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En même temps, il tira de son portefeuille le malencontreux billet et le remit à l’agent de la sûreté.

Les mains de Fanferlot tremblaient de plaisir en dépliant le papier, et cependant, fidèle à ses habitudes de méticuleuse politesse, une fois la lettre ouverte, il s’inclina devant Cavaillon en murmurant:

– Vous permettez, n’est-ce pas, cher monsieur? je suis navré, en vérité, de l’indiscrétion.

Enfin il lut:

Chère Nina,

Si tu m’aimes, vite, sans une minute d’hésitation, sans réflexions, obéis-moi. Au reçu de ce mot, prends tout ce que tu as à toi, à la maison – tout absolument – et va t’établir dans quelque maison meublée à l’autre bout de Paris. Ne te montre pas, disparais autant que tu le pourras. De ton obéissance dépend peut-être ma vie. Je suis accusé d’un vol considérable et je vais être arrêté. Il doit y avoir cinq cents francs dans le secrétaire, prends-les. Laisse ton adresse à Cavaillon qui t’expliquera ce que je ne puis te dire. Bon espoir quand même, et à bientôt.

Prosper.

Moins consterné, Cavaillon eût pu surprendre sur la figure de l’agent de la sûreté tous les signes d’un immense désappointement.

Fanferlot s’était bercé de cet espoir qu’il allait s’emparer d’un document très important, et, qui sait? peut-être d’une preuve irrécusable de l’innocence ou de la culpabilité de Prosper. Au lieu de cela, il venait de mettre la main sur un billet d’amoureux, s’inquiétant moins de soi que de la femme aimée.

Il avait beau se creuser la cervelle, il ne découvrait, à cette lettre, aucune signification précise, aucun sens déterminé. Elle ne prouvait rien, ni pour ni contre celui qui l’avait écrite.

Ces deux mots: «tout absolument» étaient, il est vrai, soulignés, mais on pouvait les interpréter de tant de façons!…

Cependant, l’agent de la sûreté crut devoir poursuivre.

– Cette madame Nina Gypsy, demanda-t-il à Cavaillon, est sans doute une amie de monsieur Prosper Bertomy?

– C’est sa maîtresse.

– Ah! et elle demeure là, au numéro 39?

– Vous le savez bien, puisque vous m’avez vu entrer.

– Je m’en doutais en effet, cher monsieur, et, dites-moi, est-ce à son nom qu’est loué l’appartement qu’elle occupe?

– Non, elle habite chez Prosper.

– Parfait. Et à quel étage, s’il vous plaît?

– Au premier.

M. Fanferlot avait replié soigneusement le billet dans ses plis, il le glissa dans sa poche.

– Mille remerciements, cher monsieur, dit-il, de vos bons renseignements; en échange, si vous le voulez bien, je vous éviterai la course que vous alliez faire.

– Monsieur!…

– Oui, avec votre permission, je remettrai moi-même cette lettre à madame Nina Gypsy.

Cavaillon essaya une certaine résistance, il voulut discuter, mais M. Fanferlot était pressé, il coupa court à ses observations:

– Je vais oser, cher monsieur, lui dit-il, vous donner un conseil que je crois bon. À votre place, je retournerais bien paisiblement à mon bureau et je ne me mêlerais plus, oh! plus du tout de cette affaire.

– Mais, monsieur, Prosper a été mon protecteur, il m’a tiré de la misère, il est mon ami.

– Raison de plus pour vous tenir tranquille. Pouvez-vous le servir? Non, n’est-ce pas? Eh bien, je vous dirai, moi, que vous pouvez lui nuire. On sait que vous lui êtes dévoué, ne remarquera-t-on pas votre absence? Si vous vous remuez, si vous tentez des démarches qui n’aboutiront à rien, ne les interprétera-t-on pas mal?

– Prosper est innocent, monsieur, j’en suis sûr.

C’était positivement l’opinion de Fanferlot; mais il ne pouvait lui convenir de laisser deviner sa pensée intime, et, cependant, dans l’intérêt de ses investigations à venir, il lui importait d’imposer au jeune employé la prudence et la discrétion. Il aurait bien voulu le prier de se taire sur ce qui venait de se passer entre eux; mais il n’osa pas.

– Ce que vous dites est fort possible, répondit-il, et je l’espère pour monsieur Bertomy. Je l’espère surtout pour vous, qui, s’il est coupable, serez infailliblement inquiété, vu votre intimité notoire, et peut-être même soupçonné de complicité.

Cavaillon baissa la tête; il était atterré.

– Ainsi, croyez-moi, mon jeune monsieur, poursuivit Fanferlot, allez reprendre vos occupations et… à l’honneur de vous revoir.

Le pauvre garçon obéit. Lentement, le cœur bien gros, il regagna la rue Notre-Dame-de-Lorette. Il se demandait comment servir Prosper, comment avertir Mme Gypsy, comment surtout se venger de cet odieux agent de police qui venait de l’humilier si cruellement.

Dès qu’il eut disparu à l’angle de la rue, Fanferlot entra dans la maison, jeta au portier le nom de Prosper Bertomy, monta et sonna à la porte du premier étage.

Un domestique d’une quinzaine d’années, portant une livrée coquette, vint lui ouvrir.

– Madame Nina Gypsy? demanda-t-il.

Le petit groom hésita; ce que voyant, M. Fanferlot montra sa lettre.

– Je suis chargé, insista-t-il, par monsieur Prosper, de remettre ce billet à madame et d’attendre sa réponse.

– Entrez alors, je vais prévenir madame.

Le nom de Prosper avait produit son effet, Fanferlot fut introduit dans un petit salon, tendu de damas de soie bouton-d’or, relevé par des passementeries et des agréments gros bleu. Il y avait de triples rideaux aux fenêtres, des portières à toutes les portes. Un tapis splendide cachait le parquet.

– Peste! murmura l’agent de la sûreté, il est bien logé notre caissier.

Mais il n’eut pas le loisir de poursuivre son inventaire; une des portières se souleva, Mme Nina Gypsy parut.

Mme Nina Gypsy est, ou, pour parler mieux, était alors une toute jeune femme, frêle, délicate, mignonne, brune, ou plutôt dorée comme une quarteronne de la Havane, avec des pieds et des mains d’enfant.

De longs cils, soyeux et recourbés, tamisaient l’éclat trop vif de ses grands yeux noirs; ses lèvres, un peu épaisses, souriaient sur des dents plus blanches que la dent du chat, dents fines, brillantes, nacrées, aiguës à croquer dix patrimoines.

Elle n’était pas habillée encore et s’enveloppait, frileuse, dans un ample peignoir de velours dont toutes les ouvertures laissaient échapper les flots de dentelle de sa camisole de nuit. Mais déjà elle avait passé par les mains du coiffeur ou d’une femme de chambre adroite. Ses cheveux étaient crêpés et frisés sur le devant, tout autour du front, retenus par des bandelettes de velours rouge et relevés en un énorme chignon très haut sur la nuque.

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