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J’ai vingt-cinq mille livres de rentes, lui écrivait-il quelques heures après avoir signé l’acte de société, je possède, à moi, cinq cent mille francs. La moitié, que dis-je, le quart de cette somme aurait fait de moi, il y a un an, le plus heureux des hommes. À quoi me sert cette fortune, aujourd’hui? À rien. Tout l’or de la terre ne supprimerait pas une des difficultés de notre situation. Oui, tu avais raison, j’ai été imprudent, mais je paye cher ma précipitation. Nous sommes maintenant lancés sur une pente si rapide, que bon gré mal gré, il faut aller jusqu’au bout. Tenter même de s’arrêter serait insensé. Riche ou pauvre, je dois trembler tant qu’une entrevue de Gaston et de Valentine sera possible. Comment les séparer à jamais? Mon frère renoncera-t-il à revoir cette femme tant aimée?

Non, Gaston ne renonçait pas à chercher, à retrouver Valentine, et la preuve, c’est que plusieurs fois, au milieu des plus vives souffrances, il avait prononcé son nom.

Cependant, vers la fin de la semaine, le pauvre malade eut deux jours de rémission. Il put se lever, manger quelques bouchées, et même se promener un peu.

Mais il n’était plus que l’ombre de lui-même. En moins de dix jours, il avait vieilli de dix ans. Le mal, sur les organisations puissantes, comme celle de Gaston, ayant plus de prise, les brise en moins de rien.

Appuyé au bras de son frère, il traversa la prairie pour aller donner un coup d’œil à l’usine, et, s’étant assis non loin d’un fourneau en activité, il déclara qu’il s’y trouvait bien et qu’il renaissait à cette chaleur intense.

Il ne souffrait pas, il se sentait la tête dégagée, il respirait librement, ses pressentiments se dissipaient.

– Je suis bâti à chaux et à sable, disait-il aux ouvriers qui l’entouraient, je suis capable de m’en tirer. Les vieux arbres dépérissent quand on les transplante, répétait-il, je ferais bien, si je veux vivre longtemps, de retourner à Rio.

Quelle espérance pour Louis, et avec quelle ardeur il s’y accrocha!

– Oui, répondit-il, tu ferais bien, très bien même; je t’accompagnerais. Un voyage au Brésil avec toi serait pour moi une partie de plaisir.

Mais quoi! Projets de malades, projets d’enfants! Le lendemain, Gaston avait bien d’autres idées.

Il affirmait que jamais il ne saurait se résoudre à quitter la France. Il se proposait, sitôt guéri, de visiter Paris. Il y consulterait des médecins, il y retrouverait Valentine.

À mesure que sa maladie se prolongeait, il s’inquiétait d’elle davantage, et il s’étonnait de ne pas recevoir de lettre de Beaucaire.

Cette réponse, qui tardait, le préoccupait si fort qu’il écrivit de nouveau, en termes pressants, demandant un mot par le retour du courrier.

Cette seconde lettre, Lafourcade ne la reçut jamais.

Ce soir-là même, Gaston recommença à se plaindre. Les deux ou trois jours de mieux n’étaient qu’une halte de la maladie. Elle reprit avec une énergie et une violence inouïes, et pour la première fois, le docteur C… laissa voir des inquiétudes.

Enfin, le quatorzième jour de sa maladie, au matin, Gaston, qui était resté toute la nuit plongé dans l’assoupissement le plus inquiétant, parut se ranimer.

Il envoya chercher un prêtre et resta seul avec lui une demi-heure environ, déclarant qu’il mourait en chrétien comme ses ancêtres.

Puis il fit ouvrir toutes grandes les portes de sa chambre et donna ordre qu’on fît entrer ses ouvriers. Il leur adressa ses adieux et leur dit qu’il s’était occupé de leur sort.

Quand ils se furent retirés, il fit promettre à son frère de conserver l’usine, l’embrassa une dernière fois, et retombant sur ses oreillers, il entra en agonie.

Comme midi sonnait, sans secousses, sans convulsions, il expira.

Désormais Louis était bien marquis de Clameran, et il était millionnaire.

Quinze jours plus tard, cependant, Louis ayant arrangé toutes ses affaires et s’étant entendu avec l’ingénieur qui conduisait l’usine, prenait le chemin de fer.

La veille, il avait adressé à Raoul ce télégramme significatif: J’arrive.

19

Fidèle au programme tracé par son complice pendant que Louis de Clameran veillait à Oloron, Raoul, à Paris, s’efforçait de reconquérir le cœur de Mme Fauvel, de regagner sa confiance perdue, et, enfin, de la rassurer.

C’était une tâche difficile, mais non impossible.

Mme Fauvel avait été désolée des folies de Raoul, épouvantée par ses exigences; mais elle n’avait pas cessé de l’aimer.

C’est à elle-même qu’elle s’en prenait de ses égarements, et vis-à-vis de sa conscience, elle en acceptait la responsabilité, se disant: c’est ma faute, c’est ma très grande faute!

Ces sentiments, Raoul les avait bien pénétrés pour être en mesure de les exploiter.

Pendant un mois que dura l’absence de Louis, il ravit Mme Fauvel par des félicités dont elle ne pouvait avoir idée.

Jamais cette mère de famille, si véritablement innocente, malgré les aventures où la précipitait une faute, n’avait rêvé de pareils enchantements. L’amour de ce fils la bouleversait comme une passion adultère; il en avait les violences, le trouble, le mystère. Pour elle, il avait ce que n’ont guère les fils, les coquetteries, les prévenances, les idolâtries d’un jeune amoureux.

Comme elle habitait la campagne et que M. Fauvel, partant dès le matin, lui laissait la disposition de ses journées, elle les passait près de Raoul à sa maison du Vésinet. Souvent, le soir, ne pouvant se rassasier de le voir, de l’entendre, elle exigeait qu’il vînt dîner avec elle et qu’il restât à passer la soirée.

Cette vie de mensonge n’ennuyait pas Raoul. Il prenait à son rôle l’intérêt qu’y prend un bon acteur. Il possédait cette faculté qui fait les fourbes illustres: il se prenait à ses propres impostures. À certains moments, il ne savait plus trop s’il disait vrai ou s’il jouait une comédie infâme.

Mais aussi, quel succès! Madeleine, la prudente et défiante Madeleine, sans revenir absolument sur le compte du jeune aventurier, avouait que peut-être, se fiant trop aux apparences, elle avait été injuste.

D’argent, il n’en avait plus été question. Cet excellent fils vivait de rien.

Raoul triomphait donc lorsque Louis arriva d’Oloron, ayant eu le temps de combiner et de mûrir un plan de conduite.

Bien que très riche maintenant, il était résolu à ne rien changer, en apparence du moins, et quant à présent, à son genre de vie. C’est à l’hôtel du Louvre qu’il s’installa, comme par le passé.

Le rêve de Louis, le but de son ambition et de tous ses efforts, était de prendre rang parmi les grands industriels de France.

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