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Il connaissait de réputation le riche banquier, et il songeait au parti qu’il pouvait tirer de ce qu’il venait d’entendre. Il est de ces secrets qui, bien exploités, valent une ferme en Brie.

Les terreurs d’une vieillesse misérable chassèrent ses derniers scrupules.

Avant tout, pensait-il, je dois m’assurer de la réalité des dires de cette vieille; après, je ferai mon plan.

C’est pourquoi, le surlendemain, ayant reçu les cinq mille deux cent quatre-vingts francs de Fougeroux, Louis de Clameran partait pour Londres.

16

Après plus de vingt années de mariage, Valentine de La Verberie, devenue Mme Fauvel, n’avait éprouvé qu’une douleur réelle, encore était-ce une de ces douleurs qui fatalement nous atteignent en nos plus chères affections.

En 1859, elle avait perdu sa mère, prise d’une fluxion de poitrine pendant un de ses fréquents voyages à Paris.

Depuis, Mme Fauvel se plaisait à le répéter, elle n’avait plus eu un sujet sérieux de chagrin, elle n’avait pas eu une occasion de verser une larme.

Qu’avait-elle à souhaiter? Après tant d’années, André restait pour elle ce qu’il était aux premiers jours de leur union. À l’amour qui n’avait pas diminué se joignait cette intimité délicieuse qui résulte d’une longue conformité de pensées et une confiance sans bornes.

Tout avait réussi au gré de ce fortuné ménage. André avait voulu être riche, il l’était bien au-delà de ses espérances; bien au-delà, surtout, de ses désirs et de ceux de Valentine.

Leurs deux fils, Lucien et Abel, beaux comme leur mère, nobles cœurs, vaillantes intelligences, étaient de ces élus qui sont la glorification de leur famille et portent au-dehors comme un reflet du bonheur domestique.

Il était dit qu’il ne manquerait rien aux félicités de Valentine. Pour les heures de solitude, quand par hasard son mari et ses fils s’éloignaient une soirée, elle avait une compagne, une jeune fille accomplie, Madeleine, élevée par elle, qu’elle aimait comme ses propres enfants, qui avait pour elle les tendresses attentives d’une fille dévouée.

Madeleine était une nièce de M. Fauvel, qui avait perdu ses parents, de pauvres honnêtes gens, quand elle était encore au berceau, et que Valentine avait voulu recueillir, peut-être en souvenir du pauvre abandonné de Londres.

Il lui semblait que Dieu, pour cette bonne œuvre, la bénirait, et que Madeleine serait l’ange gardien de la maison.

Le jour de l’arrivée de l’orpheline, M. Fauvel avait déclaré qu’il voulait lui ouvrir un compte, et en effet, il avait fait inscrire dix mille francs pour la dot de Madeleine.

Ces dix mille francs, le riche banquier s’était amusé à les faire valoir d’une façon extraordinaire. Lui qui, pour son compte, n’avait jamais risqué une spéculation douteuse, il prenait plaisir à jouer sur les valeurs les plus invraisemblables, avec l’argent de sa nièce. Ce n’était qu’un jeu, aussi y gagnait-il toujours, si bien qu’en quinze ans, les dix mille francs étaient devenus un demi-million.

Ils avaient donc raison, ceux qui enviaient la famille Fauvel.

Même à la longue, les cuisants remords et les soucis de Valentine faisaient trêve. À la bienfaisante influence de cette atmosphère de bonheur, elle avait presque trouvé l’oubli et la paix de la conscience. Elle avait si cruellement expié sa faute, elle avait tant souffert d’avoir trompé André, qu’elle se croyait comme quitte avec le sort.

Elle osait maintenant envisager l’avenir, sa jeunesse perdue dans un brouillard opaque n’était plus pour elle que le souvenir d’un songe pénible.

Oui, elle se croyait sauvée, quand, pendant une absence de son mari, appelé en province par des intérêts graves, un jour du mois de novembre, dans l’après-midi, un des domestiques lui apporta une lettre remise chez le concierge par un inconnu qui avait refusé de dire son nom.

Sans que le plus vague pressentiment fît trembler ou hésiter sa main, elle brisa l’enveloppe et lut:

Madame,

Est-ce trop compter sur la mémoire de votre cœur que d’espérer une demi-heure d’entretien?

Demain, entre deux et trois heures, j’aurai l’honneur de me présenter à votre hôtel.

Marquis de Clameran.

Par bonheur, Mme Fauvel était seule.

Une angoisse aussi affreuse que celle qui précède la mort éteignit le cœur de la pauvre femme à l’instant où, d’un coup d’œil, elle parcourut le billet.

Dix fois elle le relut à demi-voix, comme pour se bien pénétrer de l’épouvantable réalité, pour se prouver qu’elle n’était pas victime d’une hallucination.

Ce n’est qu’après bien du temps qu’elle put recueillir ses idées plus éparpillées que les feuilles d’automne après l’ouragan, qu’elle put réfléchir.

Alors elle commença à se dire qu’elle s’était alarmée trop tôt et inutilement. De qui était cette lettre? De Gaston, sans doute. Eh bien! quelle raison de trembler?

Gaston, revenu en France, voulait la revoir. Elle comprenait ce désir; mais elle connaissait assez cet homme, jadis tant aimé, pour savoir qu’elle n’avait rien à redouter de lui Il viendrait, il la trouverait mariée à un autre, vieillie, mère de famille, ils échangeraient un souvenir, un regret peut-être, elle lui rendrait le dépôt qu’il lui avait confié, et ce serait tout.

Mais elle était assaillie de doutes affreux. Révélerait-elle à Gaston qu’elle avait eu un fils de lui?

Avouer? C’était se livrer. C’était mettre à la merci d’un homme – le plus loyal et le plus honnête certainement, mais enfin d’un homme – non seulement son honneur et son bonheur à elle, mais l’honneur et le bonheur de son mari et de ses enfants.

Se taire? C’était commettre un crime. C’était, après avoir abandonné son enfant, après l’avoir privé des soins et des caresses d’une mère, lui voler le nom et la fortune de son père.

Elle se demandait quelle décision prendre, quand on vint la prévenir que le dîner était servi.

Mais elle ne se sentait pas le courage de descendre. Affronter les regards de ses fils était au-dessus de ses forces. Elle se dit très souffrante et gagna sa chambre, heureuse, pour la première fois, de l’absence de son mari.

Bientôt Madeleine, inquiète, accourut, mais elle la renvoya, disant que ce n’était rien qu’un mal de tête, et qu’elle voulait essayer de dormir.

Elle voulait rester seule en face du malheur, et son esprit s’efforçait de pénétrer l’avenir, de deviner ce qui arriverait le lendemain.

Il vint, ce lendemain qu’elle redoutait et qu’elle souhaitait.

Jusqu’à deux heures, elle compta les heures. Après, elle compta les minutes.

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