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– À Beaucaire, à Lafourcade, pour savoir le nom du mari de Valentine.

– Tu penses donc toujours à elle?

– Toujours.

– Tu ne renonces pas à la revoir?

– Moins que jamais.

– Hélas! frère, c’est que tu ne réfléchis pas que celle que tu aimais est la femme d’un autre, qu’elle est mère de famille, sans doute. Consentira-t-elle à te recevoir? Sais-tu si tu ne vas pas troubler sa vie, si tu ne te prépares pas les plus cuisants regrets.

– Je suis fou, c’est vrai, je le sais, mais ma folie m’est chère.

Il dit cela d’un tel accent que Louis comprit bien que son parti était irrévocablement arrêté.

Cependant il resta le même, ne s’occupant, en apparence, que de parties de plaisir, en réalité passant sa vie à s’inquiéter des lettres qui arrivaient à la maison.

Il savait au juste à quelle heure passait le facteur, et toujours il se trouvait, par hasard, dans la cour pour le recevoir.

S’il était absent, ainsi que son frère, il savait à quelle place on mettait les lettres venues dans la journée, et il y courait.

Sa surveillance ne fut pas inutile.

Le dimanche suivant, parmi les lettres que lui remit le facteur, il en distingua une qui portait le timbre de Beaucaire.

Rapidement il la glissa dans sa poche, et bien qu’il fût sur le point de monter à cheval, avec son frère, il trouva un prétexte pour aller à sa chambre, incapable qu’il était de maîtriser son impatience.

C’était bien la lettre attendue, elle était signée: Lafourcade. Elle avait trois bonnes pages et contenait une foule de détails absolument indifférents à Louis, mais voici ce qu’elle disait de Valentine.

Le mari de Mlle de La Verberie est un banquier très considéré, nommé André Fauvel. Je n’ai pas l’honneur de le connaître, mais je pense aller le voir à mon prochain voyage à Paris. J’ai conçu un projet qui serait la fortune de notre pays, je me propose de le lui soumettre, et, s’il le juge bon, je solliciterai l’appui de ses capitaux. Vous ne trouverez pas mauvais, je l’espère, que je me recommande de votre nom…

Louis tremblait comme un homme qui vient d’échapper à un immense danger.

– Cette lettre entre les mains de mon frère, murmurait-il, et je n’avais qu’à filer.

Mais, sa perte, pour être retardée, n’en paraissait pas moins certaine.

Gaston attendrait une réponse pendant une huitaine encore, puis il écrirait de nouveau; Lafourcade, tout surpris, répondrait sur-le-champ; c’était, en mettant tout au mieux, une douzaine de jours que Louis avait encore devant lui.

Et là, se disait-il, là est le plus pressant danger. Que cet imbécile aille à Paris, qu’il prononce le nom de Clameran devant le banquier, et tout est fini.

En bas, Gaston s’impatientait.

– Viens-tu! criait-il à son frère.

– Je descends, répondit Louis.

Il descendait, en effet, après avoir serré dans un compartiment secret de la malle la lettre de Lafourcade.

Désormais, il était décidé à un emprunt. Ayant une bonne somme en poche, jointe à ce qu’il possédait déjà, il passerait en Amérique, et, ma foi! Raoul se tirerait d’affaire comme il pourrait.

Certes, il était désolé de voir manquer la plus belle combinaison qu’il eût imaginée en sa vie, mais l’homme fort ne s’indigne pas sottement contre la destinée, il tire des événements le meilleur parti possible.

Dès le lendemain même, se promenant, à la tombée de la nuit, avec Gaston, sur la jolie route qui mène de l’usine à Oloron, il entama le prologue d’une petite histoire dont la conclusion devait être un emprunt de deux cent mille francs.

Ils allaient doucement, se donnant le bras, lorsqu’à un kilomètre environ de la forge, ils croisèrent un tout jeune homme, vêtu comme les ouvriers qui font leur tour de France, et qui en passant les salua.

Une commotion si terrible secoua Louis que Gaston en reçut le contre-coup.

– Qu’as-tu? demanda-t-il tout étonné.

– Rien. J’ai heurté du bout du pied une pierre qui m’a fait mal.

Il mentait, et le tremblement de sa voix eût dû le dire à Gaston.

S’il était si ému, c’est que, dans ce jeune ouvrier, il avait reconnu Raoul de Lagors.

De ce moment, Louis de Clameran fut anéanti.

La surprise, une épouvante instinctive paralysaient, anéantissaient absolument sa verve audacieuse et parleuse. Il n’était plus à la conversation.

Il disait:

– Oui. En effet. Vraiment! Peut-être.

Mais sans avoir conscience de ce qu’il disait.

Comment Raoul se trouvait-il à Oloron? Qu’y venait-il faire? Pourquoi se cachait-il sous un bourgeron d’ouvrier?

Depuis qu’il était à Oloron, Louis avait écrit presque tous les jours à Raoul, et il n’en avait pas reçu de réponse.

Ce silence que tout d’abord il avait trouvé naturel, il le jugeait maintenant extraordinaire, inexplicable.

Heureusement Gaston se sentait fatigué ce soir-là. Il parla de rentrer bien plus tôt que d’habitude, et, dès qu’il fut de retour à la maison, il regagna son appartement.

Louis était libre, enfin!…

Il alluma un cigare et sortit, disant au domestique de ne pas l’attendre.

Il savait bien que Raoul, si c’était lui toutefois, devait rôder autour de la maison, et guetter sa sortie.

Ses prévisions ne le trompaient pas.

Il avait à peine fait cent pas sur la route, qu’un homme sortit brusquement d’un taillis et vint se planter devant lui.

La nuit était fort claire, Louis reconnut Raoul.

– Qu’y a-t-il? demanda-t-il aussitôt, incapable de maîtriser son impatience, qu’est-il arrivé?

– Rien.

– Quoi! la position là-bas n’est pas menacée?

– En aucune façon. Je dirai plus, sans tes ambitions démesurées, tout irait au mieux.

Louis eut une exclamation, il faudrait presque dire un rugissement de fureur.

– Alors! s’écria-t-il, que viens-tu faire ici? Qui t’a permis d’abandonner ton poste, au risque de nous perdre?

– Ça, fit Raoul le plus tranquillement du monde, c’est mon affaire.

D’un geste brusque, Louis saisit les poignets du jeune homme, et les serrant à le faire crier:

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