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Seulement, choisir une profession était malaisé, et Clameran pensa qu’il serait prudent de réfléchir, de consulter les goûts du jeune homme. En attendant, il fut convenu que Mme Fauvel mettrait à la disposition du marquis de quoi subvenir à toutes les dépenses de Raoul.

Voyant en ce frère de Gaston un père pour son enfant, Mme Fauvel en était venue rapidement à ne plus pouvoir se passer de lui. Sans cesse elle avait besoin de le voir, soit pour le consulter au sujet d’idées qui lui venaient, soit pour lui adresser mille recommandations.

Aussi fut-elle très satisfaite, le jour où il lui demanda de lui faire l’honneur de le recevoir chez elle ouvertement.

Rien n’était si facile. Elle présenterait à son mari le marquis de Clameran comme un vieil ami de sa famille, et il ne tiendrait qu’à lui de devenir un intime.

Mme Fauvel ne devait pas tarder à s’applaudir de cette décision.

Ne pouvant absolument continuer à voir Raoul tous les jours; n’osant, si elle lui écrivait, recevoir ses réponses, elle avait de ses nouvelles par Louis.

Les nouvelles ne restèrent pas longtemps bonnes, et moins d’un mois après le jour où Mme Fauvel avait retrouvé son fils, Clameran lui avoua que Raoul commençait à l’inquiéter sérieusement.

Le marquis s’exprimait d’un ton et d’un air à donner froid au cœur d’une mère, non sans embarras pourtant, en homme qui, pour remplir un devoir, triomphe de vives répugnances.

– Qu’y a-t-il? demanda Mme Fauvel.

– Il y a, répondit Louis, qu’en ce jeune homme je retrouve l’orgueil et les passions des Clameran. Il est de ces natures dont rien n’arrête les emportements, que les obstacles irritent, que les représentations exaspèrent, et je ne vois pas de digue à opposer à ses violences.

– Grand Dieu! que peut-il avoir fait?

– Rien de précisément blâmable, rien d’irréparable à coup sûr, mais son avenir m’effraye. Il ne sait rien encore de vos bontés pour lui, il croit puiser à ma bourse et je lui vois la prodigalité d’un fils de millionnaire.

Mme Fauvel n’eût pas été mère, si elle n’eût essayé de prendre la défense de Raoul.

– Peut-être êtes-vous un peu sévère, dit-elle. Pauvre enfant! il a tant souffert. Il n’a connu jusqu’ici que les privations, et le bonheur le grise. Il se jette sur le plaisir comme un affamé sur un bon repas. Est-ce si surprenant? Allez, il reviendra promptement à la raison, il a bon cœur.

«Il a été si malheureux!» Là était pour Mme Fauvel l’excuse de Raoul. C’est cette phrase que sans cesse elle répétait à M. de Clameran, toutes les fois qu’il se plaignait de son neveu.

Et certes, ayant une fois commencé, il ne cessait de se plaindre.

– Rien ne l’arrête, gémissait-il, une folie qui lui passe par la tête est une folie faite.

Mais Mme Fauvel ne voyait là nulle raison d’en vouloir à son fils.

C’est pourquoi, voyant que ses efforts n’arrêtaient pas ce jeune imprudent sur une pente désastreuse, il somma Mme Fauvel d’user enfin de son influence. Elle devait, pour l’avenir de son enfant, entrer plus intimement dans sa vie, le voir tous les jours.

– Hélas! répondit la pauvre femme, ce serait là mon vœu le plus cher. Mais comment faire? Ai-je le droit de me perdre? J’ai d’autres enfants auxquels je dois compte de mon honneur.

Cette réponse parut étonner le marquis de Clameran. Quinze jours plus tôt, Mme Fauvel n’eût point parlé de ses autres fils.

– Je réfléchirai, dit Louis, peut-être à notre prochaine entrevue aurai-je l’honneur de vous soumettre une combinaison qui conciliera tout.

Les réflexions d’un homme de tant d’expérience ne pouvaient être vaines. Il paraissait fort rassuré, quand il se présenta le jeudi suivant.

– J’ai cherché, commença-t-il, et j’ai trouvé.

– Quoi?

– Le moyen de sauver Raoul.

Il s’expliqua. Mme Fauvel ne pouvant sans éveiller les soupçons de son mari voir tous les jours son fils, il fallait qu’elle le reçût chez elle.

Cette proposition seule fit horreur à une femme qui certes avait été bien imprudente, bien coupable même, mais qui était l’honneur même.

– C’est impossible! s’écria-t-elle, ce serait vil, odieux, infâme…

– Oui, répondit le marquis devenu songeur, mais ce serait le salut de l’enfant.

Mais elle sut, pour cette fois, résister. Elle résista avec une violence d’indignation, avec une énergie faites pour décourager une volonté moins ferme que celle du marquis de Clameran.

– Non! répétait-elle, non, je ne saurais consentir.

Malheureuse! sait-on, quand on quitte le droit chemin, quelles boues et quelles fondrières on affronte!

Elle avait dit «jamais» du plus profond de son âme, et à la fin de la semaine elle en était, non plus à repousser désespérément ce projet, mais à en discuter les moyens.

Voilà où l’avait conduite une marche savante. Éperdue, harcelée, elle se débattait vainement entre les insistances poliment menaçantes de Clameran et les prières et les câlineries de Raoul.

– Mais comment? disait-elle… sous quel prétexte recevoir Raoul?

– Ce serait fort simple, répondait Clameran, s’il s’agissait de l’admettre comme on admet un étranger. J’ai bien l’honneur, moi, d’être des habitués de votre salon… Pour Raoul, il faut mieux.

Ce n’est qu’après avoir longtemps torturé Mme Fauvel, après avoir brisé sa volonté, presque sa raison, par de continuelles alternatives de terreur ou d’attendrissement, qu’il révéla son projet définitif.

– Nous tenons, dit-il enfin, la solution du problème; c’est une véritable inspiration.

Elle devina bien à son accent qu’il allait découvrir le fond de sa pensée, et elle l’écouta avec cette lamentable résignation du condamné qui entend lire son arrêt.

– N’avez-vous pas, poursuivait Louis, à Saint-Rémy, une de vos parentes, très âgée, veuve, n’ayant eu que deux filles?…

– Oui, ma cousine de Lagors.

– C’est cela même. Quelle est sa situation de fortune?

– Elle est pauvre, monsieur, très pauvre.

– Précisément, et sans les secours que vous lui adressez en secret, elle serait à la charité.

Mme Fauvel n’en pouvait revenir, de voir le marquis si bien informé.

– Quoi! balbutia-t-elle, vous savez cela!

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