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Aramis et Porthos échangèrent un coup d’œil qui témoignait de leur désespoir.

Plus de fonds à faire sur cette brave imagination de d’Artagnan, plus de ressource, par conséquent, en cas de défaite.

Aramis, continuant son interrogatoire, demanda au prisonnier ce que les royaux comptaient faire des chefs de Belle-Île.

– Ordre, répliqua celui-ci, de tuer pendant le combat et de pendre après.

Aramis et Porthos se regardèrent encore.

Le rouge monta au visage de tous deux.

– Je suis bien léger pour la potence, répondit Aramis; les gens comme moi ne se pendent pas.

– Et moi, je suis bien lourd, dit Porthos; les gens comme moi cassent la corde.

– Je suis sûr, fit galamment le prisonnier, que nous vous eussions procuré la faveur d’une mort à votre choix.

– Mille remerciements, dit sérieusement Aramis.

Porthos s’inclina.

– Encore ce coup de vin à votre santé, fit-il en buvant lui-même.

De propos en propos, le souper se prolongea; l’officier, qui était un spirituel gentilhomme, se laissa doucement aller au charme de l’esprit d’Aramis et de la cordiale bonhomie de Porthos.

– Pardonnez-moi, dit-il si je vous adresse une question; mais des gens qui en sont à leur sixième bouteille ont bien le droit de s’oublier un peu.

– Adressez, dit Porthos, adressez.

– Parlez, fit Aramis.

– N’étiez-vous pas, messieurs, vous deux, dans les mousquetaires du feu roi?

– Oui, monsieur, et des meilleurs, s’il vous plaît, répliqua Porthos.

– C’est vrai: je dirais même les meilleurs de tous les soldats, messieurs, si je ne craignais d’offenser la mémoire de mon père.

– De votre père? s’écria Aramis.

– Savez-vous comment je me nomme?

– Ma foi! non, monsieur; mais vous me le direz, et…

– Je m’appelle Georges de Biscarrat.

– Oh! s’écria Porthos à son tour, Biscarrat! vous rappelez-vous ce nom, Aramis?

– Biscarrat?… rêva l’évêque. Il me semble…

– Cherchez bien, monsieur, dit l’officier.

– Pardieu! ce ne sera pas long, fit Porthos. Biscarrat, dit Cardinal… un des quatre qui vinrent nous interrompre le jour où nous entrâmes dans l’amitié de d’Artagnan, l’épée à la main.

– Précisément, messieurs.

– Le seul, dit Aramis vivement, que nous ne blessâmes pas.

– Une rude lame, par conséquent, fit le prisonnier.

– C’est vrai, oh! bien vrai, dirent les deux amis ensemble. Ma foi! monsieur de Biscarrat, enchanté de faire la connaissance d’un aussi brave homme.

Biscarrat serra les deux mains que lui tendaient les deux anciens mousquetaires.

Aramis regarda Porthos, comme pour lui dire: «Voilà un homme qui nous aidera.» Et, sur-le-champ:

– Avouez, dit-il, monsieur, qu’il fait bon d’avoir été honnête homme.

– Mon père me l’a toujours dit, monsieur.

– Avouez, de plus, que c’est une triste circonstance que celle où vous vous trouvez de rencontrer des gens destinés à être arquebusés ou pendus, et de s’apercevoir que ces gens-là sont d’anciennes connaissances, de vieilles connaissances héréditaires.

– Oh! vous n’êtes pas réservés à ce sort affreux, messieurs et amis, dit vivement le jeune homme.

– Bah! vous l’avez dit.

– Je l’ai dit tout à l’heure, quand je ne vous connaissais pas; mais, maintenant que je vous connais, je dis: Vous éviterez ce destin funeste, si vous le voulez.

– Comment, si nous le voulons? s’écria Aramis, dont les yeux brillèrent d’intelligence en regardant alternativement son prisonnier et Porthos.

– Pourvu, continua Porthos en regardant à son tour, avec une noble intrépidité, M. de Biscarrat et l’évêque, pourvu qu’on ne nous demande pas de lâchetés.

– On ne vous demandera rien du tout, messieurs reprit le gentilhomme de l’armée royale; que voulez-vous qu’on vous demande? Si l’on vous trouve, on vous tue, c’est chose arrêtée; tâchez donc, messieurs, qu’on ne vous trouve pas.

– Je crois ne pas me tromper, fit Porthos avec dignité, mais il me semble bien que, pour nous trouver, il faut que l’on vienne nous quérir ici.

– En cela vous avez parfaitement raison, mon digne ami, reprit Aramis en interrogeant toujours du regard la physionomie de Biscarrat, silencieux et contraint. Vous voulez, monsieur de Biscarrat, nous dire quelque chose, nous faire quelque ouverture et vous n’osez pas, n’est-il pas vrai?

– Ah! messieurs et amis, c’est qu’en parlant je trahis la consigne; mais, tenez, j’entends une voix qui dégage la mienne en la dominant.

– Le canon! fit Porthos.

– Le canon et la mousqueterie s’écria l’évêque.

On entendait gronder au loin, dans les roches, ces bruits sinistres d’un combat qui ne dura point.

– Qu’est-ce que cela? demanda Porthos.

– Eh! pardieu! s’écria Aramis, c’est ce dont je me doutais.

– Quoi donc?

– L’attaque faite par vous n’était qu’une feinte, n’est-il pas vrai, monsieur? et, pendant que vos compagnies se laissaient repousser, vous aviez la certitude d’opérer un débarquement de l’autre côté de l’île.

– Oh! plusieurs, monsieur.

– Nous sommes perdus, alors, fit paisiblement l’évêque de Vannes.

– Perdus! cela est possible, répondit le seigneur de Pierrefonds; mais nous ne sommes pas pris ni pendus.

Et, en disant ces mots, il se leva de la table, s’approcha du mur et en détacha froidement son épée et ses pistolets, qu’il visita avec ce soin du vieux soldat qui s’apprête à combattre, et qui sent que sa vie repose en grande partie sur l’excellence et la bonne tenue de ses armes.

Au bruit du canon, à la nouvelle de la surprise qui pouvait livrer l’île aux troupes royales, la foule éperdue se précipita dans le fort. Elle venait demander assistance et conseil à ses chefs.

Aramis, pâle et vaincu, se montra entre deux flambeaux à la fenêtre qui donnait sur la grande cour, pleine de soldats qui attendaient des ordres, et d’habitants éperdus qui imploraient secours.

– Mes amis, dit d’Herblay d’une voix grave et sonore, M. Fouquet, votre protecteur, votre ami, votre père, a été arrêté par ordre du roi et jeté à la Bastille.

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