je de surenchérir. Sinon on frôle la dérive colonelle.

La maquilleuse recule avec respect devant de tels spécialistes du make-up labial — visiblement des pros à qui on ne la fait pas. Il ne nous reste plus qu’à snober la styliste culinaire et tutto ira bene.

Tamara allume toute l’équipe. Nous l’adorons tous, nous échangeons des oeillades complices devant sa beauté hiératique. Nous aurions pu être heureux si je n’avais passé mon temps à penser à quelqu’un d’autre. Pourquoi faut-il que je ne désire que les gens qui ne sont pas là? De temps en temps, Tamara posait ses mains sur mon visage; cela l’apaisait. J’avais besoin d’une dose de légèreté. Tiens, voilà qui pourrait nous assurer une bonne signature de secours: «MAIGRELETTE. ON A TOUS BESOIN D’UNE DOSE DE LÉGÈRETÉ». Je la note, on ne sait jamais.

— Alors, tu vas l’accepter tout cet argent qu’on te propose?

— L’argent ne fait pas le bonheur, Tamara, tu le sais.

— Grâce à toi, maintenant, je le sais. Avant je ne le savais pas. Pour savoir que l’argent ne fait pas le bonheur, il faut avoir connu les deux: l’argent et le bonheur.

— Tu veux m’épouser?

— Non, enfin, si, mais à une condition: qu’à notre mariage il y ait un hélicoptère qui fasse tomber une pluie de Chamallows roses.

— Et les Chamallows blancs, qu’est-ce qu’on en fait?

— On les bouffe!

Pourquoi baisse-t-elle les yeux? Nous sommes gênés tous les deux. Je prends sa main couverte d’enjolivures au henné.

— Quoi? Qu’est-ce qu’il y a?

— Tu n’es pas gentil d’être aussi gentil. Je préférais quand tu faisais semblant d’être méchant.

— Mais…

— Arrête. Tu sais très bien que tu ne m’aimes pas. Je voudrais être futile comme toi, seulement moi j’en ai marre de jouer, tu sais, j’ai réfléchi et je crois que je vais tout arrêter, avec l’argent de Maigrelette je pourrais m’acheter une petite maison au Maroc, j’ai ma fille à élever, je l’ai laissée là-bas chez ma mère et elle me manque tellement… Ecoute-moi, Octave, il faut que tu retrouves ta fiancée et que tu t’occupes de votre enfant. Elle te fait le plus beau cadeau: accepte-le.

— Merde, mais qu’est-ce que vous avez toutes? Dès qu’on est bien avec vous, il faut absolument que vous parliez de bébés! Au lieu de répondre à la question «pourquoi vivre?», vous préférez reproduire le problème!

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