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– Monseigneur…

Et Colbert rougit.

– Voilà un voyage qui coûtera cher à ceux qui le paient, monsieur l’intendant, dit Fouquet. Mais, enfin, vous êtes arrivé. Vous voyez bien, ajouta-t-il un moment après, que, moi qui n’avais pas plus de huit rameurs, je suis arrivé avant vous.

Et il lui tourna le dos, le laissant indécis de savoir réellement si toutes les tergiversations de la seconde gabare avaient échappé à la première.

Au moins ne lui donnait-il pas la satisfaction de montrer qu’il avait eu peur.

Colbert, si fâcheusement secoué, ne se rebuta pas; il répondit:

– Je n’ai pas été vite, monseigneur, parce que je m’arrêtais chaque fois que vous vous arrêtiez.

– Et pourquoi cela, monsieur Colbert? s’écria Fouquet irrité de cette basse audace; pourquoi puisque vous aviez un équipage supérieur au mien, ne me joigniez-vous ou ne me dépassiez-vous pas?

– Par respect, fit l’intendant, qui salua jusqu’à terre.

Fouquet monta dans un carrosse que la ville lui envoyait, on ne sait pourquoi ni comment, et il se rendit à la Maison de Nantes, escorté d’une grande foule qui, depuis plusieurs jours, bouillonnait dans l’attente d’une convocation des États.

À peine fut-il installé, que Gourville sortit pour aller faire préparer les chevaux sur la route de Poitiers et de Vannes et un bateau à Paimbœuf.

Il fit avec tant de mystère, d’activité, de générosité ces différentes opérations, que jamais Fouquet, alors travaillé par son accès de fièvre, ne fut plus près du salut, sauf la coopération de cet agitateur immense des projets humains: le hasard.

Le bruit se répandit en ville, cette nuit, que le roi venait en grande hâte sur des chevaux de poste, et qu’il arriverait dans dix ou douze heures.

Le peuple, en attendant le roi, se réjouissait fort de voir les mousquetaires, fraîchement arrivés avec M. d’Artagnan, leur capitaine, et casernés dans le château, dont ils occupaient tous les postes en qualité de garde d’honneur.

M. d’Artagnan, qui était fort poli, se présenta vers dix heures chez le surintendant, pour lui offrir ses respectueux hommages, et, bien, que le ministre eût la fièvre bien qu’il fût souffrant et trempé de sueur, il voulut recevoir M. d’Artagnan, lequel fut charmé de cet honneur, comme on le verra par l’entretien qu’ils eurent ensemble.

Chapitre CCXLIV – Conseils d'ami

Fouquet s’était couché, en homme qui tient à la vie et qui économise le plus possible ce mince tissu de l’existence, dont les chocs et les angles de ce monde usent si vite l’irréparable ténuité.

D’Artagnan parut sur le seuil de la chambre et fut salué par le surintendant d’un bonjour très affable.

– Bonjour, monseigneur, répondit le mousquetaire; comment vous trouvez-vous de ce voyage?

– Assez bien. Merci.

– Et de la fièvre?

– Assez mal. Je bois, comme vous voyez. À peine arrivé, j’ai frappé sur Nantes une contribution de tisane.

– Il faut dormir d’abord, monseigneur.

– Eh! corbleu! cher monsieur d’Artagnan, je dormirais bien volontiers…

– Qui vous en empêche?

– Mais vous, d’abord.

– Moi? Ah! Monseigneur!…

– Sans doute. Est-ce que, à Nantes comme à Paris, vous ne venez pas au nom du roi?

– Pour Dieu! monseigneur, répliqua le capitaine, laissez donc le roi en repos! Le jour où je viendrai de la part du roi pour ce que vous voulez me dire, je vous promets de ne pas vous faire languir. Vous me verrez mettre la main à l’épée, selon l’ordonnance, et vous m’entendrez dire du premier coup, de ma voix de cérémonie: «Monseigneur, au nom du roi, je vous arrête»

Fouquet tressaillit malgré lui, tant l’accent du Gascon spirituel avait été naturel et vigoureux. La représentation du fait était presque aussi effrayante que le fait lui-même.

– Vous me promettez cette franchise? dit le surintendant.

– Sur l’honneur! Mais nous n’en sommes pas là, croyez-moi.

– Qui vous fait penser cela, monsieur d’Artagnan? Moi, je crois tout le contraire.

– Je n’ai entendu parler de quoi que ce soit, répliqua d’Artagnan.

– Eh! eh! fit Fouquet.

– Mais non, vous êtes un agréable homme, malgré votre fièvre. Le roi ne peut, ne doit s’empêcher de vous aimer au fond du cœur.

Fouquet fit la grimace.

– Mais M. Colbert? dit-il. M. Colbert m’aime-t-il aussi autant que vous le dites?

– Je ne parle point de M. Colbert, reprit d’Artagnan. C’est un homme exceptionnel, celui-là! Il ne vous aime pas, c’est possible; mais mordioux! l’écureuil peut se garer de la couleuvre, pour peu qu’il le veuille.

– Savez-vous que vous me parlez en ami, répliqua Fouquet, et que, sur ma vie! je n’ai jamais trouvé un homme de votre esprit et de votre cœur?

– Cela vous plaît à dire, fit d’Artagnan. Vous attendez à aujourd’hui pour me faire un compliment pareil?

– Aveugles que nous sommes! murmura Fouquet.

– Voilà votre voix qui s’enroue, dit d’Artagnan. Buvez, monseigneur, buvez.

Et il lui offrit une tasse de tisane avec la plus cordiale amitié; Fouquet la prit et le remercia par un bon sourire.

– Ces choses-là n’arrivent qu’à moi, dit le mousquetaire. J’ai passé dix ans sous votre barbe quand vous remuiez des tonnes d’or; vous faisiez quatre millions de pension par an, vous ne m’avez jamais remarqué; et voilà que vous vous apercevez que je suis au monde, précisément au moment…

– Où je vais tomber, interrompit Fouquet. C’est vrai cher monsieur d’Artagnan.

– Je ne dis pas cela.

– Vous le pensez, c’est tout. Eh bien! si je tombe, prenez ma parole pour vraie, je ne passerai pas un jour sans me dire, en me frappant la tête: «Fou! fou! stupide mortel! Tu avais M. d’Artagnan sous la main, et tu ne t’es pas servi de lui! et tu ne l’as pas enrichi!»

– Vous me comblez! dit le capitaine; je raffole de vous.

– Encore un homme qui ne pense pas comme M. Colbert, fit le surintendant.

– Que ce Colbert vous tient aux côtes! C’est pis que votre fièvre.

– Ah! j’ai mes raisons, dit Fouquet. Jugez-les.

Et il lui raconta les détails de la course des gabares et l’hypocrite persécution de Colbert.

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