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– Et c’est là ton objection, à toi qui, il n’y a qu’une minute, m’offrais la moitié de l’héritage paternel! Louis, c’est mal, c’est très mal; ou tu ne m’as pas compris, ou tu es un mauvais frère.

Louis baissait la tête. Gaston, bien involontairement, tournait et retournait le poignard dans la plaie.

– Je te serais à charge, murmurait Louis.

– À charge!… Mais tu deviens fou. Ne t’ai-je pas dit que j’étais très riche… T’imaginerais-tu avoir vu tout ce que je possède! Cette maison et l’usine ne constituent pas le quart de ma fortune. Je les ai eues pour un morceau de pain. Crois-tu donc que sur une entreprise pareille, je risquerais ce que j’ai gagné en vingt ans? J’ai bel et bien, sur l’État, vingt-quatre mille livres de rentes. Et ce n’est pas tout; il paraît que mes concessions du Brésil se vendront; j’ai de la chance! Déjà mon correspondant m’a fait tenir quatre cent mille francs.

Louis tressaillit de plaisir. Enfin, il allait savoir jusqu’à quel point il était menacé.

– Quel correspondant? demanda-t-il de l’air le plus désintéressé qu’il pût prendre.

– Parbleu! mon ancien associé de Rio. Les fonds sont à cette heure à ma disposition chez mon banquier de Paris.

– Un de tes amis.

– Ma foi! non. Il m’a été indiqué par mon banquier de Pau et recommandé comme un homme fort riche, prudent, et d’une probité notoire; c’est, attends donc, c’est un nommé… Fauvel, qui demeure rue de Provence.

Si maître de soi que fût Louis, si préparé qu’il fût à ce qu’il allait entendre, il pâlit et rougit visiblement. Mais Gaston, tout à ses idées, ne s’en aperçut pas.

– Connais-tu ce banquier? demanda-t-il.

– De réputation, oui.

– Alors, nous ferons ensemble très prochainement sa connaissance, car je me propose de t’accompagner à Paris lorsque tu retourneras y arranger tes affaires avant ton établissement ici.

À cette annonce inattendue d’un projet dont la réalisation devait le perdre, Louis eut la force de rester impassible. Il sentait le regard de son frère arrêté sur lui.

– Tu viendras à Paris, fit-il, toi?

– Certainement, qu’y a-t-il là d’extraordinaire?

– Rien.

– Je déteste Paris et je le déteste sans y jamais être allé, ce qui est plus fort; mais j’y suis appelé par des intérêts, par… – il hésitait – des devoirs sérieux… Enfin, mademoiselle de La Verberie habite Paris, m’a-t-on dit, et je veux la revoir.

– Ah!…

Gaston réfléchissait; il était ému, et son émotion était visible.

– À toi, Louis, reprit-il, je puis dire pourquoi je veux la revoir. Je lui ai autrefois confié les parures de notre mère.

– Et tu veux, après vingt-trois ans, lui réclamer ce dépôt?

– Oui… ou plutôt, tiens, non; ce n’est là qu’un vain prétexte dont j’essaye de me payer moi-même. Je veux la revoir parce que… parce que… je l’ai aimée, voilà la vérité.

– Mais comment la retrouver?

– Oh! c’est bien simple. Le premier venu, dans le pays, me dira le nom de son mari, et quand je saurai ce nom… Tiens, dès demain, j’écrirai à Beaucaire.

Louis ne répondit pas.

Avant tout, Louis se gardait de discuter les projets de son frère.

Combattre les intentions d’un homme, c’est presque toujours les enfoncer plus profondément dans son esprit; chaque argument fait l’effet d’un coup de marteau sur un clou.

En homme habile, il détourna la conversation, et, de la journée, il ne fut plus question de Paris, ni de Valentine.

C’est le soir seulement, lorsqu’il se trouva seul dans sa chambre, que, se posant résolument en face de la situation, Louis commença à l’étudier sous tous ses aspects.

Au premier abord, elle paraissait désespérée.

Acculé dans une position qui lui paraissait sans issue, il était près de se résigner à cesser de lutter, à se rendre.

Oui, il se demandait s’il ne serait pas sage d’emprunter une grosse somme à son frère et de disparaître pour toujours.

Vainement il se mettait l’esprit à la torture, sa détestable expérience ne lui représentait aucune combinaison applicable aux circonstances présentes.

De tous les côtés à la fois, le danger menaçait, pressant, impossible à conjurer.

Il avait à craindre également et Mme Fauvel, et sa nièce, et le banquier; Gaston, découvrant la vérité, voudrait se venger; Raoul lui-même, son complice, devait, en cas de malheur, se tourner contre lui et devenir son plus implacable ennemi.

Existait-il un moyen humain pour empêcher la rencontre de Valentine et de Gaston?

Évidemment non.

Or, l’instant de leur réunion devait être l’instant de sa perte.

– C’est en vain, murmura-t-il, que je cherche. Il n’y a rien à faire, rien qu’à gagner du temps, rien qu’à guetter une occasion.

La chute du cheval, à Clameran, disait, sans doute, ce que Louis entendait par une «occasion».

Il referma sa fenêtre, se coucha, et si grande était son habitude du danger, qu’il s’endormit.

Nul pli sur son front, au matin, ne révélait ses angoisses de la nuit.

Il fut affectueux, gai, causeur, bien plus qu’il ne l’avait été jusqu’alors. Il voulut monter à cheval et courir le pays. Devenu, tout à coup, aussi remuant qu’il s’était montré calme, il ne parlait que d’excursions dans les environs.

La vérité est qu’il voulait occuper Gaston, l’amuser, détourner son esprit de Paris et surtout de Valentine.

Avec le temps, en y mettant beaucoup d’adresse, il ne désespérait pas de dissuader son frère de revoir son ancienne amie. Il comptait lui démontrer que cette entrevue, absolument inutile, serait pénible pour tous deux, embarrassante pour lui et dangereuse pour elle.

Quant au dépôt, si Gaston persistait à le lui demander, eh bien! Louis avait l’intention de s’offrir pour cette démarche délicate! il promettait de la mener à bien, et, en effet, il savait où étaient les parures.

Mais il ne devait pas tarder à reconnaître l’inanité de ses espérances et de ses tentatives.

– Tu sais, lui dit un jour Gaston, j’ai écrit…

Louis ne savait que trop ce dont il s’agissait; n’était-ce pas là le sujet habituel de ses méditations! Il prit cependant son air le plus surpris:

– Écrit?… interrogea-t-il, où, à qui, pourquoi?

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