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Pendant plus d’une heure après le départ de Raoul, Mme Fauvel était restée plongée dans cet état d’engourdissement voisin de l’insensibilité absolue qui suit également les grandes crises morales et de violentes douleurs physiques.

Peu à peu cependant elle revint au sentiment de la situation présente, et avec la faculté de penser la faculté de souffrir lui revenait.

Elle comprenait maintenant qu’elle avait été dupe d’une odieuse comédie, Raoul l’avait torturée de sang-froid, avec préméditation, se faisant un jeu de ses souffrances, spéculant sur sa tendresse.

Mais Prosper avait-il, oui ou non, secondé le vol dont Raoul venait de la rendre complice.

Pour Mme Fauvel, tout était là.

Ce qu’elle avait su de la conduite de Prosper rendait vraisemblable l’assertion de Raoul, et, toujours aveuglée, elle aimait à attribuer à un autre qu’à son fils la première idée du crime.

On lui avait dit que Prosper aimait une de ces créatures qui fondent les patrimoines au feu de caprices étranges et pervertissent les meilleures natures. Dès lors, elle pouvait le supposer capable de tout.

Ne savait-elle pas, par expérience, où peut conduire une imprudence!…

Pourtant, elle excusait Prosper coupable, et elle s’avouait que sur elle retombait toute responsabilité.

Réfléchissant, elle ne savait quel parti prendre, se demandant si elle devait, ou non, se confier à Madeleine.

Fatalement inspirée, elle décida que le crime de Raoul resterait son secret.

Lors donc que sur les onze heures Madeleine revint de soirée, elle ne lui dit rien et même parvint à dissimuler toute trace de souffrance, assez habilement pour éviter les questions.

Son calme ne se démentit pas lorsque rentrèrent M. Fauvel et Lucien.

Et pourtant elle venait d’être saisie de transes affreuses. L’idée pouvait venir au banquier de descendre dans ses bureaux, de vérifier la caisse; cela lui était arrivé bien rarement, mais enfin cela lui était arrivé.

Comme par un fait exprès, le banquier, ce soir-là, ne parla que de Prosper, du chagrin qu’il éprouvait de le voir se déranger, des inquiétudes qu’il en ressentait et enfin des raisons qui, selon lui, l’éloignaient de la maison.

Par bonheur, pendant qu’il traitait fort mal son caissier, M. Fauvel ne regarda ni sa femme ni sa nièce. Il eût été bien intrigué de leur singulière contenance.

Cette nuit, pour Mme Fauvel, devait être et fut un long et intolérable supplice.

Dans six heures, se disait-elle, dans trois heures, dans une heure, tout sera découvert. Qu’arrivera-t-il?

Le jour vint, la maison s’éveilla; elle entendit aller et venir les domestiques. Puis, le bruit des bureaux qu’on ouvrait, des employés qui arrivaient, monta jusqu’à elle.

Mais quand elle voulut se lever, elle ne le put. Une invincible faiblesse et d’atroces douleurs la rejetèrent sur ses oreillers. Et c’est là, grelottant, et cependant baignée des sueurs de l’angoisse, qu’elle attendit le résultat.

Elle attendait, penchée sur le bord de son lit, l’oreille au guet, lorsque la porte de sa chambre s’ouvrit. Madeleine, qui venait de la quitter, reparut.

L’infortunée était plus pâle qu’une morte, ses yeux avaient l’éclat du délire, elle frissonnait comme les feuilles du tremble au vent de l’orage.

Mme Fauvel comprit que le crime était découvert.

– Tu sais ce qui arrive, n’est-ce pas, ma tante? dit Madeleine d’une voix stridente. On accuse Prosper d’un vol; le commissaire est là qui va le conduire en prison.

Un gémissement fut la seule réponse de Mme Fauvel.

– Je reconnais là, poursuivait la jeune fille, la main de Raoul ou du marquis…

– Quoi! comment expliquer?…

– Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que Prosper est innocent. Je viens de le voir, de lui parler. Coupable, il n’eût pas osé lever les yeux sur moi.

Mme Fauvel ouvrait la bouche pour tout avouer: elle n’osa.

– Que veulent donc de nous ces monstres? disait Madeleine, quels sacrifices exigeront-ils? Déshonorer Prosper!… Mieux valait l’assassiner… je me serais tue.

L’entrée de M. Fauvel interrompit Madeleine. La fureur du banquier était telle qu’à peine il pouvait parler.

– Le misérable! balbutiait-il, oser m’accuser, moi!… Laisser entendre que je me suis volé… Et ce marquis de Clameran, qui semble suspecter ma bonne foi.

Alors, sans prendre attention aux impressions des deux femmes, il raconta tout ce qui s’était passé.

– Je pressentais cela hier soir, conclut-il; voilà où mène l’inconduite.

Ce jour-là, le dévouement de Madeleine pour sa tante fut mis à une rude épreuve.

La généreuse fille vit traîner dans la boue l’homme qu’elle aimait; elle croyait à son innocence comme à la sienne même: elle pensait connaître ceux qui avaient ourdi le complot dont il était victime, et elle n’ouvrit pas la bouche pour le défendre.

Cependant Mme Fauvel devinait les soupçons de sa nièce; elle comprit que la maladie était un indice, et bien que mourante, elle eut le courage de se lever pour le déjeuner.

Ce fut un triste repas. Personne ne mangea. Les domestiques marchaient sur la pointe des pieds et parlaient bas, comme dans les maisons où il est arrivé un grand malheur.

Sur les deux heures, M. Fauvel était renfermé dans son cabinet, quand un garçon de recette vint le prévenir que le marquis de Clameran demandait à lui parler.

– Quoi! s’écria le banquier, il ose…

Mais il réfléchit et ajouta:

– Qu’on le prie de monter.

Ce nom seul de Clameran avait suffi pour réveiller les colères mal apaisées de M. Fauvel. Victime d’un vol le matin, sa caisse se trouvant vide en face d’un remboursement, il avait pu imposer silence à son ressentiment; à cette heure, il se promettait bien, il se réjouissait de prendre sa revanche.

Mais le marquis ne voulait pas monter. Bientôt le garçon de recette apparut, annonçant que cet importun visiteur tenait, pour des raisons majeures, à parler à M. Fauvel dans ses bureaux.

– Qu’est-ce que cette exigence nouvelle? s’écria le banquier.

Et aussi irrité que possible, ne voyant nul motif de se contenir, il descendit.

M. de Clameran attendait, debout, dans la première pièce, celle qui précède la caisse. M. Fauvel alla droit à lui:

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