Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

– Merci. Que vous a dit le roi?

– Rien.

– Ah! voilà comme vous causez?

– Dame!

– Que pensez-vous de ma situation?

– Rien.

– Cependant, à moins de mauvaise volonté…

– Votre situation est difficile.

– En quoi?

– En ce que vous êtes chez vous.

– Si difficile qu’elle soit, je la comprends bien.

– Pardieu! est-ce que vous vous imaginez qu’avec un autre que vous j’eusse fait tant de franchise?

– Comment, tant de franchise? Vous avez été franc avec moi, vous! vous qui refusez de me dire la moindre chose?

– Tant de façons. Alors.

– À la bonne heure!

– Tenez, monseigneur, écoutez comment je m’y fusse pris avec un autre que vous: j’arrivais à votre porte, les gens partis, ou, s’ils n’étaient pas partis, je les attendais à leur sortie et je les attrapais un à un, comme des lapins au débouter; je les coffrais sans bruit, je m’étendais sur le tapis de votre corridor, et, une main sur vous, sans que vous vous en doutassiez, je vous gardais pour le déjeuner du maître. De cette façon pas d’esclandre, pas de défense, pas de bruit, mais aussi, pas d’avertissement pour M. Fouquet, pas de réserve, pas de ces concessions délicates qu’entre gens courtois on se fait au moment décisif. Êtes-vous content de ce plan-là?

– Il me fait frémir.

– N’est-ce pas? c’eût été triste d’apparaître demain, sans préparation, et de vous demander votre épée.

– Oh! monsieur, j’en fusse mort de honte et de colère!

– Votre reconnaissance s’exprime trop éloquemment; je n’ai point fait assez, croyez-moi.

– À coup sûr, monsieur, vous ne me ferez jamais avouer cela.

– Eh bien! maintenant, monseigneur, si vous êtes content de moi, si vous êtes remis de la secousse, que j’ai adoucie autant que j’ai pu, laissons le temps battre des ailes, vous êtes harassé, vous avez des réflexions à faire, je vous en conjure: dormez ou faites semblant de dormir, sur votre lit ou dans votre lit. Moi, je dors sur ce fauteuil, et quand je dors, mon sommeil est dur au point que le canon ne me réveillerait pas.

Fouquet sourit.

– J’excepte cependant, continua le mousquetaire, le cas où l’on ouvrirait une porte, soit secrète, soit visible, soit de sortie, soit d’entrée. Oh! pour cela, mon oreille est vulnérable au dernier point. Un craquement me fait tressaillir. C’est une affaire d’antipathie naturelle. Allez donc, venez donc, promenez-vous par la chambre, écrivez, effacez, déchirez, brûlez, mais ne touchez pas la clef de la serrure; mais ne touchez pas au bouton de la porte, car vous me réveilleriez en sursaut, et cela m’agacerait horriblement les nerfs.

– Décidément, monsieur d’Artagnan, dit Fouquet vous êtes l’homme le plus spirituel et le plus courtois que je connaisse, et vous ne me laisserez qu’un regret, c’est d’avoir fait si tard votre connaissance.

D’Artagnan poussa un soupir qui voulait dire. «Hélas! peut-être l’avez vous faite trop tôt!»

Puis il s’enfonça dans son fauteuil, tandis que Fouquet, à demi couché sur son lit et appuyé sur le coude, rêvait à son aventure.

Et tous deux, laissant les bougies brûler, attendirent ainsi le premier réveil du jour, et quand Fouquet soupirait trop haut, d’Artagnan ronflait plus fort.

Nulle visite, même celle d’Aramis, ne troubla leur quiétude, nul bruit ne se fit entendre dans la vaste maison.

Au-dehors, les rondes d’honneur et les patrouilles de mousquetaires faisaient crier le sable sous leurs pas: c’était une tranquillité de plus pour les dormeurs. Qu’on y joigne le bruit du vent et des fontaines, qui font leur fonction éternelle, sans s’inquiéter des petits bruits et des petites choses dont se composent la vie et la mort de l’homme.

Chapitre CCXXVI – Le matin

Auprès de ce destin lugubre du roi enfermé à la Bastille et rongeant de désespoir les verrous et les barreaux, la rhétorique des chroniqueurs anciens ne manquerait pas de placer l’antithèse de Philippe dormant sous le dais royal. Ce n’est pas que la rhétorique soit toujours mauvaise et sème toujours à faux les fleurs dont elle veut émailler l’histoire; mais nous nous excuserons de polir ici soigneusement l’antithèse et de dessiner avec intérêt l’autre tableau destiné à servir de pendant au premier.

Le jeune prince descendit de chez Aramis comme le roi était descendu de la chambre de Morphée. Le dôme s’abaissa lentement sous la pression de M. d’Herblay, et Philippe se trouva devant le lit royal, qui était remonté après avoir déposé son prisonnier dans les profondeurs des souterrains.

Seul en présence de ce luxe, seul devant toute sa puissance, seul devant le rôle qu’il allait être forcé de jouer, Philippe sentit pour la première fois son âme s’ouvrir à ces mille émotions qui sont les battements vitaux d’un cœur de roi.

Mais la pâleur le prit quand il considéra ce lit vide et encore froissé par le corps de son frère.

Ce muet complice était revenu après avoir servi à la consommation de l’œuvre. Il revenait avec la trace du crime, il parlait au coupable le langage franc et brutal que le complice ne craint jamais d’employer avec son complice. Il disait la vérité.

Philippe, en se baissant pour mieux voir, aperçut le mouchoir encore humide de la sueur froide qui avait ruisselé du front de Louis XIV. Cette sueur épouvanta Philippe comme le sang d’Abel épouvanta Caïn.

– Me voilà face à face avec mon destin, dit Philippe, l’œil en feu, le visage livide. Sera-t-il plus effrayant que ma captivité ne fut douloureuse? Forcé de suivre à chaque instant les usurpations de la pensée, songerai-je toujours à écouter les scrupules de mon cœur?… Eh bien! oui! le roi a reposé sur ce lit; oui, c’est bien sa tête qui a creusé ce pli dans l’oreiller, c’est bien l’amertume de ses larmes qui a amolli ce mouchoir et j’hésite à me coucher sur ce lit, à serrer de ma main ce mouchoir brodé des armes et du chiffre du roi!… Allons, imitons M. d’Herblay, qui veut que l’action soit toujours d’un degré au-dessus de la pensée; imitons M. d’Herblay, qui songe toujours à lui et qui s’appelle honnête homme quand il n’a mécontenté ou trahi que ses ennemis. Ce lit, je l’aurais occupé si Louis XIV ne m’en eût frustré par le crime de notre mère. Ce mouchoir brodé aux armes de France, c’est à moi qu’il appartiendrait de m’en servir, si, comme le fait observer M. d’Herblay, j’avais été laissé à ma place dans le berceau royal. Philippe, fils de France, remonte sur ton lit! Philippe, seul roi de France, reprends ton blason! Philippe, seul héritier présomptif de Louis XIII, ton père, sois sans pitié pour l’usurpateur, qui n’a pas même en ce moment le remords de tout ce que tu as souffert!

71
{"b":"125138","o":1}