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Puis il lui sembla, peu à peu, que le dôme fuyait, échappant à sa vue, et que les figures et les attributs peints par Le Brun s’obscurcissaient dans un éloignement progressif. Un mouvement doux, égal, cadencé, comme celui d’un vaisseau qui plonge sous la vague, avait succédé à l’immobilité du lit. Le roi faisait un rêve sans doute, et, dans ce rêve, la couronne d’or qui attachait les rideaux s’éloignait comme le dôme auquel elle restait suspendue, de sorte que le génie ailé, qui, des deux mains, soutenait cette couronne, semblait appeler vainement le roi, qui disparaissait loin d’elle.

Le lit s’enfonçait toujours. Louis, les yeux ouverts, se laissait décevoir par cette cruelle hallucination. Enfin, la lumière de la chambre royale allant s’obscurcissant, quelque chose de froid, de sombre, d’inexplicable envahit l’air. Plus de peintures, plus d’or, plus de rideaux de velours, mais des murs d’un gris terne, dont l’ombre s’épaississait de plus en plus. Et cependant le lit descendait toujours, et, après une minute, qui parut un siècle au roi, il atteignit une couche d’air noire et glacée. Là, il s’arrêta.

Le roi ne voyait plus la lumière de sa chambre que comme, du fond d’un puits, on voit la lumière du jour.

«Je fais un affreux rêve! pensa-t-il. Il est temps de me réveiller. Allons, réveillons-nous!»

Tout le monde a éprouvé ce que nous disons là. Il n’est personne qui, au milieu d’un cauchemar étouffant, ne se soit dit, à l’aide de cette lampe qui veille au fond du cerveau quand toute lumière humaine est éteinte il n’est personne qui ne se soit dit: «Ce n’est rien, je rêve!»

C’était ce que venait de se dire Louis XIV; mais à ce mot: «Réveillons-nous!» il s’aperçut que non seulement il était éveillé, mais encore qu’il avait les yeux ouverts. Alors il les jeta autour de lui.

À sa droite et à sa gauche se tenaient deux hommes armés, enveloppés chacun dans un vaste manteau et le visage couvert d’un masque.

L’un de ces hommes tenait à la main une petite lampe dont la lueur rouge éclairait le plus triste tableau qu’un roi pût envisager.

Louis se dit que son rêve continuait, et que, pour le faire cesser, il suffisait de remuer les bras ou de faire entendre sa voix. Il sauta à bas du lit, et se trouva sur un sol humide. Alors, s’adressant à celui des deux hommes qui tenait la lampe:

– Qu’est cela, monsieur, dit-il, et d’où vient cette plaisanterie?

– Ce n’est point une plaisanterie, répondit d’une voix sourde celui des deux hommes masqués qui tenait la lanterne.

– Êtes-vous à M. Fouquet? demanda le roi un peu interdit.

– Peu importe à qui nous appartenons! dit le fantôme. Nous sommes vos maîtres, voilà tout.

Le roi, plus impatient qu’intimidé, se tourna vers le second masque.

– Si c’est une comédie, fit-il, vous direz à M. Fouquet que je la trouve inconvenante, et j’ordonne qu’elle cesse.

Ce second masque, auquel s’adressait le roi, était un homme de très haute taille et d’une vaste circonférence. Il se tenait droit et immobile comme un bloc de marbre.

– Eh bien! ajouta le roi en frappant du pied, vous ne me répondez pas?

– Nous ne vous répondons pas, mon petit monsieur, fit le géant d’une voix de stentor, parce qu’il n’y a rien à vous répondre, sinon que vous êtes le premier fâcheux, et que M. Coquelin de Volière vous a oublié dans le nombre des siens.

– Mais, enfin, que me veut-on? s’écria Louis en se croisant les bras avec colère.

– Vous le saurez plus tard, répondit le porte-lampe.

– En attendant, où suis-je?

– Regardez!

Louis regarda effectivement; mais, à la lueur de la lampe que soulevait l’homme masqué, il n’aperçut que des murs humides, sur lesquels brillait ça et là le sillage argenté des limaces.

– Oh! oh! un cachot? fit le roi.

– Non, un souterrain.

– Qui mène?…

– Veuillez nous suivre.

– Je ne bougerai pas d’ici, s’écria le roi.

– Si vous faites le mutin, mon jeune ami, répondit le plus robuste des deux hommes, je vous enlèverai, je vous roulerai dans un manteau, et, si vous y étouffez, ma foi! ce sera tant pis pour vous.

Et, en disant ces mots, celui qui les disait tira, de dessous ce manteau dont il menaçait le roi, une main que Milon de Crotone eût bien voulu posséder le jour où lui vint cette malheureuse idée de fendre son dernier chêne.

Le roi eut horreur d’une violence, car il comprenait que ces deux hommes, au pouvoir desquels il se trouvait, ne s’étaient point avancés jusque-là pour reculer, et, par conséquent, pousseraient la chose jusqu’au bout. Il secoua la tête.

– Il paraît que je suis tombé aux mains de deux assassins, dit-il. Marchons!

Aucun des deux hommes ne répondit à cette parole. Celui qui tenait la lampe marcha le premier; le roi le suivit; le second masque vint ensuite. On traversa ainsi une galerie longue et sinueuse, diaprée d’autant d’escaliers qu’on en trouve dans les mystérieux et sombres palais d’Anne Radcliff. Tous ces détours, pendant lesquels le roi entendit plusieurs fois des bruits d’eau sur sa tête, aboutirent enfin à un long corridor fermé par une porte de fer. L’homme à la lampe ouvrit cette porte avec des clefs qu’il portait à sa ceinture, où, pendant toute la route, le roi les avait entendues résonner.

Quand cette porte s’ouvrit et donna passage à l’air, Louis reconnut ces senteurs embaumées qui s’exhalent des arbres après les journées chaudes de l’été. Un instant, il s’arrêta hésitant, mais le robuste gardien qui le suivait le poussa hors du souterrain.

– Encore une fois, dit le roi en se retournant vers celui qui venait de se livrer à cet acte audacieux de toucher son souverain, que voulez-vous faire du roi de France?

– Tâchez d’oublier ce mot-là, répondit l’homme à la lampe, d’un ton qui n’admettait pas plus de réplique que les fameux arrêts de Minos.

– Vous devriez être roué pour le mot que vous venez de prononcer, ajouta le géant en éteignant la lumière que lui passait son compagnon, mais le roi est trop humain.

Louis, à cette menace, fit un mouvement si brusque, que l’on put croire qu’il voulait fuir, mais la main du géant s’appuya sur son épaule et le fixa à sa place.

– Mais, enfin, où allons-nous? dit le roi.

– Venez, répondit le premier des deux hommes avec une sorte de respect, et en conduisant son prisonnier vers un carrosse qui semblait attendre.

Ce carrosse était entièrement caché dans les feuillages. Deux chevaux, ayant des entraves aux jambes, étaient attachés, par un licol, aux branches basses d’un grand chêne.

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