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Ces mots affreux: «ses amants…» portèrent à leur comble la fureur à grand-peine maîtrisée de Gaston, il leva le bras, et sa main retomba, avec un bruit mat, sur la joue de Lazet.

Il n’y eut qu’un cri, dans le café, un cri de terreur. Tout le monde connaissait la violence du caractère de Lazet, sa force herculéenne, son aveugle courage.

D’un bond, il franchit la table qui le séparait de Gaston, et tombant sur lui, il le saisit à la gorge.

Ce fut un moment d’affreuse confusion. L’ami de Clameran voulut venir à son secours, il fut entouré, renversé à coups de queues de billards, foulé aux pieds et poussé sur une table.

Également vigoureux, jeunes et adroits l’un et l’autre, Gaston et Lazet luttaient sans qu’aucun d’eux obtînt d’avantage marqué.

Lazet, brave garçon, aussi loyal que courageux, ne voulait pas d’intervention. Les témoignages sur ce point sont unanimes. Il ne cessait de crier à ses amis:

– Retirez-vous, écartez-vous, laissez-moi faire seul!

Mais les autres étaient bien trop animés déjà pour rester simples spectateurs du combat.

– Une couverture! cria l’un d’eux, vite une couverture pour faire sauter le marquis!

En même temps, cinq ou six jeunes gens se ruant sur Gaston le séparaient de Lazet et le repoussaient jusqu’au billard. Les uns cherchaient à le terrasser, les autres, avec une courroie, s’efforçaient de paralyser les mouvements de ses jambes.

Lui se défendait avec l’énergie du désespoir, puisant dans le sentiment de son bon droit une force dont jamais on ne l’aurait cru capable. Et tout en se défendant furieusement, il accablait d’injures ses adversaires, les traitant de lâches, de misérables bandits, qui se mettaient douze contre un homme de cœur.

Il tournait autour du billard, cherchant à gagner la porte, la gagnant peu à peu, quand une clameur de joie emplit la salle:

– Voici la couverture! criait-on.

– Dans la couverture, l’amant de la petite fée!…

Ces cris, Gaston, les devina, plutôt qu’il ne les entendit. Il se vit vaincu, aux mains de ces forcenés, subissant le plus ignoble des outrages.

D’un mouvement terrible de côté, il fit lâcher prise aux trois assaillants qui le tenaient; un formidable coup de poing le débarrassa d’un quatrième.

Il avait les bras libres; mais tous les ennemis revenaient à la charge.

Alors il perdit la tête. À côté de lui, sur la table où avaient dîné les commis voyageurs, il saisit un couteau, et par deux fois il l’enfonça dans la poitrine du premier qui se précipita sur lui.

Ce malheureux était Jules Lazet. Il tomba.

Il y eut une seconde de stupeur. Quatre ou cinq des assaillants se précipitèrent sur Lazet pour lui porter secours. La maîtresse du café poussait des cris horribles. Quelques-uns des plus jeunes sortirent en criant: «À l’assassin!»

Mais tous les autres, encore dix au moins, se ruèrent sur Gaston, avec des cris de mort.

Il se sentait perdu, ses ennemis se faisaient arme de tout, il avait reçu trois ou quatre blessures, quand une résolution désespérée lui vint. Il monta sur le billard et, prenant un formidable élan, il se lança dans la devanture du café. Elle était solide, cette devanture, pourtant il la brisa; les éclats de verre et de bois le meurtrirent et le déchirèrent en vingt endroits, mais il passa.

Gaston de Clameran était dehors, mais il n’était pas sauvé. Surpris d’abord et presque déconcertés de son audace, ses adversaires, vite remis de leur stupeur, s’étaient jetés sur ses traces.

Lui, courait à travers le champ de foire, ne sachant quelle direction prendre.

Enfin, il se décida à gagner Clameran, s’il le pouvait.

Il cessa donc ses feintes, et avec une incroyable rapidité, il traversa diagonalement le champ de foire, se dirigeant vers la levée, la levade, comme on dit dans le pays, qui met la vallée de Tarascon à l’abri des inondations.

Malheureusement, en arrivant à cette levée, plantée d’arbres magnifiques, une des plus délicieuses promenades de la Provence, Gaston oublia que l’entrée en est fermée par une de ces barrières à trois montants qu’on place devant les endroits réservés aux seuls piétons.

Lancé à toute vitesse, il alla se heurter contre, et fut renversé en arrière, non sans se faire un mal affreux à la hanche.

Il se releva promptement, mais les autres étaient sur lui.

Il fallait se dégager ou mourir.

Le malheureux! Il avait gardé à la main son couteau sanglant, il frappa; un homme encore tomba en poussant un gémissement terrible.

Ce second coup lui donna un moment de répit, fugitif comme l’éclair, mais qui lui permit de tourner la barrière et de s’élancer sur la levée.

Deux des poursuivants s’étaient agenouillés près du blessé, cinq reprirent la chasse avec une ardeur plus endiablée.

Mais Gaston était leste, mais l’horreur de la situation triplait son énergie; échauffé par la lutte, il ne sentait aucune de ses blessures, il allait, les coudes au corps, ménageant son haleine, rapide comme un cheval de course.

Bientôt il distança ceux qui le poursuivaient: le souffle de leur respiration haletante s’éloignait, le bruit de leurs pas arrivait moins distinct; enfin, on n’entendit plus rien.

Cependant Gaston courut pendant plus d’un quart de lieue encore, il avait pris les champs, franchissant les haies, sautant les fossés, et c’est lorsqu’il fut bien convaincu que le rejoindre était impossible, qu’il se laissa tomber au pied d’un arbre.

Cependant, il ne pouvait rester étendu là. Nul doute que la force armée ne fût prévenue. On le cherchait déjà. On était sur ses traces. On allait à tout hasard venir au château de Clameran, et avant de s’éloigner, peut-être pour toujours, il voulait voir son père, il voulait, une fois encore, serrer Valentine entre ses bras.

Quand, après une route affreusement pénible, il sonna à la grille du château, il était plus de dix heures.

À sa vue, le vieux valet qui était venu lui ouvrir recula, terrifié.

– Grands dieux! monsieur le comte, que vous est-il arrivé?

– Silence! fit Gaston, de cette voix rauque et brève que donne la conscience d’un danger imminent, silence! Où est mon père?

– Monsieur le marquis est dans sa chambre avec monsieur Louis; monsieur le marquis a été pris de sa goutte, ce tantôt, il ne peut bouger; mais vous, monsieur…

Gaston ne l’entendait plus. Il avait gravi rapidement le grand escalier et entrait dans la chambre où son père et son frère jouaient au trictrac.

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