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— e-bonjour. Alors ça marche ton petit e-business?

— e-ouaips. Je me suis fait e-200 millions en six e-mois.

— Mais qu’est-ce que tu e-fous e-là?

— On a e-besoin de vous. Il faut de la pub pour faire connaître mes sites de merde et aussi de la pub dedans, pour les financer en vendant des bandeaux. La nouvelle économie n’est pas nouvelle du tout. Comme l’ancienne, elle n’existe que par la publicité.

— Je vais te dire: notre prouesse, après avoir dégoûté le public de la pub dans les années 80, fut de leur faire croire que nous étions démodés dans les années 90 et dépassés par le Net dans les années 00. Alors que nous n’avons jamais été aussi powerful!

— e-bon. Pas trop le e-temps de vous e-causer. Faut que j’aille au cybercafé de la plage pour checker mes mails. Allez, e-ciao.

— bye-bye.com!

Et la nuit, au Nibarland, vous dansez tous assis sur vos fauteuils, comme des tétraplégiques. La mode vient de New York: là-bas, le maire a tellement restreint les autorisations de boîtes de nuit que tous les fêtards s’agglutinent dans des bars où il est interdit de danser. Au Spy, au Velvet, au Jet, au Chaos, au Liquid, au Life, on écoute donc de la house music à tue-tête en se contentant d’agiter les bras sans jamais se lever de son tabouret. Et maintenant la tendance a traversé l’Atlantique. Il est du dernier vulgaire de s’agiter debout sur une piste de danse. Dans le monde entier, il importe de rester assis dans la cacophonie générale pour être dans le coup. Dans la discothèque cannoise, vous reconnaissez vite les autochtones, à ce qu’ils dansent avec des jolies filles du cru, en se marrant comme des baleines, tandis que les publicitaires demeurent assis sur les banquettes à siroter leurs boutanches pour montrer aux confrères qu’ils reviennent de New York City. Et vous, Charlie et toi, vous faites exprès de vous lever dix fois de table pour aller aux chiottes, attendre cinq minutes là-bas, et revenir tout décoiffés, en reniflant et buvant de grands verres d’eau en vous grattant le nez pour faire croire aux Japonais de Dentsu que vous avez de la coke et pas eux.

Cette fois, vous avez l’impression d’être dans un film de David Lynch: derrière une apparence policée et souriante se cache une dimension obscure, une violence secrète, une folie destructrice qui vous force a sourire encore plus large.

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Et maintenant mettez-vous dans la peau du commissaire Sanchez Ferlosio, 53 ans, dans son étroit bureau cannois. C’est la fin de journée, vous voyez tranquillement arriver le week-end et les cigales qui chantent et un ballon de blanc au comptoir du Buffet de la Gare, quand soudain c’est le branle-bas de combat: vous recevez un mandat d’arrêt international par e-mail avec en pièce jointe une RealVideo. Vous double cliquez sur l’icône et vous vous retrouvez en train de mater trois Français en noir et blanc qui sortent d’une villa en s’écriant: «Tu crois que la vidéo enregistre? — Non, c’est juste un interphone. — De toute façon, même s’il y avait une trace, personne ne nous connaît ici» avant de s’approcher de l’objectif avec un gros caillou à la main.

Vous déchiffrez péniblement un message en anglais, titré «First Degree Murder Prosecution» (tout de même), vous comprenez mal l’anglais mais, grosso modo, il semble y être question d’une enquête de la Police de Floride auprès de la municipalité de Miami à propos des autorisations de tournage en plein air au mois de février. Les noms des trois suspects français défilent alors sous vos yeux et en lisant leur profession, vous voyez très bien pourquoi on est venu vous déranger, vous, en plein Festival de la Publicité à Cannes. Vous regrettez le temps où votre métier était lent et difficile; et vous décrochez votre téléphone pour avoir la liste des inscriptions dans les Palaces de la Croisette.

Tamara et toi, vous vous réveillez quand le jour se couche: les rideaux du Carlton sont très épais et il suffit d’accrocher «Do not disturb» sur la poignée de porte pour que le service d’étage vous foute la paix. Vous avez picolé toute la nuit mais tu ne t’es toujours pas remis à la coke: vous avez préféré essayer les champignons rapportés d’un smart-shop d’Amsterdam. Grâce à eux, vers quatre heures du matin, tu as trouvé une idée de pub pour la compétition Humex Fournier (des gélules contre le rhume):

«Une blonde avec un brushing est assise à l’arrière d’une grosse Mercedes en compagnie d’un riche Arabe. Le chauffeur est très enrhumé. Soudain il se prépare à éternuer: «att… att…» au moment où la voiture s’engouffre dans le tunnel de l’Aima. Écran noir. On entend un crissement de pneus et le terrible bruit d’un choc très violent. Le logo «Humex Fournier» apparaît avec cette signature: «Humex Fournier. Stoppez votre rhume avant qu’il ne vous stoppe».

Pas mal, te dis-tu en relisant le morceau de nappe sur lequel tu as griffonné ce concept qui sera facturé un million d’euros. Mais on peut mieux faire.

«John-John Kennedy pilote un petit avion audessus de Long Island. Il est très enrhumé, tousse et éternue sans cesse. Sa femme, Carolyn, est un peu inquiète, ce qui rime avec son nom de jeune fille. Bessette. Elle lui propose une gélule d’Humex Fournier mais John refuse car ils sont très en retard au mariage de sa cousine. Soudain il recommence à éternuer violemment, ce qui fait dévier la trajectoire de l’aéroplane. Le logo «Humex Fournier» apparaît avec cette signature: «Humex Fournier. Ne commencez pas à piquer du nez».

Hier soir, pour la première fois, vous avez fait l’amour et ce fut une merveille fruitée et logique. Octave, tu mérites ta réputation de spécialiste du taux de pénétration. Sur MTV, le groupe REM chantait «C’est la fin du monde et je me sens bien». Tamara s’est rapprochée de toi; tu cherchais une serviette de table pour essuyer tes doigts poisseux après avoir dévoré un beignet à l’abricot; ce fut elle qui commença par te lécher la main; puis le reste. Tu t’en es mêlé, ou vous vous êtes emmêlés, difficile à départager. Elle avait les lèvres sucrées (le beignet à l’abricot). Elle te caressait avec ses cheveux lents. Tamara avait la peau si lustrée qu’on se voyait dedans. Tu as rebandé juste après avoir joui. C’est une chose qui ne t’était plus arrivée depuis longtemps. Quand on vit avec quelqu’un, on ne connaît plus la deuxième érection. On ne remet plus le couvert. C’est pourtant si bon: vous venez d’éjaculer, vous vous regardez, buvez un peu d’eau, fumez une clope, gloussez, et tout à coup, paf, en un regard, le désir se repointe, vous avez de nouveau la chatte trempée et la bite endolorie tellement elle est dure. Baseline: un coup de barre, Tamara, et ça repart.

Pendant son sommeil, des gouttelettes de sueur se sont déposées comme de la rosée sur ses épaules et son front. Elle a, comme dit Paul-Jean Toulet dans Mon amie Nane, «la grâce dormante des Créoles, si lasses de n’avoir jamais rien fait». Tu n’en reviens pas d’avoir mis aussi longtemps à lui enlever son débardeur blanc. Si tu avais su que ce serait si doux… Elle s’est teint les cheveux mais ils ne sont pas blonds, non, ils sont oblongs. Hier soir Tamara mangeait du tarama à la piscine du Majestic quand elle t’a dit:

— Tu veux que je te fasse?

— Eh! T’as les seins qui pointent!

— Oui, je pointe et après je tire, en général.

Quand elle tournait la tête les mecs avaient la tête qui tournait. Elle avait un profil chantourné (elle n’a pas les cheveux blonds mais oblongs; le profil tourné mais chantourné; les yeux dorés mais mordorés: tout s’allonge en la regardant, même les mots pour la qualifier). Ses cheveux oblongs avaient du retard sur elle, ils avaient du mal à la suivre, ils flottaient dans son dos et envoyaient dans la fumée un parfum que tu connaissais: Obsession… Celui de Sophie, au début, quand elle testait son pouvoir sur toi en boudant la bouche entrouverte comme dans une annonce presse pour Carolina Herrera. Cela te fait penser que vous avez baisé sans capote.

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