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– C’est une phrase de flatteur, et qui doit venir de M. Colbert, mais ce n’est pas une vérité. Le roi est chez lui dans toute maison, quand il en a chassé le propriétaire.

Louis se mordit les lèvres.

– Comment! dit d’Artagnan, voilà un homme qui se ruine pour vous plaire, et vous voulez le faire arrêter? Mordioux! Sire, si je m’appelais Fouquet et que l’on me fît cela, j’avalerais d’un coup dix fusées d’artifice, et j’y mettrais le feu pour me faire sauter, moi et tout le reste. C’est égal, vous le voulez, j’y vais.

– Allez! fit le roi. Mais avez-vous assez de monde?

– Croyez-vous, Sire, que je vais emmener un anspessade avec moi? Arrêter M. Fouquet, mais c’est si facile, qu’un enfant le ferait. M. Fouquet à arrêter, c’est un verre d’absinthe à boire. On fait la grimace, et c’est tout.

– S’il se défend?…

– Lui? Allons donc! se défendre, quand une rigueur comme celle-là le fait roi et martyr! Tenez, s’il lui reste un million, ce dont je doute, je gage qu’il le donnerait pour avoir cette fin-là. Allons, Sire, j’y vais.

– Attendez! dit le roi.

– Ah! qu’y a-t-il?

– Ne rendez pas son arrestation publique.

– C’est plus difficile, cela.

– Pourquoi?

– Parce que rien n’est plus simple que d’aller, au milieu des mille personnes enthousiastes qui l’entourent, dire à M. Fouquet: «Au nom du roi, monsieur, je vous arrête!» Mais aller à lui, le tourner, le retourner, le coller dans quelque coin de l’échiquier, de façon qu’il ne s’en échappe pas; le voler à tous ses convives, et vous le garder prisonnier, sans qu’un de ses hélas! ait été entendu, voilà une difficulté réelle, véritable, suprême, et je la donne en cent aux plus habiles.

– Dites encore: «C’est impossible!» et vous aurez plus vite fait. Ah! mon Dieu, mon Dieu! ne serais-je entouré que de gens qui m’empêchent de faire ce que je veux!

– Moi, je ne vous empêche de rien faire. Est-ce dit?

– Gardez-moi M. Fouquet jusqu’à ce que, demain, j’aie pris une résolution.

– Ce sera fait, Sire.

– Et revenez à mon lever pour prendre mes nouveaux ordres.

– Je reviendrai.

– Maintenant, qu’on me laisse seul.

– Vous n’avez pas même besoin de M. Colbert? dit le mousquetaire envoyant sa dernière flèche au moment du départ.

Le roi tressaillit. Tout entier à la vengeance, il avait oublié le corps du délit.

– Non, personne, dit-il, personne ici! Laissez-moi!

D’Artagnan partit. Le roi ferma sa porte lui-même, et commença une furieuse course dans sa chambre, comme le taureau blessé qui traîne après lui ses banderilles et les fers des hameçons. Enfin, il se mit à se soulager par des cris.

– Ah! le misérable! non seulement il me vole mes finances, mais, avec cet or, il me corrompt secrétaires, amis, généraux, artistes, il me prend jusqu’à ma maîtresse! Ah! voilà pourquoi cette perfide l’a si bravement défendu!… C’était de la reconnaissance!… Qui sait?… peut-être même de l’amour.

Il s’abîma un instant dans ces réflexions douloureuses.

«Un satyre! pensa-t-il avec cette haine profonde que la grande jeunesse porte aux hommes mûrs qui songent encore à l’amour; un faune qui court la galanterie et qui n’a jamais trouvé de rebelles! un homme à femmelettes, qui donne des fleurettes d’or et de diamant, et qui a des peintres pour faire le portrait de ses maîtresses en costume de déesses!»

Le roi frémit de désespoir.

– Il me souille tout! continua-t-il. Il me ruine tout! Il me tuera! Cet homme est trop pour moi! Il est mon mortel ennemi! Cet homme tombera! Je le hais!… je le hais!… je le hais!…

Et, en disant ces mots, il frappait à coups redoublés sur les bras du fauteuil dans lequel il s’asseyait et duquel il se levait comme un épileptique.

– Demain! demain!… Oh! le beau jour! murmura-t-il, quand le soleil se lèvera, n’ayant que moi pour rival, cet homme tombera si bas, qu’en voyant les ruines que ma colère aura faites, on avouera enfin que je suis plus grand que lui!

Le roi, incapable de se maîtriser plus longtemps, renversa d’un coup de poing une table placée près de son lit, et, dans la douleur qu’il ressentit, pleurant presque, suffoquant, il alla se précipiter sur ses draps, tout habillé qu’il était, pour les mordre et pour y trouver le repos du corps.

Le lit gémit sous ce poids, et, à part quelques soupirs échappés de la poitrine haletante du roi, on n’entendit plus rien dans la chambre de Morphée.

Chapitre CCXXIII – Lèse-majesté

Cette fureur exaltée, qui s’était emparée du roi à la vue et à la lecture de la lettre de Fouquet à La Vallière, se fondit peu à peu en une fatigue douloureuse.

La jeunesse, pleine de santé et de vie, ayant besoin de réparer à l’instant même ce qu’elle perd, la jeunesse ne connaît point ces insomnies sans fin qui réalisent pour le malheureux la fable du foie toujours renaissant de Prométhée. Là où l’homme mûr dans sa force, où le vieillard dans son épuisement, trouvent une continuelle alimentation de la douleur, le jeune homme, surpris par la révélation subite du mal, s’énerve en cris, en luttes directes, et se fait terrasser plus vite par l’inflexible ennemi qu’il combat. Une fois terrassé, il ne souffre plus.

Louis fut dompté en un quart d’heure; puis il cessa de crisper ses poings et de brûler avec ses regards les invincibles objets de sa haine; il cessa d’accuser par de violentes paroles M. Fouquet et La Vallière; il tomba de la fureur dans le désespoir, et du désespoir dans la prostration.

Après qu’il se fut roidi et tordu pendant quelques instants sur le lit, ses bras inertes retombèrent à ces côtés. Sa tête languit sur l’oreiller de dentelle, ses membres épuisés frissonnèrent, agités de légères contractions musculaires, sa poitrine ne laissa plus filtrer que de rares soupirs.

Le dieu Morphée, qui régnait en souverain dans cette chambre à laquelle il avait donné son nom, et vers lequel Louis tournait ses yeux appesantis par la colère et rougis par les larmes, le dieu Morphée versait sur lui les pavots dont ses mains étaient pleines, de sorte que le roi ferma doucement ses yeux et s’endormit.

Alors il lui sembla, comme il arrive dans le premier sommeil, si doux et si léger, qui élève le corps au-dessus de la couche, l’âme au-dessus de la terre, il lui sembla que le dieu Morphée, peint sur le plafond, le regardait avec des yeux tout humains; que quelque chose brillait et s’agitait dans le dôme; que les essaims de songes sinistres, un instant déplacés, laissaient à découvert un visage d’homme, la main appuyée sur sa bouche, et dans l’attitude d’une méditation contemplative. Et, chose étrange, cet homme ressemblait tellement au roi, que Louis croyait voir son propre visage réfléchi dans un miroir. Seulement, ce visage était attristé par un sentiment de profonde pitié.

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