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ON SE RETROUVE JUSTE APRÈS… ÇA.

UN JEUNE HOMME ENTRE DANS UNE LAVERIE AUTOMATIQUE. IL S’ARRÊTE DEVANT UNE ÉNORME MACHINE A LAVER DE DEUX MÈTRES DE HAUTEUR. IL GLISSE PLUSIEURS PIÈCES DE MONNAIE DANS LA FENTE, PUIS SORT DE SA POCHE UN PAQUET DE LESSIVE ARIEL, VERSE DU DÉTERGENT DANS SA MAIN, ET L’ASPIRE PAR LE NEZ. IL SECOUE LA TÊTE, COMME REVIGORÉ PAR LA POUDRE ARIEL QU’IL VIENT DE SNIFFER. PUIS IL OUVRE LE HUBLOT DE LA MACHINE A LAVER, ET ENTRE ENTIÈREMENT A L’INTÉRIEUR, TOUT HABILLÉ. IL S’ASSIED EN TAILLEUR DANS LA CENTRIFUGEUSE. LORSQU ’IL REFERME LA PORTE, LA MACHINE SE MET EN MARCHE. IL EST ALORS BALLOTTÉ DANS TOUS LES SENS, ASPERGÉ D’EAU CHAUDE. LA CAMÉRA TOURNE A 360° POUR MONTRER LA ROTATION RAPIDE A L’INTÉRIEUR DU TAMBOUR.

SOUDAIN LE MOUVEMENT S’ARRÊTE. DE L’INTÉRIEUR DE LA MACHINE, L’HOMME APERÇOIT UNE JEUNE FEMME TRES SEXY, EN MINI-JUPE, QUI ENTRE DANS LA LAVERIE. LA JEUNE FEMME S’AVANCE VERS LA MACHINE GÉANTE. VOYANT LE JEUNE HOMME A L’INTÉRIEUR, ELLE OUVRE LE HUBLOT ET LUI SOURIT IL RECRACHE UNE GORGÉE D’EAU SAVONNEUSE. ELLE SOURIT EN VOYANT LE PAQUET D’ARIEL POSÉ DEVANT LA MACHINE, PASSE LES MAINS SOUS SA MINI-JUPE ET ENLÈVE SA CULOTTE, QU’ELLE JETTE SUR LE JEUNE HOMME DANS LE TAMBOUR AVANT DE REFERMER LE HUBLOT ET DE REMETTRE LA MACHINE EN MARCHE. LE JEUNE HOMME MEURT NOYÉ EN FAISANT DES BULLES CONTRE LA VITRE.

LOGO ET PACKSHOT ARIEL — SIGNATURE: «ARIEL ULTRA. LA PROPRETÉ ULTRA MÊME EN MACHINE».

III. IL

«Or c’était le temps où les pays riches, hérissés d’industries, touffus de magasins, avaient découvert une foi nouvelle, un projet digne des efforts supportés par l’homme depuis des millénaires: faire du monde une seule et immense entreprise».

RENÉ-VICTOR PILHES, L’Imprécateur, 1974.

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Un milliard de personnes vivent dans des bidonvilles, selon la Croix-Rouge, mais cela n’a pas empêché Octave de retrouver l’appétit: regardez-le se ronger les ongles; c’est un début.

Marronnier l’a envoyé un mois en cure de désintoxication à la Maison de santé Bellevue (8, rue du Onze-Novembre à Meudon) parce que le Centre de Kate Barry à Soissons affichait complet. Les patrons de création sont comme les médecins-dealers du Tour de France: ils dopent leurs champions pour la performance et les réparent quand ils se cassent la gueule. Voilà pourquoi Octave est passé d’HP en HP — d’Hôtel Particulier en Hôpital Psychiatrique.

Chaque matin, il marche dans le parc, slalome entre les chênes centenaires et les malades mentaux. Il ne lit que des écrivains suicidés: Hemingway, Kawabata, Gary, Chamfort, Sénèque, Rigaut, Pétrone, Pavese, Lafargue, Crevel, Zweig, Drieu, Montherlant, Mishima, Debord, Lamarche-Vadel, sans oublier les filles: Sylvia Plath et Virginia Woolf. (Quelqu’un qui ne lit que des auteurs suicidés est quelqu’un qui lit beaucoup.) Pour déconner, ses assistants lui ont envoyé un paquet de farine Francine par Chronopost. Son psychiatre-traitant n’a pas apprécié la plaisanterie. Charlie a téléchargé sur son iBook le film vidéo d’une nana avec un poing dans la chatte et un autre dans le cul. Il s’est remis à sourire. Son traitement expérimental au BP 897 devrait le débarrasser totalement du manque de cocaïne. Si tout se passe bien, il pourra bientôt regarder une Carte bleue sans éternuer.

Au réfectoire, il croise de nouvelles maladies. Par exemple, son voisin d’étage lui explique qu’il est sidophile (une nouvelle perversion sexuelle).

— Je filmais des filles qui se faisaient sauter sans capote par un complice atteint du sida. La fille, bien sûr, n’était jamais au courant. Après je la filmais à la sauvette quand elle allait dans un labo pour chercher ses résultats de test. Le moment qui me faisait jouir, c’est quand la fille découvrait qu’elle était séropositive. J’éjaculais quand elle ouvrait l’enveloppe. La sidophilie, c’est moi qui l’ai inventée. Si tu savais comme c’était bon de les voir fondre en larmes à la sortie du laboratoire d’analyses avec leur feuille «HIV +» à la main. Mais j’ai arrêté car la police a pris toutes mes cassettes. J’ai fait de la prison et après on m’a mis ici. De toute façon je vais mourir bientôt. Mais là je vais bien là, je vais bien. Je vais bien. Là ça va bien là je vais bien je vais bien je vais bien je vais bien je vais bien là je vais bien.

Il a buggé, bave un peu de purée de carottes sur son menton duveteux.

— Moi aussi, dit Octave, je suis atteint d’une psychopathie sexuelle assez bizarre. Je suis passéphile.

— Ah? Ben alors c’est quoi ça?

— Une perversion qui consiste à être obsédé par une ex. Mais moi aussi je vais bien je vais très bien là ça va ça va bien bien là très bien je vais bien bien bien bien.

Sophie n’est pas venue lui rendre visite. Était-elle seulement au courant de son hospitalisation? Au bout de trois semaines, Octave a ri plusieurs fois en regardant les schizophrènes grimacer dans le jardin: ce spectacle lui a rappelé l’agence.

— La vie se compose d’arbres, de maniaco-dépressifs et d’écureuils.

Oui, on peut dire qu’il va mieux maintenant: il se branle six fois par jour. (En songeant à Anastasia qui pourlèche le con d’Edwina qui boit son sperme.) (Bon, d’accord, Octave n’est peut-être pas complètement rétabli.)

De toute manière, il était temps pour lui de changer. Il était beaucoup trop années 80 avec sa coke, ses costumes noirs, sa thune et son cynisme à deux balles. La mode avait évolué: il ne fallait plus étaler sa réussite et son travail mais faire semblant d’être pauvre et avoir l’air d’un glandeur. Le profil bas était de rigueur dans les premières années du nouveau siècle. Les stakhanovistes professionnels cherchaient à ressembler le plus possible à des chômeurs fauchés. Terminé le style Séguéla-bruyant-bronzé-gourmetté-vulgaire et les pubs avec des stores vénitiens ou un ventilateur au plafond filmées par Ridley Scott. Il y a eu des modes dans la pub comme partout: dans les années 50, c’était le calembour; dans les années 60, la comédie; dans les années 70, la bande de jeunes; dans les années 80, le spectacle; dans les années 90, le décalage.

Désormais il fallait porter une vieille paire d’Adidas, un tee-shirt Gap troué, un jean Helmut Lang crade, et tailler sa barbe tous les jours pour qu’elle ait l’air d’en avoir trois. Il fallait avoir les cheveux gras, des rouflaquettes, un bonnet, et tirer la gueule comme dans le magazine Dazed amp; Confused, et vendre des films en noir et blanc où des anorexiques dégingandés jouent de la guitare torse nu. (Ou alors des limousines qui roulent au ralenti sur fond verdâtre avec des couleurs saturées et des gosses portoricains qui jouent au volley- ball sous la pluie.) Plus on était monstrueusement bourré de fric (avec Internet les fortunes avaient pris trois zeros supplémentaires), plus on avait l’air d’un SDF. Tous les nouveaux milliardaires portaient des baskets pourries. Octave a d’ailleurs décidé qu’il ira dès sa sortie de l’asile demander des conseils en stylisme à son sosie clodo.

— Curieuse impression: quand j’étais petit, l’an 2000 c’était de la science-fiction. J’ai dû grandir parce qu’à présent c’est l’an dernier.

Octave a eu le temps de méditer dans cette grande maison fin XIXe. Il semble qu’à Meudon le temps passe plus lentement. Octave déambule sur la pelouse et ramasse un caillou âgé de deux mille ans. Contrairement aux tubes de dentifrice, les cailloux ne meurent jamais. Il le balance au loin, sous un arbre; il y sera encore au moment où vous lirez ces lignes. Le caillou passera peut-être les 2 000 prochaines années au même endroit. C’est comme ça: Octave est jaloux d’une pierre. Il note:

Donne-moi tes cheveux
Ton corps vigoureux
Le sel de tes yeux
Leur bleu rigoureux
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