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«Pour Piter est parti Vanka,

Je ne l’attendrai pas.»

crut-il soudain entendre.

«Sais-tu que j’ai peur que tu ne sois un fantôme? murmura-t-il.

– Il n’y a point de fantôme ici, sauf nous deux, et encore un troisième. Sans doute il est là maintenant.

– Qui? Quel troisième? proféra Ivan avec effroi, en regardant autour de lui comme s’il cherchait quelqu’un.

– C’est Dieu, la Providence, qui est ici, près de nous, mais inutile de le chercher, vous ne le trouverez pas.

– Tu as menti, ce n’est pas toi qui as tué! rugit Ivan. Tu es fou, ou tu m’exaspères à plaisir, comme l’autre fois!»

Smerdiakov, nullement effrayé, l’observait attentivement. Il ne pouvait surmonter sa méfiance, il croyait qu’Ivan «savait tout» et simulait l’ignorance pour rejeter tous les torts sur lui seul.

«Attendez», dit-il enfin d’une voix faible, et, retirant sa jambe gauche de dessous la table, il se mit à retrousser son pantalon.

Smerdiakov portait des bas blancs et des pantoufles. Sans hâte, il ôta sa jarretelle et mit la main dans son bas. Ivan Fiodorovitch, qui le regardait, tressaillit soudain de frayeur.

«Dément!» hurla-t-il.

Il se leva d’un bond, recula vivement en se cognant le dos au mur où il demeura comme cloué sur place, les yeux fixés sur Smerdiakov avec une terreur folle. Celui-ci, imperturbable, continuait à fouiller dans son bas, s’efforçait de saisir quelque chose. Il y parvint enfin et Ivan le vit retirer une liasse de papiers qu’il déposa sur la table.

«Voilà! dit-il à voix basse.

– Quoi?

– Veuillez regarder.»

Ivan s’approcha de la table, prit la liasse et commença à la défaire, mais tout à coup il retira ses doigts comme au contact d’un reptile répugnant, redoutable.

«Vos doigts tremblent convulsivement», remarqua Smerdiakov, et lui-même, sans se presser, déplia le papier.

Sous l’enveloppe, il y avait trois paquets de billets de cent roubles.

«Tout y est, les trois mille au complet, inutile de compter; prenez», dit-il en désignant les billets.

Ivan s’affaissa sur sa chaise. Il était blanc comme un linge.

«Tu m’as fait peur… avec ce bas…, murmura-t-il avec un étrange sourire.

– Alors, vraiment, vous ne saviez pas encore?

– Non, je ne savais pas, je croyais que c’était Dmitri. Ah! frère, frère!» Il se prit la tête à deux mains.» Écoute: tu as tué seul, sans mon frère?

– Seulement avec vous, avec vous seul. Dmitri Fiodorovitch est innocent.

– C’est bien… c’est bien… Nous parlerons de moi ensuite. Mais pourquoi tremblé-je de la sorte… Je ne puis articuler les mots.

– Vous étiez hardi, alors; «tout est permis», disiez-vous; et maintenant vous avez la frousse! murmura Smerdiakov stupéfait. Voulez-vous de la limonade? Je vais en demander, ça rafraîchit. Mais il faudrait d’abord couvrir ceci.»

Il désignait la liasse. Il fit un mouvement vers la porte pour appeler Marie Kondratievna, lui dire d’apporter de la limonade; en cherchant avec quoi cacher l’argent, il sortit d’abord son mouchoir, mais comme celui-ci était fort malpropre, il prit sur la table le gros livre jaune qu’Ivan avait remarqué en entrant, et couvrit les billets avec ce bouquin intitulé: Sermons de notre saint Père Isaac le Syrien.

«Je ne veux pas de limonade, dit Ivan. Assieds-toi et parle: comment as-tu fait? Dis tout…

– Vous devriez ôter votre pardessus, sinon vous serez tout en sueur.»

Ivan Fiodorovitch ôta son pardessus qu’il jeta sur le banc sans se lever.

«Parle, je t’en prie, parle!»

Il paraissait calme. Il était sûr que Smerdiakov dirait tout maintenant.

«Comment les choses se sont passées? Smerdiakov soupira. De la manière la plus naturelle, d’après vos propres paroles…

– Nous reviendrons sur mes paroles, interrompit Ivan, mais sans se fâcher cette fois, comme s’il était tout à fait maître de lui. Raconte seulement, en détail et dans l’ordre, comment tu as fait le coup. Surtout n’oublie pas les détails, je t’en prie.

– Vous êtes parti, je suis tombé dans la cave…

– Était-ce une vraie crise ou bien simulais-tu?

– Je simulais, bien entendu. Je suis descendu tranquillement jusqu’en bas, je me suis étendu… après quoi j’ai commencé à hurler. Et je me suis débattu pendant qu’on me transportait.

– Un instant. Et plus tard, à l’hôpital, tu simulais encore?

– Pas du tout. Le lendemain matin, encore à la maison, j’ai été pris d’une véritable crise, le plus forte que j’aie eue depuis des années. Je suis resté deux jours sans connaissance.

– Bien, bien. Continue.

– On m’a mis sur une couchette, derrière la cloison; je m’y attendais, car, quand j’étais malade, Marthe Ignatièvna m’installait toujours pour la nuit dans leur pavillon; elle a toujours été bonne pour moi, depuis ma naissance. Pendant la nuit, je geignais de temps à autre, mais doucement; j’attendais toujours Dmitri Fiodorovitch.

– Tu attendais qu’il vienne te trouver?

– Mais non, j’attendais sa venue à la maison, j’étais sûr qu’il viendrait cette nuit même, car, privé de mes renseignements, il devait fatalement s’introduire par escalade et entreprendre quelque chose.

– Et s’il n’était pas venu?

– Alors, rien ne serait arrivé. Sans lui, je n’aurais pas agi.

– Bien, bien… Parle sans te presser, surtout n’omets rien.

– Je comptais qu’il tuerait Fiodor Pavlovitch… à coup sûr, car je l’avais bien préparé pour ça… les derniers jours… et surtout, il connaissait les signaux. Méfiant et emporté comme il l’était, il ne pouvait manquer de pénétrer dans la maison. Je m’y attendais.

– Un instant. S’il avait tué, il aurait aussi pris l’argent; tu devais faire ce raisonnement. Que serait-il resté pour toi? Je ne le vois pas.

– Mais il n’aurait jamais trouvé l’argent. Je lui ai dit qu’il était sous le matelas, je mentais. Auparavant il était dans une cassette. Ensuite, comme Fiodor Pavlovitch ne se fiait qu’à moi au monde, je lui suggérai de cacher l’argent derrière les icônes, car personne n’aurait l’idée de le chercher là, surtout dans un moment de presse. Mon conseil avait plu à Fiodor Pavlovitch. Garder l’argent sous le matelas, dans une cassette fermée à clef, eût été tout bonnement ridicule. Mais tout le monde a cru à cette cachette: raisonnement stupide! Donc, si Dmitri Fiodorovitch avait assassiné, il se serait enfui à la moindre alerte, comme tous les assassins, ou bien on l’aurait surpris et arrêté. Je pouvais ainsi le lendemain, ou la nuit même, aller dérober l’argent; on aurait tout mis sur son compte.

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