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— T’es mignon, ce que j’ai envie de te sucer. Sonia, regarde comme il est joli! J’ai hâte de voir sa tête quand il viendra dans ma bouche. Mets sa main dans ma culotte pour qu’il sente comme je suis mouillée. J’ai le clitoris qui vibre, là, tu sens avec ton doigt comme ça puise?

Toi, tu les crois sur parole. Tu oublies que tu les paies. Au fond de toi, tu te doutes bien que Joanna se prénomme Janine mais tant que tu n’as pas joui, tu t’en moques. Te voilà coq en pâte chez les poules de luxe. Au sous-sol du Bar Biturique, tu biberonnes des tétines siliconées. Elles te maternent. De longues langues recouvrent ton visage. Tu te justifies à haute voix:

— Pour réparer sa voiture, mieux vaut faire appel à un garagiste. Pour construire sa maison, il est préférable de contacter un bon architecte. Si on tombe malade, on a intérêt à consulter un médecin compétent. Pourquoi l’amour physique serait-il le seul domaine où l’on n’ait pas recours à des spécialistes? Nous sommes tous prostitués. 95 % des gens accepteraient de coucher si on leur proposait 1 500 euros. N’importe quelle nana te suce sans doute à partir de la moitié. Elle fera la vexée, ne s’en vantera pas devant ses copines, mais je pense qu’à mille tu en fais ce que tu veux. Et même pour moins. On peut avoir qui on veut, c’est juste une question de tarif: refuseriez-vous une pipe à un million, dix millions, cent millions? La plupart du temps, l’amour est hypocrite: les jolies filles tombent amoureuses (sincèrement, croient-elles du fond du coeur) de mecs comme par hasard pleins aux as, susceptibles de leur offrir une belle vie de luxe. C’est pas pareil que des putes? Si.

Joanna et Sonia approuvent tes raisonnements. Elles sont toujours d’accord avec tes brillantes théories. Qui s’assemble, se ressemble — or toi aussi tu es vendu au Grand Capital.

Accessoirement, ces filles sont les seules capables de te faire durcir même avec le nez chargé à bloc et une capote sur le kiki, à l’heure où tu n’es plus capable que d’ânonner ceci:

— Ne regarde pas la paille qui est dans la narine du voisin mais plutôt la poutre qui est dans ton pantalon.

Tu joues le provocateur revenu de tout mais tu n’es pas comme ça. Tu ne vas pas voir les prostituées par cynisme, oh que non, au contraire, c’est par peur de l’amour. Elles te donnent du sexe sans sentiments, du plaisir sans douleur. «Le vrai est un moment du faux», a écrit Guy Debord — après Hegel — et ils étaient plus intelligents que toi. Cette phrase décrit bien l’atmosphère des bars à hôtesses. Avec les prostituées, le faux est un moment du vrai. Tu es enfin toimême. En compagnie d’une femme dite «normale», il faut faire des efforts, se vanter, s’améliorer, donc mentir: c’est l’homme qui fait la pute. Tandis qu’au bordel, l’homme se laisse aller, ne cherche plus à plaire, à se montrer meilleur qu’il est. C’est le seul endroit faux où il est enfin vrai, faible, beau et fragile. Il faudrait écrire un roman intitulé «L’amour coûte 500 euros».

Les filles de joie te coûtent cher afin de t’économiser. Tu es trop douillet pour risquer encore une fois de tomber amoureux avec tout ce qui s’ensuit: coeur battant, émotions fortes, déception soudaine, les Hauts de Hurlements. Pour toi rien n’est plus romantique que d’aller aux putes. Seuls les êtres vraiment sensibles ont besoin de payer pour ne plus risquer de souffrir.

Passé 30 ans, tout le monde se blinde: après quelques chagrins d’amour, les femmes fuient le danger, elles sortent avec de vieux cons rassurants; les hommes ne veulent plus aimer, ils se tapent des lolitas ou des putains; chacun s’est couvert d’une carapace; on ne veut plus jamais être ridicule ni malheureux. Tu regrettes l’âge où l’amour ne faisait pas mal. A 16 ans tu sortais avec des filles et les larguais ou elles te quittaient sans gravité, en deux minutes c’était réglé.

Pourquoi, plus tard, tout est-il devenu si important? Logiquement, ce devrait être l’inverse: drames à l’adolescence, légèreté à la trentaine. Mais ce n’est pas le cas. Plus on vieillit, plus on est douillet. On est trop sérieux quand on a 33 ans.

Après, quand tu rentres chez toi, tu lexomiles et ne rêves plus. C’est seulement alors, mon pauvre garçon, que tu parviens, l’espace de quelques heures, à oublier Sophie.

2

Le lundi matin, tu te rends à la Rosse avec des pieds de plomb. Tu songes à l’impitoyable sélection du Marketing-Roi. Autrefois il existait soixante variétés de pommes: aujourd’hui n’en subsistent que trois (la golden, la verte et la rouge). Autrefois les poulets mettaient trois mois à être adultes; aujourd’hui entre l’oeuf et le poulet vendu en hypermarché s’écoulent seulement 42 jours dans des conditions atroces (25 bêtes par mètre carré, nourries aux antibiotiques et anxiolytiques). Jusque dans les années70, on distinguait dix goûts de camemberts normands différents; aujourd’hui au maximum trois (à cause de la normalisation du lait «thermisé»). Ceci n’est pas ton oeuvre mais cela est ton monde. Dans le Coca-Cola (un milliard et demi d’euros de budget publicitaire en 1997), on ne met plus de cocaïne mais il y a de l’acide phosphorique et de l’acide citrique pour donner l’illusion de la désaltération et créer une accoutumance artificielle.

Les vaches laitières sont nourries avec du fourrage ensilé qui fermente et leur donne des cirrhoses; on les alimente également d’antibiotiques qui créent des souches de bactéries résistantes, lesquelles survivent ensuite dans la viande vendue (sans mentionner les farines carnées qui provoquent l’encéphalite spongiforme bovine, on ne va pas revenir là-dessus, c’est dans tous les journaux). Le lait de ces mêmes vaches contient de plus en plus de dioxines, suite à la contamination de l’herbe broutée. Les poissons d’élevage sont nourris, eux aussi, de farines de poissons (aussi nocives pour eux que les farines de viande pour les bovins) et d’antibiotiques…

En hiver, les fraises transgéniques ne gèlent plus grâce à un gène emprunté à un poisson des mers froides. Les manipulations génétiques introduisent du poulet dans la pomme de terre, du scorpion dans le coton, du hamster dans le tabac, du tabac dans la laitue, de l’homme dans la tomate.

Parallèlement, de plus en plus de trentenaires attrapent des cancers du rein, de l’utérus, du sein, de l’anus, de la thyroïde, de l’intestin, des testicules et les médecins ne savent pas pourquoi. Même les enfants sont concernés: augmentation du nombre de leucémies, recrudescence des tumeurs cérébrales, épidémies de bronchiolites à répétition dans les grandes villes… Selon le Professeur Luc Montagnier, l’apparition du sida ne s’explique pas seulement par la transmission du virus HIV (qu’il a découvert) mais aussi par des cofacteurs «liés à notre civilisation»: il a mentionné «la pollution» et «l’alimentation», qui affaibliraient nos défenses immunitaires.

Chaque année, la qualité du sperme diminue; la fertilité humaine est menacée.

Cette civilisation repose sur les faux désirs que tu conçois. Elle va mourir.

Là où tu travailles, beaucoup d’informations circulent: ainsi apprends-tu, incidemment, qu’il existe des machines à laver incassables qu’aucun fabricant ne veut lancer sur le marché; qu’un type a inventé un bas qui ne file pas mais qu’une grande marque de collants lui a racheté son brevet pour le détruire; que le pneu increvable reste aussi dans les tiroirs (et ceci au prix de milliers d’accidents mortels chaque année); que le lobby pétrolier fait tout ce qui est en son pouvoir pour retarder la généralisation de l’automobile électrique (et ceci au prix d’une augmentation du taux de gaz carbonique dans l’atmosphère entraînant le réchauffement de la planète, dit «effet de serre», probablement responsable de nombreuses catastrophes naturelles à venir d’ici à 2050: ouragans, fonte de la calotte polaire, élévation du niveau de la mer, cancers de la peau, sans compter les marées noires); que même le dentifrice est un produit inutile puisque tout le soin dentaire réside dans le brossage, la pâte ne servant qu’à rafraîchir l’haleine; que les liquides-vaisselle sont interchangeables et que d’ailleurs c’est la machine qui effectue tout le lavage; que les Compact Discs se rayent autant que les vinyles; que le papier d’aluminium est plus contaminé que l’amiante; que la formule des crèmes solaires est restée inchangée depuis la guerre, malgré la recrudescence des mélanomes malins (les crèmes solaires ne protègent que contre les UVB mais pas contre les nocifs UVA); que les campagnes publicitaires de Nestlé pour fourguer du lait en poudre aux nourrissons du Tiers Monde ont entraîné des millions de morts (les parents mélangeant le produit avec de l’eau non potable).

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