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Athos interrompit le prince:

– Gardez votre argent, monseigneur; la guerre se fait chez les Arabes avec de l’or autant qu’avec du plomb.

– Je veux essayer du contraire, repartit le duc, et puis vous savez mes idées sur mon expédition: beaucoup de bruit, beaucoup de feu, et je disparaîtrai, s’il le faut dans la fumée.

Ayant ainsi parlé, M. de Beaufort voulut se remettre à rire; mais il était mal tombé avec Athos et Raoul. Il s’en aperçut aussitôt.

– Ah! dit-il avec l’égoïsme courtois de son rang et de son âge, vous êtes des gens qu’il ne faut pas voir après le dîner, froids, roides et secs, quand je suis tout feu, tout souplesse et tout vin. Non, le diable m’emporte! je vous verrai toujours à jeun, vicomte; et vous, comte, si vous continuez, je ne vous verrai plus.

Il disait cela en serrant la main d’Athos, qui lui répondit en souriant:

– Monseigneur, ne faites pas cet éclat, parce que vous avez beaucoup d’argent. Je vous prédis que, avant un mois, vous serez sec, roide et froid, en présence de votre coffre, et qu’alors, ayant Raoul à vos côtés, vous serez surpris de le voir gai, bouillant et généreux, parce qu’il aura des écus neufs à vous offrir.

– Dieu vous entende! s’écria le duc enchanté. Je vous garde, comte.

– Non, je pars avec Raoul; la mission dont vous le chargez est pénible, difficile. Seul, il aurait trop de peine à la remplir. Vous ne faites pas attention, monseigneur, que vous venez de lui donner un commandement de premier ordre.

– Bah!

– Et dans la marine!

– C’est vrai. Mais ne fait-on pas tout ce qu’on veut, quand on lui ressemble?

– Monseigneur, vous ne trouverez nulle part autant de zèle et d’intelligence, autant de réelle bravoure que chez Raoul; mais, s’il vous manquait votre embarquement, vous n’auriez que ce que vous méritez.

– Le voilà qui me gronde!

– Monseigneur, pour approvisionner une flotte, pour rallier une flottille, pour enrôler votre service maritime, il faudrait un an à un amiral. Raoul est un capitaine de cavalerie, et vous lui donnez quinze jours.

– Je vous dis qu’il s’en tirera.

– Je le crois bien; mais je l’y aiderai.

– J’ai bien compté sur vous, et je compte bien même qu’une fois à Toulon, vous ne le laisserez pas partir seul.

– Oh! fit Athos en secouant la tête.

– Patience! patience!

– Monseigneur, laissez-nous prendre congé.

– Allez donc, et que ma fortune vous aide!

– Adieu, monseigneur, et que votre fortune vous aide aussi!

– Voilà une expédition bien commencée, dit Athos à son fils. Pas de vivres, pas de réserves, pas de flottille de charge; que fera-t-on ainsi?

– Bon! murmura Raoul, si tous y vont faire ce que j’y ferai, les vivres ne manqueront pas.

– Monsieur, répliqua sévèrement Athos, ne soyez pas injuste et fou dans votre égoïsme ou dans votre douleur, comme il vous plaira. Dès que vous partez pour cette guerre avec l’intention d’y mourir, vous n’avez besoin de personne, et ce n’était pas la peine de vous faire recommander à M. de Beaufort. Dès que vous approchez du prince commandant, dès que vous acceptez la responsabilité d’une charge dans l’armée, il ne s’agit plus de vous, il s’agit de tous ces pauvres soldats qui, comme vous, ont un cœur et un corps, qui pleureront la patrie et souffriront toutes les nécessités de la condition humaine. Sachez, Raoul, que l’officier est un ministre aussi utile qu’un prêtre, et qu’il doit avoir plus de charité qu’un prêtre.

– Monsieur, je le savais et je l’ai pratiqué, je l’eusse fait encore… mais…

– Vous oubliez aussi que vous êtes d’un pays fier de sa gloire militaire; allez mourir si vous voulez, mais ne mourez pas sans honneur et sans profit pour la France. Allons, Raoul, ne vous attristez pas de mes paroles; je vous aime et voudrais que vous fussiez parfait.

– J’aime vos reproches, monsieur, dit doucement le jeune homme; ils me guérissent, ils me prouvent que quelqu’un m’aime encore.

– Et maintenant, partons, Raoul; le temps est si beau, le ciel est si pur, ce ciel que nous trouverons toujours au-dessus de nos têtes, que vous reverrez plus pur encore à Djidgelli, et qui vous parlera de moi là-bas comme ici il me parle de Dieu.

Les deux gentilshommes, après s’être accordés sur ce point, s’entretinrent des folles façons du duc, convinrent que la France serait servie d’une manière incomplète dans l’esprit et la pratique de l’expédition, et, ayant résumé cette politique par le mot vanité, ils se mirent en marche pour obéir à leur volonté plus encore qu’au destin.

Le sacrifice était accompli.

Chapitre CCXXXVII – Le plat d'argent

Le voyage fut doux. Athos et son fils traversèrent toute la France en faisant une quinzaine de lieues par jour, quelquefois davantage, selon que le chagrin de Raoul redoublait d’intensité.

Ils mirent quinze jours pour arriver à Toulon, et perdirent tout à fait les traces de d’Artagnan à Antibes.

Il faut croire que le capitaine des mousquetaires avait voulu garder l’incognito dans ces parages; car Athos recueillit de ses informations l’assurance qu’on avait vu le cavalier qu’il dépeignit changer ses chevaux contre une voiture bien fermée à partir d’Avignon.

Raoul se désespérait de ne point rencontrer d’Artagnan, il manquait à ce cœur tendre l’adieu et la consolation de ce cœur d’acier.

Athos savait par expérience que d’Artagnan devenait impénétrable lorsqu’il s’occupait d’une affaire sérieuse, soit pour son compte, soit pour le service du roi.

Il craignit même d’offenser son ami ou de lui nuire en prenant trop d’informations. Cependant, quand Raoul commença son travail de classement pour la flottille, et qu’il rassembla les chalands et allèges pour les envoyer à Toulon, l’un des pêcheurs apprit au comte que son bateau était en radoub depuis un voyage qu’il avait fait pour le compte d’un gentilhomme très pressé de s’embarquer.

Athos, croyant que cet homme mentait pour rester libre et gagner plus d’argent à pêcher quand tous ses compagnons seraient partis, insista pour avoir des détails.

Le pêcheur lui apprit que, environ six jours en deçà, un homme était venu louer son bateau pendant la nuit pour rendre une visite à l’île Saint-Honorat. Le prix fut convenu; mais le gentilhomme était arrivé avec une grande caisse de voiture qu’il avait voulu embarquer malgré les difficultés de toute nature que présentait cette opération. Le pêcheur avait voulu se dédire. Il avait menacé, et sa menace n’avait abouti qu’à lui procurer un grand nombre de coups de canne rudement appliqués par ce gentilhomme, qui frappait fort et longtemps. Tout maugréant, le pêcheur avait eu recours au syndic de ses confrères d’Antibes, lesquels entre eux font la justice et se protègent; mais le gentilhomme avait exhibé certain papier à la vue duquel le syndic, saluant jusqu’à terre avait enjoint au pêcheur d’obéir, en le gourmandant d’avoir été récalcitrant. Alors on était parti avec le chargement.

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