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– Que désirez-vous encore, monsieur? demanda-t-il brutalement; on vous a payé, n’est-ce pas? J’ai votre reçu.

À la grande surprise de tous les employés et du banquier lui-même, le marquis ne sembla ni ému ni choqué de l’apostrophe.

– Vous êtes dur pour moi, monsieur, répondit-il, d’un ton de déférence étudiée, sans humilité cependant, mais je l’ai mérité. C’est même pour cela que je suis venu. Un galant homme souffre toujours quand il s’est mis dans son tort, c’est là mon cas, monsieur, et je suis heureux, que mon passé me permette de l’avouer hautement sans risquer d’être taxé de faiblesse. Si j’ai insisté pour vous parler ici et non dans votre cabinet, c’est qu’ayant été parfaitement inconvenant devant vos employés c’est devant eux que je vous prie d’agréer mes excuses.

La conduite de Clameran était si inattendue, elle contrastait tellement avec ses hauteurs accoutumées que c’est à peine si le banquier trouva au service de son étonnement quelques paroles banales.

– Oui, en effet, je l’avoue, vos insinuations, certains doutes…

– Ce matin, poursuivit le marquis, j’ai eu un moment d’excessif dépit dont je n’ai pas été le maître. Mes cheveux grisonnent, c’est vrai, mais quand je suis en colère je suis violent et inconsidéré comme à vingt ans. Mes paroles, croyez-le, ont trahi ma pensée intime, et je les regrette amèrement.

M. Fauvel, très emporté lui-même et excellent en même temps, devait mieux que tout autre apprécier la conduite de Clameran et en être touché. D’ailleurs une longue vie de scrupuleuse probité ne saurait être atteinte par un propos inconsidéré. Devant des explications si loyalement données, sa rancune ne tint pas.

Il tendit la main à Clameran en disant:

– Que tout soit oublié, monsieur.

Ils s’entretinrent amicalement quelques minutes, Clameran expliqua pourquoi il avait eu un si pressant besoin de ses fonds, et, en se retirant, il annonça qu’il allait faire demander à Mme Fauvel la permission de lui présenter ses hommages.

– Ce sera peut-être indiscret, fit-il avec une nuance visible d’hésitation, après le chagrin qu’elle a dû éprouver ce matin.

– Oh! il n’y a pas d’hésitation, répondit le banquier, je crois même que causer un peu la distraira, et moi, je suis forcé de sortir pour cette funeste affaire.

Mme Fauvel était alors dans le petit salon où, la veille, Raoul l’avait menacée de se tuer. De plus en plus souffrante, elle était à demi couchée sur un canapé, et Madeleine était près d’elle.

Lorsque le domestique annonça M. Louis de Clameran, elles se dressèrent toutes deux épouvantées comme par une effroyable apparition.

Lui avait eu le temps, en montant l’escalier, de composer son visage. Presque gai en quittant le banquier, il était maintenant grave et triste.

Il salua; on lui montra un fauteuil, mais il refusa de s’asseoir.

– Vous m’excuserez, mesdames, commença-t-il, d’oser troubler votre affliction, mais j’ai un devoir à remplir.

Les deux femmes se taisaient, elles paraissaient attendre une explication, alors il ajouta en baissant la voix:

– Je sais tout!

D’un geste, Mme Fauvel essaya de l’interrompre. Elle comprenait qu’il allait révéler le secret caché à sa nièce.

Mais Louis ne voulut pas voir ce geste. Il ne semblait s’occuper que de Madeleine, qui lui dit:

– Expliquez-vous, monsieur.

– Il n’y a qu’une heure, répondit-il, que je sais comment, hier soir, Raoul, recourant aux plus infâmes violences, s’est fait livrer par sa mère la clé de la caisse et a volé trois cent cinquante mille francs.

La colère et la honte empourprèrent à ces mots les joues de Madeleine.

Elle se pencha sur sa tante et lui saisissant les poignets qu’elle secoua:

– Est-ce vrai, cela? demanda-t-elle d’une voix sourde, est-ce vrai?

– Hélas! gémit Mme Fauvel anéantie.

Madeleine se releva, confondue de tant d’indigne faiblesse.

– Et tu as laissé accuser Prosper! s’écria-t-elle, tu le laisses déshonorer, il est en prison!

– Pardon!… murmura Mme Fauvel, j’ai eu peur, il voulait se tuer; puis, tu ne sais pas… Prosper et lui étaient d’accord.

– Oh! s’écria Madeleine, révoltée, on t’a dit cela et tu as pu le croire!…

Clameran jugea le moment d’intervenir.

– Malheureusement, dit-il d’un air navré, madame votre tante ne calomnie pas monsieur Bertomy.

– Des preuves! monsieur! des preuves!

– Nous avons l’aveu de Raoul.

– Raoul est un misérable!

– Je ne le sais que trop, mais enfin qui a révélé le mot? Qui a laissé l’argent en caisse? Monsieur Bertomy, incontestablement.

Ces objections ne parurent nullement toucher Madeleine.

– Et maintenant, dit-elle sans prendre la peine de cacher un mépris qui allait jusqu’au dégoût, savez-vous ce qu’est devenu l’argent?

Il n’y avait pas à se méprendre au sens de cette question. Soulignée d’un regard écrasant, elle signifiait: «Vous avez été l’instigateur du vol, et vous êtes le receleur.» Cette sanglante injure d’une jeune fille qu’il aimait à ce point que lui, le bandit si prudent, il risquait pour elle les produits de ses crimes, atteignit si bien Clameran, qu’il devint livide. Mais son thème était trop nettement arrêté pour qu’il pût être déconcerté.

– Un jour viendra, mademoiselle, reprit-il, où vous regretterez de m’avoir traité si cruellement. La signification exacte de votre question, je l’ai comprise, oh! ne prenez pas la peine de nier…

– Mais je ne nie rien, monsieur.

– Madeleine! murmura Mme Fauvel, qui tremblait, en voyant attiser ainsi les passions mauvaises de l’homme qui tenait sa destinée entre ses mains; Madeleine, pitié!…

– Oui, fit tristement Clameran, mademoiselle est impitoyable; elle punit cruellement un homme d’honneur, dont le seul tort est d’avoir obéi aux dernières volontés d’un frère mourant. Et si je suis ici, cependant, c’est que je suis de ceux qui croient à la solidarité de tous les membres d’une famille.

Il sortit lentement des poches de côté de son paletot plusieurs liasses de billets de banque et les déposa sur la cheminée.

– Raoul, prononça-t-il, a volé trois cent cinquante mille francs, voici cette somme. C’est plus de la moitié de ma fortune. De grand cœur je donnerais ce qu’il me reste pour être sûr que ce crime sera le dernier.

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