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Peut-être manque-t-il de la fébrile activité, parfois nécessaire pour frapper vite et juste; mais il possède une de ces patiences robustes que rien ne lasse ni ne décourage. Fort capable, d’ailleurs, de suivre pendant des années une instruction, comme il le fit lors de l’affaire des billets belges, dont il ne réunit les fils qu’après quatre ans d’investigations.

Aussi, était-ce dans son cabinet que venaient s’échouer les affaires éternelles, les enquêtes restées en chemin, les procédures incomplètes.

Tel est, aussi exactement que possible, l’homme vers lequel on conduisait Prosper; et on le conduisait par un chemin bien difficile.

On lui fit suivre un long corridor, traverser une salle pleine de gendarmes de Paris, descendre un escalier, traverser une manière de souterrain, puis monter un étroit et raide escalier qui n’en finissait pas.

Enfin, il arriva dans une longue et étroite galerie, basse d’étage, sur laquelle ouvraient quantité de portes numérotées.

Le gardien du malheureux caissier l’arrêta devant une de ces portes.

– Nous y sommes, lui dit-il; c’est ici que va se décider votre sort.

À cette réflexion du gardien, faite d’un ton de commisération profonde, Prosper ne put s’empêcher de frissonner.

C’était vrai pourtant: là, derrière cette porte, se trouvait un homme qui allait l’interroger, et selon ce qu’il répondrait, il serait relâché ou le mandat d’amener qu’on lui avait signifié la veille serait converti en mandat de dépôt.

Cependant, faisant appel à tout son courage, il posait déjà la main sur le bouton de la porte, lorsque son gardien l’arrêta.

– Oh! pas encore, lui dit-il, on n’entre pas comme cela: asseyez-vous, on vous appellera quand votre tour sera venu.

L’infortuné obéit, et son gardien prit place près de lui. Rien d’affreux, rien de lugubre comme une station dans cette sombre galerie des juges d’instruction.

D’un bout à l’autre est établi contre le mur un grossier banc de chêne, noirci par un usage quotidien. Involontairement on songe que sur ce banc sont venus tour à tour, depuis dix ans, s’asseoir tous les prévenus, tous les voleurs, tous les assassins du département de la Seine.

C’est que tôt ou tard, fatalement, comme l’immondice à l’égout, le crime arrive à cette terrible galerie qui a une porte sur le bagne, l’autre sur la plate-forme de l’échafaud. C’est là, selon la triviale mais énergique expression d’un premier président, le grand lavoir public de tout le linge sale de Paris.

La galerie, à l’heure où Prosper y arriva, était fort animée. Le banc était presque entièrement occupé. À côté de lui, si près qu’il le coudoyait, on avait placé un homme en haillons, à figure sinistre.

Devant chaque porte, qui est celle d’un juge d’instruction, se tenaient des groupes de témoins, où on causait à voix basse. À tout moment, allaient et venaient des gendarmes de Paris, dont les fortes bottes résonnaient sur les dalles, et qui amenaient ou reconduisaient des prisonniers. Parfois, dominant le sourd murmure, on entendait un sanglot, et une femme, la mère ou la sœur de quelque prévenu, passait un mouchoir sur les yeux. À de courts intervalles, une porte s’ouvrait et se refermait, et la voix d’un huissier criait un nom ou un numéro.

À ce spectacle, à ces contacts flétrissants, au milieu de cette atmosphère chaude et chargée d’émanations étranges, le caissier se sentait défaillir, quand un petit vieux, vêtu de noir avec les insignes de sa dignité, la chaîne d’acier en sautoir, cria:

– Prosper Bertomy!

Le malheureux se dressa tout d’une pièce, et, sans savoir comment, se trouva poussé dans le cabinet du juge d’instruction.

Tout d’abord, il fut aveuglé. Il quittait un endroit fort obscur, et la fenêtre de la pièce où il entrait, placée en face de la porte, versait à flots un jour éclatant et criard.

Ce cabinet, comme tous ceux de la galerie, est sans physionomie particulière. On s’y croirait chez n’importe quel homme d’affaires.

Il est tendu d’un papier économique vert foncé, et à terre est un méchant tapis à vulgaires dessins noirs.

Vis-à-vis la porte est un grand bureau, encombré de dossiers, derrière lequel est placé le juge, faisant face à ceux qui entrent, de telle sorte que son visage reste dans l’ombre, pendant que celui des prévenus ou des témoins qu’il interroge est en pleine lumière. À droite, est une petite table où écrit le greffier, cet indispensable auxiliaire du juge.

Mais Prosper ne remarquait pas ces détails. Toute son attention se concentrait sur le magistrat, et, à mesure qu’il l’examinait mieux, il se disait que son gardien ne l’avait pas trompé.

Il est vrai que la figure de M. Patrigent, figure irrégulière, encadrée de courts favoris roux, animée par des yeux vifs et spirituels, respirant la bonté, est de celles qui, au premier abord, rassurent et attirent.

– Prenez une chaise, dit-il à Prosper.

Cette attention fut d’autant plus sensible au prévenu, qu’il s’attendait à être traité avec le dernier mépris. Elle lui parut d’un favorable augure, et lui rendit quelque liberté d’esprit.

Cependant M. Patrigent avait fait un signe à son greffier.

– Nous commençons, Sigault, dit-il, attention.

Et se retournant vers Prosper:

– Comment vous appelez-vous? demanda-t-il.

– Auguste-Prosper Bertomy, monsieur.

– Quel âge avez-vous?

– J’aurai trente ans le 5 mai prochain.

– Quelle est votre profession?

– Je suis, monsieur, c’est-à-dire j’étais le caissier de la maison de banque André Fauvel.

Le magistrat l’interrompit pour consulter un petit agenda placé près de lui. Prosper, qui suivait attentivement tous ses mouvements, se prenait à espérer, se disant que jamais un homme ayant l’air si peu prévenu contre lui ne le retiendrait en prison.

Le renseignement qu’il cherchait trouvé, M. Patrigent reprit l’interrogatoire:

– Où demeurez-vous? demanda-t-il.

– Rue Chaptal, 39, depuis quatre ans. J’habitais avant, 7, boulevard des Batignolles.

– Où êtes-vous né?

– À Beaucaire, département du Gard.

– Avez-vous encore vos parents?

– J’ai perdu ma mère il y a deux ans, monsieur, mais j’ai encore mon père.

– Habite-t-il Paris?

– Non, monsieur, il habite Beaucaire avec ma sœur qui est mariée à l’un des ingénieurs du canal du Midi.

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