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Alors, entre Mme Fauvel et sa nièce, commença une lutte de générosité d’autant plus sublime que chacune offrait sa vie à l’autre, et la donnait, non dans un moment d’entraînement, mais de son plein gré et après délibération.

Mais Madeleine devait triompher, enflammée qu’elle était de ce saint enthousiasme du sacrifice qui fait les martyrs.

– Je n’ai à répondre de moi qu’à moi-même, répétait-elle, comprenant bien que là était la place où elle devait frapper, tandis que toi, chère tante, tu dois compte de toi à ton mari et à tes enfants. Songe à la douleur de mon oncle, s’il apprenait jamais la vérité! Il en mourrait.

La généreuse jeune fille disait vrai.

Tel avait été le fatal enchaînement des circonstances, que toujours Mme Fauvel avait été arrêtée par l’apparence d’un grand devoir à remplir.

Ainsi, après avoir sacrifié son mari à sa mère, elle sacrifiait maintenant son mari et ses enfants à Raoul.

Mme Fauvel se défendait encore, mais elle résistait de plus en plus faiblement.

– Non, disait-elle, non, je ne saurais accepter ton dévouement. Quelle sera ta vie avec cet homme?

– Qui sait! fit Madeleine, affectant une espérance bien éloignée de son cœur: il m’aime, à ce qu’il dit; peut-être sera-t-il bon pour moi.

– Ah! si je savais où prendre une grosse somme! C’est de l’argent qu’il veut, cet homme, rien que de l’argent.

– Ne lui en faut-il donc pas pour Raoul? N’est-ce pas Raoul qui, par ses folies, a creusé un abîme qu’il faut combler? Si seulement je pouvais croire à la sincérité de monsieur de Clameran!

C’est avec une sorte de curiosité stupéfaite que Mme Fauvel regardait sa nièce.

Quoi! cette jeune fille si naïve, si inexpérimentée, raisonnait son abnégation, pendant qu’elle, femme, mère de famille, n’avait jamais obéi qu’aux impulsions instinctives de son esprit et de son cœur!…

– Que veux-tu dire? interrogea-t-elle.

– Je me demande, ma tante, si véritablement monsieur de Clameran pense à son neveu. A-t-il, oui ou non, l’intention formelle de lui venir en aide? Maître de ma dot, ne vous abandonnera-t-il pas, toi et lui? Enfin, il est un doute affreux qui me torture.

– Un doute?

– Oui, et je te le soumettrais, si j’osais… si je ne craignais…

– Parle, insista Mme Fauvel, livre-moi ta pensée entière. Hélas! le malheur m’a donné des forces. Qu’ai-je à redouter? Je puis tout entendre…

Madeleine hésitait, partagée entre la crainte de frapper une personne aimée et le désir de l’éclairer.

– Je voudrais, reprit-elle enfin, être certaine, bien sûre que monsieur de Clameran et Raoul ne s’entendent pas, ne jouent pas chacun un rôle appris et convenu à l’avance.

La passion est aveugle et sourde. Mme Fauvel ne se souvenait plus des yeux riants de ces deux hommes, le jour où, devant elle, ils semblaient transportés de colère. Elle ne pouvait, elle ne voulait pas croire à une si odieuse comédie.

– C’est impossible, prononça-t-elle, le marquis est vraiment indigné de la conduite de son neveu, et ce n’est pas lui qui jamais lui donnera un mauvais conseil. Quant à Raoul, il est étourdi, léger, vaniteux, prodigue, mais il a bon cœur. La prospérité l’a grisé, mais il m’aime. Ah! si tu le voyais, si tu l’entendais, quand je lui fais un reproche! tous tes soupçons s’envoleraient. Quand, les larmes aux yeux, il me jure qu’il sera plus raisonnable, il est de bonne foi. S’il ne tient pas ses promesses, c’est que des amis perfides l’entraînent.

Toujours les mères s’en sont prises, s’en prennent et s’en prendront aux amis. L’ami, voilà le coupable.

Mais Madeleine était trop généreuse pour chercher même à désabuser sa tante.

– Fasse le Ciel que tu dises vrai! murmura-t-elle, mon mariage ne sera pas inutile. Ce soir même nous écrirons à monsieur de Clameran.

– Pourquoi ce soir, Madeleine? Rien ne presse. Nous pouvons attendre, traîner, gagner du temps.

Ces mots, ces espérances obstinées, cette confiance en un hasard, en une chimère, en rien, disaient tout le caractère de Mme Fauvel et expliquaient ses infortunes.

Tout autre était le caractère de Madeleine. Sa timidité cachait une âme virile. Décidée à un sacrifice, elle le faisait complet, absolu, elle fermait la porte aux illusions décevantes et marchait droit en avant sans retourner la tête.

– Mieux vaut en finir, chère tante, dit-elle d’un ton ferme. Crois-moi, la réalité du malheur est moins pénible que son attente. Résisterais-tu à ces alternatives de douleur et de joie? Sais-tu ce qu’ont fait de toi les anxiétés que tu dissimules? T’es-tu vue depuis quatre mois?

Elle prit sa tante par la main, et, la conduisant devant une glace:

– Tiens, ajouta-t-elle, regarde-toi.

Mme Fauvel n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle était arrivée à cet âge perfide où la beauté d’une femme, comme celle d’une rose pleinement épanouie, se flétrit en un jour.

En quatre mois, elle avait vieilli. Le chagrin avait mis sur son front son empreinte fatale. Ses tempes, fraîches et lisses comme celles d’une jeune fille, se plissaient, des fils blancs argentaient les masses de sa chevelure.

– Comprends-tu, maintenant, poursuivait Madeleine, pourquoi la sécurité t’est nécessaire. Comprends-tu que tu as changé à ce point que c’est miracle que mon oncle ne s’en soit pas inquiété?

Mme Fauvel, qui croyait avoir déployé une dissimulation supérieure, eut un geste négatif.

– Eh! pauvre tante, n’ai-je pas deviné, moi, que tu avais un secret!

– Toi!…

– Oui! seulement j’avais cru… Oh! pardonne un soupçon injuste, j’avais osé supposer…

Elle s’interrompit toute troublée, et il lui fallut un grand effort pour ajouter:

– Je m’imaginais que peut-être tu aimais un autre homme que mon oncle.

Mme Fauvel ne put retenir un gémissement. Le soupçon de Madeleine, d’autres pouvaient l’avoir eu.

– L’honneur est perdu, murmura-t-elle.

– Non, chère tante; non! s’écria la jeune fille, rassure-toi et reprends courage: nous serons deux pour lutter maintenant; nous nous défendrons, nous nous sauverons.

M. le marquis de Clameran dut être content, ce soir-là. Une lettre de Mme Fauvel lui annonça qu’elle consentait à tout. Elle demandait seulement un peu de temps. Madeleine, lui disait-elle, ne pouvait rompre du jour au lendemain avec M. Bertomy. Puis, on devait s’attendre à des objections de la part de M. Fauvel, lequel aimait Prosper et l’avait tacitement agréé.

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