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Elle était ravissante ainsi, d’une beauté si insolente et si tapageuse, que Fanferlot en fut ébloui et tout d’abord interdit.

Saperlotte! se dit-il, songeant à la beauté noble et sévère de Madeleine, entrevue quelques heures plus tôt, il a bon goût, notre caissier, très bon goût… trop bon goût.

Pendant qu’il réfléchissait ainsi, tout penaud, se demandant comment commencer l’entretien, Mme Gypsy le toisait de l’air le plus dédaigneux, stupéfaite de voir dans son salon ce personnage étriqué et râpé, à chapeau gras retapé à l’aide d’un crêpe.

Ayant des créanciers, elle cherchait en sa mémoire lequel pouvait bien avoir cette tournure subalterne, ou tout au moins lequel se permettait d’envoyer ce cuistre essuyer ses bottes éculées à la haute laine de ses tapis.

Son examen terminé:

– Que désirez-vous? demanda-t-elle enfin en forçant ses paupières au clignotement le plus impertinent.

Tout autre que Fanferlot aurait été révolté de ces regards et de ce ton; lui n’y fit attention que pour en tirer quelques notions sur le caractère de la jeune femme.

Elle n’est point bonne, non! pensa-t-il, et pas la moindre éducation.

Il tardait à répondre, Mme Nina frappa du pied avec impatience.

– Parlerez-vous, répéta-t-elle, que voulez-vous?

– Je suis chargé, chère madame, fit l’agent de la sûreté, de sa plus douce et plus humble voix, de vous remettre un petit billet de monsieur Bertomy.

– De Prosper!… Vous le connaissez donc?

– J’ai cet honneur, et même, si j’ose m’exprimer ainsi, je suis de ses amis.

– Monsieur!… fit Mme Gypsy, blessée dans son amour-propre.

M. Fanferlot ne daigna pas prendre garde à cette injurieuse exclamation. Il est ambitieux; le mépris, sur lui, glisse comme la pluie sur une cuirasse grasse.

– J’ai dit de ses amis, insista-t-il, et peu de personnes, j’en suis sûr, auraient maintenant le courage d’avouer hautement leur amitié pour lui.

L’agent de la sûreté s’exprimait avec un sérieux si convaincu que Mme Gypsy en fut frappée.

– Je n’ai jamais su deviner les énigmes, dit-elle sèchement; que prétendez-vous insinuer, s’il vous plaît?

L’homme de la préfecture de police sortit lentement de sa poche la lettre enlevée à Cavaillon, et la présentant à Mme Gypsy:

– Lisez, dit-il.

Certes, elle ne pressentait rien de funeste. Bien qu’elle eût les meilleurs yeux du monde, elle ajusta sur son nez un charmant binocle avant de déplier le billet.

D’un coup d’œil elle le lut en entier.

Elle devint toute pâle d’abord, puis fort rouge; un frisson nerveux la secoua de la tête aux pieds; ses jambes fléchirent; elle chancela. Fanferlot, croyant qu’elle allait tomber, tendit les bras pour la retenir.

Précaution inutile! Mme Gypsy était de ces femmes dont la paresseuse insouciance masque une énergie endiablée, créatures fragiles dont la force de résistance n’a pas de limites; chattes par les grâces et les délicatesses, chattes surtout par leurs nerfs et leurs muscles d’acier.

Le vertige du coup de massue qu’elle venait de recevoir dura ce que dure l’éclair. Elle chancela, mais elle ne tomba pas. Elle se redressa plus forte, saisit les poignets de l’agent de la préfecture et, de sa main mignonne, les serrant à le faire crier:

– Expliquez-vous, dit-elle; qu’est-ce que cela signifie? Vous savez ce que m’annonce cette lettre?

Si brave qu’il soit, lui qui chaque jour affronte les plus dangereux coquins, Fanferlot eut presque peur de la colère de Mme Nina.

– Hélas! murmura-t-il.

– On veut arrêter Prosper, on l’accuse d’avoir volé!…

– Oui, on prétend qu’il a pris à sa caisse trois cent cinquante mille francs.

– C’est faux! s’écria la jeune femme, c’est une infamie et une absurdité.

Elle avait lâché les poignets de Fanferlot, et sa fureur, véritable rage d’enfant gâté, s’exhalait en gestes désordonnés. Elle se souciait bien vraiment de son beau peignoir et de ses magnifiques dentelles, qu’elle lacérait impitoyablement.

– Prosper, voler, disait-elle, ce serait trop bête. Voler! à quoi bon? N’a-t-il pas une grande fortune?…

– C’est que précisément, belle dame, insinua l’agent de la sûreté, on affirme que monsieur Bertomy n’est pas riche, qu’il n’a pour vivre que ses appointements.

Cette réponse parut confondre toutes les idées de Mme Gypsy.

– Cependant, insista-t-elle, je lui ai toujours vu beaucoup d’argent. Pas riche… mais alors…

Elle n’osa pas achever, mais ses yeux rencontrant ceux de Fanferlot, ils se comprirent.

Le regard de Mme Nina voulait dire: «Ce serait donc pour moi, pour mon luxe, pour mes caprices, qu’il aurait volé?»

«Peut-être!…» répondait le regard de l’agent de la sûreté.

Mais dix secondes de réflexion rendirent à la jeune femme son assurance première. Le doute qui, de son aile, avait effleuré son esprit, s’envola.

– Non! s’écria-t-elle, jamais, malheureusement, Prosper n’aurait volé un sou pour moi. Qu’un caissier puise à pleines mains dans la caisse confiée à son honneur, pour une femme qu’il aime, on le comprend et on se l’explique; mais Prosper ne m’aime pas, il ne m’a jamais aimée.

– Oh! belle dame! protesta le galant et poli Fanferlot, ce que vous dites là, vous ne le pensez pas.

Elle secoua tristement la tête; une larme, à grand-peine retenue, voilait l’éclat de ses beaux yeux.

– Je le pense, répondit-elle, et c’est vrai. Il est prêt à courir au-devant de mes fantaisies, direz-vous? Qu’est-ce que cela prouve. Quand je dis qu’il ne m’aime pas, je n’en suis que trop persuadée, allez, et je m’y connais. Une fois en ma vie, j’ai été aimée par un homme de cœur, et parce que je souffre depuis une année, je comprends à quel point je l’ai rendu malheureux. Je ne suis rien, dans la vie de Prosper, à peine un accident…

– Mais alors pourquoi…

– Ah! oui… interrompit Mme Gypsy, pourquoi? Vous serez bien habile, vous, de me le dire. Voici un an que je cherche vainement une réponse à cette question terrible pour moi, et je suis femme!… Mais allez donc deviner la pensée d’un homme si maître de soi que rien de ce qui se passe en son cœur ne remonte à ses yeux. Je l’ai observé comme une femme sait observer l’homme de qui dépend sa destinée, peine perdue! Il est bon, il est doux, mais il n’offre aucune prise. On le croit faible, on se trompe. C’est une barre d’acier peinte en roseau, que cet homme à cheveux blonds.

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