Elle hésitait, encore, il prit sur la table la lettre de Prosper, qu’elle y avait posée, et il continua:
– Quoi! monsieur Bertomy, dans un moment terrible, alors qu’il va être arrêté, vous écrit pour vous tracer votre conduite, et vous voulez rendre vaine cette sage précaution! Que vous dit-il? Tenez, relisons ensemble ce billet, qui est comme le testament de sa liberté. Il vous dit: «Si tu m’aimes, je t’en prie, obéis…» Et vous hésitez à obéir. Il vous dit encore: «Il y va de ma vie…» Vous ne l’aimez donc pas? Quoi! vous ne comprenez pas, malheureuse enfant, qu’en vous conjurant de fuir, de vous cacher, monsieur Bertomy a ses raisons, raisons impérieuses, terribles.
Ces raisons, M. Fanferlot les avait comprises en mettant le pied dans l’appartement de la rue Chaptal, et s’il ne les exposait pas encore, c’est qu’il les gardait, comme un bon général garde sa réserve, pour décider la victoire. Mme Gypsy était assez intelligente pour les deviner.
– Des raisons!… commença-t-elle; Prosper voudrait donc qu’on ignorât notre liaison!…
Elle demeura un instant pensive, puis le jour tout à coup se faisant dans son esprit, elle s’écria:
– Oui! je comprends maintenant. Folle que je suis, de n’avoir pas vu cela tout de suite! En effet, ma présence ici, où je suis depuis un an, serait contre lui une charge accablante. On dresserait l’inventaire de tout ce que je possède, de mes robes, de mes dentelles, de mes bijoux, et on lui ferait un crime de mon luxe. On lui demanderait où il a pris assez d’argent pour me combler à ce point de ne me rien laisser à désirer.
L’agent de la sûreté baissa la tête en signe d’assentiment.
– C’est bien cela, répondit-il.
– Mais alors il faut fuir, monsieur, fuir bien vite! Qui sait si la police n’est pas déjà prévenue, si elle ne va pas se présenter.
– Oh! fit M. Fanferlot, de l’air le plus dégagé, vous avez le temps, la police n’est ni si habile ni si prompte.
– Peu importe!…
Et laissant seul l’agent de la sûreté, Mme Nina se précipita dans sa chambre à coucher, appelant à grands cris sa femme de chambre, sa cuisinière, le petit groom lui-même, ordonnant de vider les tiroirs et les armoires, d’entasser pêle-mêle dans des malles tout ce qui lui appartenait, et de se dépêcher surtout, de se presser.
Elle-même donnait l’exemple, et du meilleur cœur, quand une idée soudaine la ramena près de Fanferlot.
– Tout est prêt à l’instant, dit-elle, et je pars; mais où aller?
– Monsieur Bertomy ne vous le dit-il pas, chère dame? À l’autre bout de Paris, dans une maison meublée, dans un hôtel.
– C’est que je n’en connais pas.
L’homme de la préfecture eut l’air de réfléchir. Il avait mille peines à dissimuler une joie singulière qui éclatait, quoi qu’il fît, dans ses petits yeux ronds.
– Je connais bien un hôtel, moi, dit-il enfin, mais il ne vous conviendra peut-être pas. Dame! ce n’est pas luxueux comme ici…
– Y serai-je bien?
– Avec ma recommandation, vous serez traitée comme une petite reine, et cachée surtout…
– Où est-ce?
– De l’autre côté de l’eau, quai Saint-Michel, hôtel du Grand-Archange, tenu par madame Alexandre…
Mme Nina n’a jamais été longue à prendre une détermination.
– Voici de quoi écrire, dit-elle à l’agent; faites votre lettre de recommandation.
En une minute il eut fini.
– Avec ces trois lignes, belle dame, dit-il, vous ferez de madame Alexandre tout ce que vous voudrez.
– C’est bien! Maintenant, comment faire savoir mon adresse à Cavaillon? C’est lui qui devait me remettre la lettre de Prosper…
– Il n’a pu venir, chère madame, interrompit l’agent de la sûreté, mais je vais le voir tout à l’heure et je lui dirai où vous trouver…
Mme Gypsy allait envoyer chercher une voiture, Fanferlot, qui se dit pressé, se chargea de la commission. Le prétexte pour s’esquiver était bon.
Il jouait d’ailleurs de bonheur ce jour-là. Un fiacre passait devant la maison, il l’arrêta.
– Tu vas, dit-il au cocher après lui avoir décliné ses titres, attendre ici une petite dame brune qui va descendre avec des colis. Si elle te dit de la conduire quai Saint-Michel, tu feras claquer ton fouet; si elle te donne une autre adresse, descends de ton siège avant de partir, comme pour arranger un trait; je serai à portée de voir et d’entendre.
En effet, il alla s’établir de l’autre côté de la rue, chez un marchand de vins. Il était tout étourdi de ce qu’il venait d’apprendre, et ne sachant plus que penser au juste, il avait besoin de mettre de l’ordre dans ses idées.
Il n’en eut guère le temps: de formidables coups de fouet troublaient le silence de la rue; Mme Nina se rendait au Grand-Archange.
– Allons! s’écria-t-il gaiement, celle-là, du moins, je la tiens.
4
À cette heure même où Mme Nina Gypsy allait chercher un refuge à cet hôtel du Grand-Archange, qui lui avait été indiqué par M. Fanferlot, dit l’Écureuil, Prosper Bertomy était écroué au dépôt de la préfecture de police.
Depuis le moment où, maître de ses impressions, il avait réussi à reprendre son maintien habituel, son sang-froid ne s’était plus démenti.
Vainement les gens qui l’entouraient, observateurs ingénieux, avaient épié une défaillance de son regard, une expression douteuse de sa physionomie, ils l’avaient trouvé de marbre.
Même, on aurait pu le croire insensible à son affreuse situation, sans une oppression douloureuse que révélait sa respiration plus pressée, sans les gouttes de sueur qui perlaient le long de ses tempes, trahissant d’horribles angoisses.
Chez le commissaire de police où il était resté plus de deux heures pendant qu’on était allé quérir des ordres, il avait causé avec les deux sergents de ville qui le gardaient.
Vers midi, étant à jeun, il sentit, à ce qu’il déclara, le besoin de prendre quelque chose. On lui fit apporter à déjeuner du restaurant voisin, et il mangea d’assez bon appétit, et but presque toute une bouteille de vin.
Pendant qu’il était là, dix agents au moins et divers employés de la préfecture, qui tous les matins ont affaire aux commissaires de police, vinrent examiner curieusement sa contenance. Tous eurent la même opinion et la formulèrent dans des termes presque pareils. Ils disaient:
– C’est un solide mâtin!
Ou encore: