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Un long cri de fureur et de menace monta jusqu’à la fenêtre où se tenait l’évêque, et l’enveloppa d’un fluide vibrant.

– Vengeons M. Fouquet! crièrent les plus exaltés. À mort les royaux!

– Non, mes amis, répliqua solennellement Aramis, non, mes amis, pas de résistance Le roi est maître dans son royaume. Le roi est le mandataire de Dieu. Le roi et Dieu ont frappé M. Fouquet. Humiliez-vous devant la main de Dieu. Aimez Dieu et le roi, qui ont frappé M. Fouquet. Mais ne vengez pas votre seigneur, ne cherchez pas à Je venger. Vous vous sacrifieriez en vain, vous, vos femmes et vos enfants, vos biens et votre liberté. Bas les armes, mes amis! bas les armes! puisque le roi vous le commande, et retirez-vous paisiblement dans vos demeures. C’est moi qui vous le demande, c’est moi qui vous en prie, c’est moi qui, au besoin, vous le commande au nom de M. Fouquet.

La foule, amassée sous la fenêtre, fit entendre un long frémissement de colère et d’effroi.

– Les soldats de Louis XIV sont entrés dans l’île, continua Aramis. Désormais, ce ne serait plus entre eux et vous un combat, ce serait un massacre. Allez, allez et oubliez; cette fois, je vous le commande au nom du Seigneur.

Les mutins se retirèrent lentement, soumis et muets.

– Ah çà! mais que venez-vous donc de dire là, mon ami? dit Porthos.

– Monsieur, dit Biscarrat à l’évêque, vous sauvez tous ces habitants, mais vous ne sauvez ni votre ami ni vous.

– Monsieur de Biscarrat, dit avec un accent singulier de noblesse et de courtoisie l’évêque de Vannes, monsieur de Biscarrat, soyez assez bon pour reprendre votre liberté.

– Je le veux bien, monsieur; mais…

– Mais cela nous rendra service; car, en annonçant au lieutenant du roi la soumission des insulaires, vous obtiendrez peut-être quelque grâce pour nous, en l’instruisant de la manière dont cette soumission s’est opérée.

– Grâce! répliqua Porthos avec des yeux flamboyants, grâce! qu’est-ce que ce mot-là!

Aramis toucha rudement le coude de son ami, comme il faisait aux beaux jours de leur jeunesse, alors qu’il voulait avertir Porthos qu’il avait fait ou qu’il allait faire quelque bévue. Porthos comprit et se tut soudain.

– J’irai, messieurs, répondit Biscarrat, un peu surpris aussi de ce mot de grâce prononcé par le fier mousquetaire dont, quelques instants auparavant, il racontait et vantait avec tant d’enthousiasme les exploits héroïques.

– Allez donc, monsieur de Biscarrat, dit Aramis en le saluant, et, en partant, recevez l’expression de toute notre reconnaissance.

– Mais vous, messieurs, vous que je m’honore d’appeler mes amis, puisque vous avez bien voulu recevoir ce titre, que devenez-vous pendant ce temps? reprit l’officier tout ému, en prenant congé des deux anciens adversaires de son père.

– Nous, nous attendons ici.

– Mais, mon Dieu!… l’ordre est formel!

– Je suis évêque de Vannes, monsieur de Biscarrat, et l’on ne passe pas plus par les armes un évêque que l’on ne pend un gentilhomme.

– Ah! oui, monsieur, oui, monseigneur, reprit Biscarrat; oui, c’est vrai, vous avez raison, il y a encore pour vous cette chance. Donc, je pars, je me rends auprès du commandant de l’expédition, du lieutenant du roi. Adieu donc, messieurs; ou plutôt, au revoir!

En effet, le digne officier, sautant sur un cheval que lui fit donner Aramis, courut dans la direction des coups de feu qu’on avait entendus et qui, en amenant la foule dans le fort, avait interrompu la conversation des deux amis avec leur prisonnier.

Aramis le regarda partir, et demeura seul avec Porthos:

– Eh bien! comprenez-vous? dit-il.

– Ma foi, non.

– Est-ce que Biscarrat ne vous gênait pas ici?

– Non, c’est un brave garçon.

– Oui; mais la grotte de Locmaria, est-il nécessaire que tout le monde la connaisse?

– Ah! c’est vrai, c’est vrai, je comprends. Nous nous sauvons par le souterrain.

– S’il vous plaît, répliqua joyeusement Aramis. En route, ami Porthos! Notre bateau nous attend, et le roi ne nous tient pas encore.

Chapitre CCLIII – La grotte de Locmaria

Le souterrain de Locmaria était assez éloigné du môle pour que les deux amis dussent ménager leurs forces avant d’y arriver.

D’ailleurs, la nuit s’avançait; minuit avait sonné au fort; Porthos et Aramis étaient chargés d’argent et d’armes.

Ils cheminaient donc dans la lande qui sépare le môle de ce souterrain, écoutant tous les bruits et tâchant d’éviter toutes les embûches.

De temps en temps, sur la route qu’ils avaient soigneusement laissée à leur gauche, passaient des fuyards venant de l’intérieur des terres, à la nouvelle du débarquement des troupes royales.

Aramis et Porthos, cachés derrière quelque anfractuosité de rocher, recueillaient les mots échappés aux pauvres gens qui fuyaient tout tremblants, portant avec eux leurs effets les plus précieux, et tâchaient, en entendant leurs plaintes, d’en conclure quelque chose pour leur intérêt.

Enfin, après une course rapide, mais fréquemment interrompue par des stations prudentes, ils atteignirent ces grottes profondes dans lesquelles le prévoyant évêque de Vannes avait eu soin de faire rouler sur des cylindres une bonne barque capable de tenir la mer dans cette belle saison.

– Mon bon ami, dit Porthos après avoir respiré bruyamment, nous sommes arrivés, à ce qu’il me paraît; mais je crois que vous m’avez parlé de trois hommes, de trois serviteurs qui devaient nous accompagner. Je ne les vois pas; où sont-ils donc?

– Pourquoi les verriez-vous, cher Porthos? répondit Aramis. Ils nous attendent certainement dans la caverne, et sans nul doute, ils se reposent un moment après avoir accompli ce rude et difficile travail.

Aramis arrêta Porthos, qui se préparait à entrer dans le souterrain.

– Voulez-vous, mon bon ami, dit-il au géant, me permettre de passer le premier? Je connais le signal que j’ai donné à nos hommes, et nos gens, ne l’entendant pas, seraient dans le cas de faire feu sur vous ou de vous lancer leur couteau dans l’ombre.

– Allez, cher Aramis, allez le premier, vous êtes tout sagesse et tout prudence, allez. Aussi bien, voilà cette fatigue dont je vous ai parlé qui me reprend encore une fois.

Aramis laissa Porthos s’asseoir à l’entrée de la grotte, et, courbant la tête, il pénétra dans l’intérieur de la caverne en imitant le cri de la chouette.

Un petit roucoulement plaintif, un cri à peine distinct, répondit dans la profondeur du souterrain.

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