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– Oui, madame, cela et bien d’autres choses encore. Je sais par exemple que votre mari ne connaît personne de votre famille, et que c’est à peine s’il se doute de l’existence de votre cousine de Lagors. Commencez-vous à comprendre mon plan?

Elle l’entrevoyait, au moins, et elle se demandait comment résister.

– Voici donc, poursuivait Louis, ce que j’ai imaginé: demain ou après-demain, vous recevrez de Saint-Rémy une lettre de votre cousine, vous annonçant qu’elle envoie son fils à Paris et vous priant de veiller sur lui. Naturellement vous montrez cette lettre à votre mari, et quelques jours plus tard, il reçoit à merveille son neveu Raoul de Lagors, un charmant garçon, riche, spirituel, aimable, qui fera tout pour lui plaire et qui lui plaira.

– Jamais! monsieur, s’écria Mme Fauvel, jamais ma cousine qui est une honnête femme ne prêtera les mains à cette comédie révoltante.

Le marquis eut un sourire plein de fatuité.

– Vous ai-je dit, demanda-t-il que je mettrais la cousine dans la confidence?

– Il le faudrait bien!

– Oh! que nenni! La lettre que vous recevrez et que vous montrerez aura été dictée par moi à la première femme venue, et mise à la poste à Saint-Rémy par une personne de confiance. Si j’ai parlé des obligations que vous a votre cousine, c’est pour vous montrer qu’en cas d’accident son intérêt nous répond d’elle. Apercevez-vous encore quelque obstacle?

Mme Fauvel s’était levée transportée d’indignation.

– Il y a ma volonté! s’écria-t-elle, que vous ne comptez pas.

– Pardon, fit le marquis avec une politesse railleuse, je suis sûr que vous vous rendrez à mes raisons.

– Mais c’est un crime, monsieur, que vous me proposez, un crime abominable!

Clameran, lui aussi, s’était levé. Toutes ses passions mauvaises mises en jeu donnaient à sa pâle figure une expression atroce.

– Je crois, reprit-il avec une violence contenue, que nous ne nous entendons pas. Avant de parler de crime, rappelez-vous le passé. Vous étiez moins timorée le jour où, jeune fille, vous avez pris un amant. Il est vrai que vous l’avez renié, cet amant, que vous avez refusé de le suivre, lorsque pour vous il venait de tuer deux hommes et de risquer l’échafaud.

» Vous n’aviez pas de ces préjugés mesquins, quand après un accouchement clandestin, à Londres, vous abandonniez votre enfant. On doit vous rendre cette justice, que cet enfant vous l’avez oublié absolument, et que, riche à millions, vous ne vous êtes pas informée s’il avait du pain.

» Où donc étaient vos scrupules au moment d’épouser monsieur Fauvel? Avez-vous dit à cet honnête homme quel front cachait votre couronne d’oranger? Voilà des crimes. Et quand, au nom de Gaston, je vous demande réparation, vous vous révoltez! Il est trop tard. Vous avez perdu le père, madame, vous sauverez le fils, ou, sur mon honneur, vous ne volerez pas plus longtemps l’estime du monde.

– J’obéirai, monsieur, murmura l’infortunée, vaincue, écrasée.

Et huit jours après, en effet, Raoul, devenu Raoul de Lagors, dînait chez le banquier, entre Mme Fauvel et Madeleine.

17

Ce n’est pas sans d’effroyables déchirements que Mme Fauvel s’était résignée à se soumettre aux volontés de l’impitoyable marquis de Clameran.

Désespérée, elle était allée demander secours à son fils.

Raoul, en l’écoutant, avait paru transporté d’indignation, et il l’avait quittée pour courir, disait-il, arracher des excuses au misérable qui faisait pleurer sa mère.

Mais il avait trop présumé de ses forces. Bientôt il était revenu, l’œil morne, la tête basse, les traits contractés par la rage de l’impuissance, déclarant qu’il fallait se rendre, consentir, céder.

C’est alors que la pauvre femme put sonder la profondeur de l’abîme où on l’entraînait. Elle eut en ce moment comme un pressentiment des ténébreuses machinations dont elle serait la victime.

Quel horrible serrement de cœur, lorsqu’il lui fallut montrer l’œuvre du faussaire, la lettre de Saint-Rémy, lorsqu’elle annonça à son mari qu’elle attendait un de ses neveux, un tout jeune homme, très riche!

Et quel supplice, le soir où elle présenta Raoul à tous les siens.

C’est d’ailleurs le sourire aux lèvres, que le banquier accueillit ce neveu dont il n’avait jamais entendu parler, et qu’il lui tendit sa main loyale.

– Parbleu! lui avait-il dit, quand on est jeune et riche, on doit préférer Paris à Saint-Rémy.

Au moins Raoul prit-il à tâche de se montrer digne de cet accueil cordial. Si l’éducation première, cette éducation que la famille seule peut donner, lui faisait défaut, il était impossible de s’en apercevoir. Avec un tact bien supérieur à son âge, il sut assez démêler les caractères de tous les gens qui l’entouraient pour plaire à chacun d’eux.

Il n’était pas arrivé depuis huit jours qu’il avait su capter les très bonnes grâces de M. Fauvel, qu’il s’était concilié Abel et Lucien, et qu’il avait absolument séduit Prosper Bertomy, le caissier de la maison, qui passait alors toutes ses soirées chez son patron.

Depuis que Raoul, grâce aux relations de ses cousins, se trouvait lancé dans un monde de jeunes gens riches, loin de se réformer, il menait une vie de plus en plus dissipée. Il jouait, il soupait; il se montrait aux courses, et l’argent, entre ses mains prodigues, glissait comme du sable.

Cet étourdi, d’une délicatesse susceptible jusqu’au ridicule, dans les commencements, qui ne voulait de sa mère qu’un peu d’affection, ne cessait maintenant de la harceler d’incessantes demandes.

Elle avait donné avec joie, d’abord, sans compter, mais elle ne tarda pas à s’apercevoir que sa générosité, si elle n’y mettait ordre, serait sa perte.

Cette femme si riche, dont les diamants étaient cités, qui avait un des plus beaux attelages de Paris, connut, de la misère, ce qu’elle a de plus poignant: l’impérieuse nécessité de se refuser aux fantaisies de l’être aimé.

Jamais son mari n’avait eu l’idée de compter avec elle. Dès le lendemain de son mariage, il lui avait remis la clé du secrétaire, et depuis, librement, sans contrôle, elle prenait ce qu’elle jugeait nécessaire, tant pour le train considérable de la maison, que pour ses dépenses personnelles.

Mais, précisément parce qu’elle avait toujours été modeste dans ses goûts, au point que son mari l’en plaisantait, précisément parce qu’elle avait administré l’intérieur avec une sagesse extrême, elle ne pouvait disposer tout à coup de sommes assez fortes sans s’exposer à des questions inquiétantes.

Certes, M. Fauvel, le plus généreux des millionnaires, était homme à se réjouir de voir sa femme faire quelques grosses folies; mais les folies s’expliquent, on en retrouve les traces.

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