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Et il cherchait en son esprit fertile, encyclopédie de ruses, quelque combinaison qui pût faire jaillir la lumière.

Minuit sonnait quand le fiacre arriva devant l’hôtel du Grand-Archange, et alors seulement M. Verduret, arraché à ses méditations, s’aperçut qu’il n’avait pas dîné.

Par bonheur, Mme Alexandre l’attendait et, en un clin d’œil un souper fut improvisé. C’était plus que des prévenances, plus que du respect qu’elle avait pour son hôte. Prosper le remarqua fort bien, elle considérait son compagnon avec une sorte d’admiration ébahie.

Ayant fini de manger, M. Verduret se leva.

– Vous ne me verrez pas demain de la journée, dit-il à Prosper, mais le soir, vers cette heure, je serai ici. Peut-être aurai-je eu la chance de trouver ce que je cherche au bal de messieurs Jandidier.

Prosper faillit tomber de son haut. Quoi! M. Verduret songeait à se présenter à une fête donnée par des financiers des plus opulents de la capitale! C’était donc pour cela qu’il l’avait envoyé chez le costumier.

– Vous êtes donc invité? demanda-t-il.

Un fin sourire passa dans les yeux si expressifs de M. Verduret.

– Pas encore, répondit-il, mais je le serai.

Ô contradiction de l’esprit humain! Les plus poignantes préoccupations tenaillaient la pensée de Prosper, et maintenant, en regardant tristement sa chambre, songeant aux projets de M. Verduret, il murmurait:

– Ah! il est heureux, lui, demain, il verra Madeleine, plus belle que jamais, avec son costume de fille d’honneur.

11

C’est vers le milieu de la rue Saint-Lazare que s’élèvent les hôtels jumeaux de messieurs Jandidier, deux financiers célèbres qui, dépouillés du prestige de leurs millions, seraient encore des hommes remarquables. Que n’en peut-on dire autant de tous!

Ces deux hôtels, qui lors de leur achèvement, il y a quelques années, firent pousser à la presse des cris d’admiration, sont absolument distincts l’un de l’autre, mais disposés habilement de façon à n’en faire qu’un au besoin.

Quand messieurs Jandidier donnent une fête, ils font enlever les épaisses cloisons mobiles, et leurs salons sont alors des plus beaux qu’il y ait à Paris.

Magnificence princière, merveilleuse entente du confort, hospitalité pleine de prévenances, tout contribue à rendre ces fêtes des plus courues et des plus recherchées qu’il soit.

C’est dire que le samedi, la rue Saint-Lazare était encombrée de voitures prenant la file en attendant leur tour.

À dix heures, on dansait déjà dans deux salons.

C’était un bal travesti. Presque tous les costumes étaient d’une grande richesse, beaucoup du meilleur goût, quelques-uns vraiment originaux.

Parmi ces derniers, on remarquait surtout un Paillasse, oh! mais un vrai, ayant l’admirable physionomie de l’emploi, œil insolent, bouche gourmande et gouailleuse, pommettes allumées, et une barbe si rouge qu’elle semblait flamber au feu des lustres.

Le costume était exact comme la tradition: les bottes étaient à revers, le chapeau était suffisamment bosselé, la dentelle du jabot s’effiloquait.

Il tenait de la main gauche la hampe d’une sorte de bannière de toile sur laquelle six ou huit tableaux étaient figurés, grossièrement peints comme les tableaux des baraques foraines. De la main droite, il agitait une petite badine, dont il frappait sa toile, par moments, à la façon des saltimbanques débitant leur boniment.

On entourait ce Paillasse, on attendait de lui quelques quolibets spirituels, mais lui, obstinément, se tenait près de la porte d’entrée.

Ce n’est guère que sur les dix heures et demie qu’il quitta son poste.

M. et Mme Fauvel, suivis de leur nièce, Madeleine, venaient d’entrer.

Un groupe compact se forma presque aussitôt près de la porte.

Depuis dix jours, l’affaire du banquier de la rue de Provence avait été l’aliment le plus vif de toutes les conversations, et, amis et ennemis étaient bien aises de l’approcher; les uns pour l’assurer de leur sympathie, les autres pour lui offrir ces équivoques compliments de condoléances, qui sont ce qu’il y a au monde de plus blessant et de plus irritant.

Enrôlé dans le bataillon des hommes sérieux, M. Fauvel ne s’était pas travesti; il avait simplement jeté sur ses épaules un court manteau de soie.

À son bras, Mme Fauvel, née Valentine de La Verberie, s’inclinait et saluait, avec la plus gracieuse affabilité.

Sa beauté avait été remarquable autrefois, et ce soir, la magie du costume y prêtant, l’illusion des lumières aidant, elle avait retrouvé la fraîcheur et l’éclat de sa jeunesse. Jamais on ne lui eût donné les quarante-huit ans qu’elle venait d’avoir.

Elle avait choisi une toilette de cour des dernières années du règne de Louis XIV, magnifique et sévère, toute de satin broché de velours, sans un diamant, sans un bijou.

Et elle le portait avec une noblesse aisée, ayant grand air, sous sa poudre, comme il convient – disaient quelques âmes charitables – à une La Verberie qui a eu le tort d’épouser un homme d’argent.

Mais c’est à Madeleine qu’allaient tous les regards. Elle semblait vraiment une reine sous ce costume de fille d’honneur, inventé comme à plaisir pour faire valoir les richesses de sa taille.

Aux tièdes parfums des salons, sous le rayonnement des lustres, sa beauté s’épanouissait. Jamais ses cheveux n’avaient été si noirs, jamais son teint n’avait paru si blanc, jamais ses grands yeux n’avaient eu ces lueurs.

Une fois entrée, Madeleine prit le bras de sa tante, pendant que M. Fauvel se perdait dans la foule, cherchant à gagner un des salons de jeu, refuges des hommes graves.

Le bal était alors à l’apogée de ses splendeurs.

Deux orchestres, sous la baguette de Strauss et d’un de ses lieutenants, remplissaient les deux hôtels de leurs fanfares. La foule bigarrée se mêlait et tourbillonnait, et c’était un merveilleux fouillis d’étoffes d’or et de satins, de velours et de dentelles.

Les diamants étincelaient sur les têtes et sur les poitrines, les joues les plus pâles rougissaient, les yeux brillaient, et les épaules des femmes resplendissaient, plus blanches, comme les neiges aux premiers rayons du soleil d’avril.

Oublié, lui et sa bannière, le Paillasse s’était réfugié dans l’embrasure d’une fenêtre, et il s’y tenait debout, le coude appuyé à la poignée ciselée de l’espagnolette.

Il semblait quelque peu ému de tant de magnificences, et quelque chose de ces enivrements lui montait à la tête. Pourtant il ne perdait pas de vue un couple qui dansait à une faible distance de lui.

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