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– Ou vous!

Le banquier eut un geste de menace, et on ne sait ce qui serait arrivé si tout à coup on n’avait entendu à la porte, donnant sur le vestibule, le bruit d’une discussion.

Un client voulait absolument entrer, malgré les protestations des garçons, et, en effet, il entra. C’était M. de Clameran.

Tous les employés réunis dans le bureau se tenaient debout, immobiles, glacés; le silence était profond, solennel. Il était aisé de voir que quelque question terrible, question de vie ou de mort se débattait entre tous ces hommes.

Le maître de forges ne voulut rien voir. Il s’avança, toujours le chapeau sur la tête, et du même ton impertinent, il dit:

– Il est dix heures passées, messieurs.

Personne ne répondit, et M. de Clameran allait poursuivre, lorsqu’il aperçut le banquier qu’il n’avait pas vu. Il marcha droit à lui.

– Enfin! monsieur! s’écria-t-il, je vous trouve, et c’est vraiment fort heureux. Déjà une fois, ce matin, je me suis présenté, la caisse n’était pas ouverte, le caissier n’était pas arrivé; vous étiez absent.

– Vous vous trompez, monsieur, j’étais dans mon cabinet.

– On m’a cependant affirmé le contraire, et tenez, c’est monsieur que voici qui me l’a assuré.

Et du doigt le maître de forges désignait Cavaillon.

– Cela d’ailleurs importe peu, reprit-il; je reviens, et cette fois non seulement la caisse est fermée, mais on me refuse l’entrée des bureaux. Bien m’en a pris de violer la consigne; vous allez me dire si je puis, oui ou non, retirer mes fonds.

M. Fauvel écoutait tremblant de colère; de blême il était devenu cramoisi; pourtant il se contenait.

– Je vous serais obligé, monsieur, dit-il enfin d’une voix sourde, de vouloir bien m’accorder un délai.

– Il me semble que vous m’aviez dit…

– Oui, hier. Mais ce matin, à l’instant, j’apprends que je suis victime d’un vol de trois cent cinquante mille francs.

M. de Clameran s’inclina ironiquement.

– Et faudra-t-il attendre bien longtemps? demanda-t-il.

– Le temps d’aller à la Banque.

Aussitôt, tournant le dos au maître de forges, M. Fauvel revint à son caissier.

– Préparez un bordereau, lui dit-il; envoyez au plus vite; qu’on prenne une voiture pour retirer les fonds disponibles à la Banque.

Prosper ne bougea pas.

– M’avez-vous entendu? répéta le banquier près d’éclater.

Le caissier tressaillit; on eût dit qu’il sortait d’un songe.

– Envoyer est inutile, répondit-il froidement, la créance de monsieur est de trois cent mille francs, et il ne nous reste pas cent mille francs à la Banque.

Cette réponse, on eût juré que M. de Clameran l’attendait, car il murmura:

– Naturellement…

Il ne prononça que ce mot; mais sa voix, son geste, sa physionomie signifiaient clairement: «La comédie est bien jouée, mais c’est une comédie, et je n’en suis pas dupe.»

Hélas! pendant que le maître de forges laissait ainsi percer brutalement son opinion, les employés, après la réponse de Prosper, ne savaient que penser.

C’est que Paris, à ce moment, venait d’être éprouvé par d’éclatants sinistres financiers. La tourmente de la spéculation avait fait chanceler de vieilles et solides maisons. On avait vu des hommes honorables et des plus fiers aller de porte en porte implorer aide et assistance.

Le crédit, cet oiseau rare du calme et de la paix, hésitait à se poser, prêt à ouvrir ses ailes au moindre bruit suspect.

C’est dire que cette idée d’une comédie convenue à l’avance entre le banquier et son caissier pouvait fort bien se présenter à l’esprit de gens, sinon prévenus, au moins très à même de comprendre tous les expédients qui, en faisant gagner du temps, peuvent assurer le salut.

M. Fauvel avait trop d’expérience pour ne pas deviner l’impression produite par la phrase de Prosper; il lisait le doute le plus mortifiant dans tous les yeux.

– Oh! soyez tranquille, monsieur, dit-il vivement à M. de Clameran; ma maison a d’autres ressources, veuillez prendre patience, je reviens.

Il sortit, monta jusqu’à son cabinet, et, au bout de cinq minutes, reparut tenant à la main une lettre et une liasse de titres.

– Vite, Couturier, dit-il à un de ses employés, prenez ma voiture qu’on attelle, et allez avec monsieur jusque chez monsieur de Rothschild. Vous remettrez la lettre et les titres que voici, et, en échange, on vous comptera trois cent mille francs que vous donnerez à monsieur.

Le désappointement du maître de forges était visible; il sembla vouloir excuser son impertinence.

– Croyez, monsieur, commença-t-il, que je n’avais aucune intention offensante. Voici des années, déjà, que nous sommes en relations et jamais…

– Assez, monsieur, interrompit le banquier, je n’ai que faire de vos excuses. Il n’y a, en affaires, ni connaissances ni amis. Je dois, je ne suis pas en mesure, vous êtes… pressant; c’est juste, vous êtes dans votre droit. Suivez mon commis, il vous remettra vos fonds.

Puis se tournant vers les employés qu’avait attirés la curiosité:

– Quant à vous, messieurs, dit-il, veuillez regagner vos bureaux.

En un moment la pièce qui précède la caisse fut vide. Seuls les commis qui y travaillent y étaient restés, et assis devant leur pupitre, le nez sur leur papier, ils semblaient absorbés par leur besogne.

Encore sous le coup des rapides événements qui venaient de se succéder, M. André Fauvel se promenait de long en large, agité, fiévreux, laissant par intervalles échapper quelque sourde exclamation.

Prosper, lui, était resté debout, appuyé à la cloison. Pâle, anéanti, les yeux fixes, il paraissait avoir perdu jusqu’à la faculté de penser.

Enfin, après un long silence, le banquier s’arrêta devant Prosper; il avait pris son parti et arrêté ses déterminations.

– Il faut pourtant nous expliquer, dit-il; passez dans votre bureau.

Le caissier obéit sans mot dire, presque machinalement, et son patron le suivit, prenant bien soin de refermer la porte derrière lui.

Rien dans ce bureau n’annonçait le passage de malfaiteurs étrangers à la maison. Tout était en place; pas un papier n’avait été dérangé.

Le coffre-fort était ouvert, et sur la tablette supérieure on voyait un certain nombre de rouleaux d’or, oubliés ou dédaignés par les voleurs.

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