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«Mais qu’avez-vous donc? cria de nouveau Piotr Ilitch en l’examinant avec stupeur. Comment avez-vous pu vous salir ainsi; êtes-vous tombé? Regardez!»

Il le mena devant la glace. À la vue de son visage souillé, Mitia tressaillit, fronça les sourcils.

«Sapristi! il ne manquait plus que cela!»

Il passa les billets de sa main droite dans la gauche et tira vivement son mouchoir. Plein de sang coagulé, il formait une boule qui restait collée. Mitia le lança à terre.

«Zut! N’auriez-vous pas un chiffon… pour m’essuyer?

– Alors, vous n’êtes pas blessé? Vous feriez mieux de vous laver. Je vais vous donner de l’eau.

– C’est parfait… mais où mettrai-je cela?»

Il désignait avec embarras la liasse de billets comme si c’était à Piotr Ilitch de lui dire où mettre son argent.

«Dans votre poche, ou bien déposez-le sur la table. Personne n’y touchera.

– Dans ma poche? Ah! oui, c’est bien… D’ailleurs, tout cela n’a pas d’importance. Finissons-en d’abord, au sujet des pistolets. Rendez-les-moi; voici l’argent… J’en ai extrêmement besoin… et je n’ai pas une minute à perdre.»

Et, détachant de la liasse le premier billet, il le tendit au fonctionnaire.

«Je n’ai pas de quoi vous rendre. N’avez-vous pas de monnaie?

– Non.»

Comme pris d’un doute, Mitia vérifia quelques billets.

«Ils sont tous pareils…, déclara-t-il en regardant de nouveau Piotr Ilitch d’un air interrogateur.

– Où avez-vous fait fortune? demanda celui-ci. Un instant, je vais envoyer mon galopin chez les Plotnikov. Ils ferment tard, ils nous donneront la monnaie. Hé, Micha! cria-t-il dans le vestibule.

– C’est cela, chez les Plotnikov, voilà une fameuse idée! fit Mitia.

– Micha, reprit-il en s’adressant au gamin qui venait d’entrer, cours chez les Plotnikov, dis-leur que Dmitri Fiodorovitch les salue et va venir tout à l’heure. Écoute encore; qu’ils me préparent du champagne, trois douzaines de bouteilles, emballées comme lorsque je suis allé à Mokroïé… J’en avais pris alors quatre douzaines, ajouta-t-il à l’adresse de Piotr Ilitch… Ils sont au courant, ne te tourmente pas, Micha. Et puis qu’on ajoute du fromage, des pâtés de Strasbourg, des lavarets fumés, du jambon, du caviar, enfin de tout ce qu’ils ont, pour cent ou cent vingt roubles environ. Qu’on n’oublie pas de mettre des bonbons, des poires, deux ou trois pastèques, non, une suffira, du chocolat, du sucre d’orge, des caramels, enfin, comme l’autre fois. Avec le champagne, cela doit faire dans les trois cents roubles. N’oublie rien, Micha… C’est bien Micha qu’on l’appelle? demanda-t-il à Piotr Ilitch.

– Attendez, fit celui-ci qui l’observait avec inquiétude, il vaut mieux que vous y alliez vous-même; Micha s’embrouillerait.

– J’en ai peur! Eh, Micha, moi qui voulais t’embrasser pour la peine!… Si tu ne t’embrouilles pas, il y aura dix roubles, pour toi, va vite… Qu’on n’oublie pas le champagne, puis du cognac, du vin rouge, du vin blanc, enfin tout comme la dernière fois… Ils savent ce qu’il y avait.

– Écoutez donc! interrompit Piotr Ilitch impatienté cette fois. Que le gamin aille seulement faire de la monnaie et dire qu’on ne ferme pas, vous commanderez vous-même. Donnez votre billet, et dépêche-toi, Micha!»

Piotr Ilitch avait hâte d’expédier Micha, car le gamin restait bouche bée devant le visiteur, les yeux écarquillés à la vue du sang et de la liasse de billets qui tremblait entre ses doigts; il n’avait pas dû comprendre grand-chose aux instructions de Mitia.

«Et maintenant, allez vous laver, dit brusquement Piotr Ilitch. Mettez l’argent sur la table ou dans votre poche… C’est cela. Ôtez votre redingote.»

En l’aidant à retirer sa redingote, il s’exclama de nouveau: «Regardez, il y a du sang à votre redingote.

– Mais non. Seulement un peu à la manche, et puis ici, à la place du mouchoir… ça aura coulé à travers la poche, quand je me suis assis sur mon mouchoir, chez Fénia», expliqua Mitia d’un air confiant.

Piotr Ilitch l’écoutait, les sourcils froncés.

«Vous voilà bien arrangé, vous avez dû vous battre», murmura-t-il.

Il tenait le pot à eau et versait au fur et à mesure. Dans sa précipitation, Mitia se lavait mal, ses mains tremblaient. Piotr Ilitch lui prescrivit de savonner et de frotter davantage. Il avait pris sur Mitia une sorte d’ascendant qui s’affirmait de plus en plus. À noter que ce jeune homme n’avait pas froid aux yeux.

«Vous n’avez pas nettoyé sous les ongles; à présent, lavez-vous la figure, ici, près de la tempe, à l’oreille… C’est avec cette chemise que vous partez? Où allez-vous? Toute la manche droite est tachée.

– C’est vrai, dit Mitia en l’examinant.

– Mettez-en une autre.

– Je n’ai pas le temps. Mais regardez… continua Mitia toujours confiant, en s’essuyant et en remettant sa redingote, je vais relever la manchette comme cela, on ne la verra pas.

– Dites-moi maintenant ce qui s’est passé. Vous êtes-vous battu de nouveau au cabaret, comme l’autre fois? Avez-vous encore rossé le capitaine?» Piotr Ilitch évoquait la scène d’un ton de reproche.» Qui avez-vous encore battu… ou tué, peut-être?

– Sottises!

– Comment, sottises?

– Laissez-donc, fit Mitia qui se mit à rire. Je viens d’écraser une vieille femme sur la place.

– Écraser? Une vieille femme?

– Un vieillard! corrigea Mitia qui fixa Piotr Ilitch, en riant et en criant comme si l’autre était sourd.

– Que diable! un vieillard, une vieille femme… Vous avez tué quelqu’un?

– Nous nous sommes réconciliés après nous être colletés. Nous nous sommes quittés bons amis. Un imbécile!… Il m’a sûrement pardonné, à présent… S’il s’était relevé, il ne m’aurait pas pardonné, dit Mitia en clignant de l’œil, mais qu’il aille au diable! Vous entendez, Piotr Ilitch? Laissons cela, je ne veux pas en parler pour le moment! conclut Mitia d’un ton tranchant.

– Ce que j’en dis, c’est que vous aimez à vous commettre avec n’importe qui… comme alors pour des bagatelles, avec ce capitaine. Vous venez de vous battre et vous courez faire la noce! Voilà tout votre caractère. Trois douzaines de bouteilles de champagne! À quoi bon une telle quantité?

– Bravo! Donnez-moi maintenant les pistolets. Le temps presse. Je voudrais bien causer avec toi, mon cher, mais je n’ai pas le temps. D’ailleurs, inutile, c’est trop tard. Ah! où est l’argent, qu’en ai-je fait?»

Il se mit à fouiller dans ses poches.

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