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Il serait vraiment très bien s’il n’outrait le genre anglais, se faisant froid et gourmé à plaisir, et si un certain air de suffisance ne gâtait sa physionomie naturellement riante.

– Ah! vous voilà! s’écria Cavaillon, on est déjà venu vous demander.

– Qui? un maître de forges, n’est-ce pas?

– Précisément.

– Eh bien! il reviendra. Sachant que j’arriverais tard ce matin, j’ai pris mes mesures hier.

Prosper avait ouvert son bureau, tout en parlant, il y entra refermant la porte sur lui.

– À la bonne heure! s’écria un des employés, voilà un caissier qui ne se fait pas de bile. Le patron lui a fait vingt scènes parce qu’il arrive toujours trop tard, il s’en soucie comme de l’an quarante.

– Il a, ma foi, bien raison, puisqu’il obtient tout ce qu’il veut du patron!

– D’ailleurs, comment viendrait-il matin; un garçon qui mène une vie d’enfer, qui passe toutes les nuits dehors. Avez-vous remarqué sa mine de déterré, ce matin?

– Il aura encore joué, comme le mois passé; j’ai su par Couturier qu’en une seule séance il a perdu mille cinq cents francs.

– Sa besogne en est-elle moins bien faite? interrompit Cavaillon. Si vous étiez à sa place…

Il s’arrêta court. La porte de la caisse venait de s’ouvrir et le caissier s’avançait d’un pas chancelant.

– Volé! balbutiait-il, on m’a volé!…

La physionomie de Prosper, sa voix rauque, le tremblement qui le secouait exprimaient si bien une affreuse angoisse, que tous les employés ensemble se levèrent et coururent à lui.

Il se laissa presque tomber entre leurs bras, il ne pouvait plus se soutenir, il se trouvait mal, il fallut l’asseoir.

Cependant ses collègues l’entouraient, l’interrogeant tous à la fois, le pressant de s’expliquer.

– Volé, disaient-ils; où, comment, par qui?

Peu à peu, Prosper revenait à lui.

– On a pris, répondit-il, tout ce que j’avais en caisse.

– Tout?

– Oui, trois paquets de cent billets de mille francs et un de cinquante. Les quatre paquets étaient entourés d’une feuille de papier et liés ensemble.

Avec la rapidité de l’éclair la nouvelle d’un vol s’était répandue dans la maison de banque; les curieux accoururent de toutes parts; le bureau était plein.

– Voyons, disait à Prosper le jeune Cavaillon, on a donc forcé la caisse?

– Non, elle est intacte.

– Eh bien, alors…

– Alors il n’en est pas moins un fait, c’est qu’hier soir j’avais trois cent cinquante mille francs, et que je ne les retrouve plus ce matin.

Tout le monde se taisait; seul, un vieil employé ne partagea pas la consternation générale.

– Ne perdez donc pas ainsi la tête, monsieur Bertomy, dit-il; songez que le patron doit avoir disposé des fonds.

Le malheureux caissier se dressa tout d’une pièce; il s’accrochait à cette idée.

– Oui! s’écria-t-il, en effet, vous avez raison; ce sera le patron.

Puis réfléchissant:

– Non, reprit-il d’un ton de découragement profond, non, ce n’est pas possible. Jamais, depuis cinq ans que je tiens la caisse, monsieur Fauvel ne l’a ouverte sans moi. Deux ou trois fois il a eu besoin de fonds, et il m’a attendu ou envoyé chercher plutôt que d’y toucher en mon absence.

– Peu importe, objecta Cavaillon; avant de se désoler, il faut l’avertir.

Mais déjà M. André Fauvel était prévenu. Un garçon de bureau était monté à son cabinet et lui avait dit ce qui se passait.

Au moment où Cavaillon proposait de l’aller chercher, il parut.

M. André Fauvel est un homme de cinquante ans environ, de taille moyenne, aux cheveux grisonnants. Il est assez gros, légèrement voûté, comme tous les travailleurs acharnés, et il a l’habitude de se dandiner en marchant.

Jamais une seule de ses actions n’a démenti l’expression de bonté de son visage. Il a l’air ouvert, l’œil vif et franc, la lèvre rouge et bien épanouie. Né aux environs d’Aix, il retrouve, quand il s’anime, un léger accent provençal qui donne une saveur particulière à son esprit; car il est spirituel.

La nouvelle portée par le garçon l’avait ému, car, lui d’ordinaire assez rouge, il était fort pâle.

– Que me dit-on? demanda-t-il aux employés qui s’écartaient respectueusement devant lui, qu’arrive-t-il?

La voix de M. Fauvel rendit au caissier l’énergie factice des grandes crises; le moment décisif et redouté était arrivé; il se leva et s’avança vers son patron.

– Monsieur, commença-t-il, ayant pour ce matin le remboursement que vous savez, j’ai, hier soir, envoyé prendre à la Banque trois cent cinquante mille francs.

– Pourquoi hier, monsieur? interrompit le banquier. Il me semble que cent fois je vous ai ordonné d’attendre au jour même.

– Je le sais, monsieur, j’ai eu tort, mais le mal est fait. Hier soir j’ai serré ces fonds, ils ont disparu, et cependant la caisse n’a pas été forcée.

– Mais vous êtes fou! s’écria M. Fauvel, vous rêvez!

Ces quelques mots anéantissaient toute espérance, mais l’horreur même de la situation donnait à Prosper, non le sang-froid d’une résolution réfléchie, mais cette sorte d’indifférence stupide qui suit les catastrophes inattendues.

C’est presque sans trouble apparent qu’il répondit:

– Je ne suis pas fou, par malheur, je ne rêve pas, je dis ce qui est.

Cette placidité dans un tel moment parut exaspérer M. Fauvel. Il saisit Prosper par le bras, et le secouant rudement:

– Parlez! cria-t-il, parlez! qui voulez-vous qui ait ouvert la caisse?

– Je ne puis le dire.

– Il n’y a que vous et moi qui sachions le mot; il n’y a que vous et moi qui ayons une clé!

C’était là une accusation formelle, du moins tous les auditeurs le comprirent ainsi.

Pourtant, le calme effrayant du caissier ne se démentit pas. Il se débarrassa doucement de l’étreinte de son patron, et, bien lentement, il dit:

– En effet, monsieur, il n’y a que moi qui aie pu prendre cet argent…

– Malheureux!

Prosper se recula, et, les yeux obstinément attachés sur les yeux de M. André Fauvel, il ajouta:

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