– Ah! s’écria d’Artagnan en l’apercevant, vous êtes encore chez vous, monseigneur.
Et ce encore suffit pour prouver à M. Fouquet combien d’enseignements et de conseils utiles renfermait la première visite du mousquetaire.
Le surintendant se contenta de soupirer.
– Mon Dieu, oui, monsieur, répondit-il; l’arrivée du roi m’a interrompu dans les projets que j’avais.
– Ah! vous savez que le roi vient d’arriver?
– Je l’ai vu, oui, monsieur; et, cette fois, vous venez de sa part?…
– Savoir de vos nouvelles, monseigneur, et, si votre santé n’est pas trop mauvaise, vous prier de vouloir bien vous rendre au château.
– De ce pas, monsieur d’Artagnan, de ce pas.
– Ah! dame! fit le capitaine, à présent que le roi est là, il n’y a plus de promenade pour personne, plus de libre arbitre; la consigne gouverne à présent, vous comme moi, moi comme vous.
Fouquet soupira une dernière fois, monta en carrosse, tant sa faiblesse était grande, et se rendit au château, escorté par d’Artagnan, dont la politesse n’était pas moins effrayante cette fois qu’elle n’avait été naguère consolante et gaie.
Chapitre CCXLV – Comment le roi Louis XIV joua son petit rôle
Comme Fouquet descendait de carrosse pour entrer dans le château de Nantes, un homme du peuple s’approcha de lui avec tous les signes du plus grand respect et lui remit une lettre.
D’Artagnan voulut empêcher cet homme d’entretenir Fouquet, et l’éloigna, mais le message avait été remis au surintendant. Fouquet décacheta la lettre et la lut; en ce moment, un vague effroi que d’Artagnan pénétra facilement se peignit sur les traits du premier ministre.
M. Fouquet mit le papier dans le portefeuille qu’il avait sous son bras, et continua son chemin vers les appartements du roi.
D’Artagnan, par les petites fenêtres pratiquées à chaque étage du donjon, vit, en montant derrière Fouquet, l’homme au billet regarder autour de lui sur la place et faire des signes à plusieurs personnes qui disparurent dans les rues adjacentes, après avoir elles-mêmes répété ces signes faits par le personnage que nous avons indiqué.
On fit attendre Fouquet un moment sur cette terrasse dont nous avons parlé, terrasse qui aboutissait au petit corridor après lequel on avait établi le cabinet du roi.
D’Artagnan alors passa devant le surintendant, que, jusque-là, il avait accompagné respectueusement, et entra dans le cabinet royal.
– Eh bien? lui demanda Louis XIV, qui, en l’apercevant, jeta sur la table couverte de papiers une grande toile verte.
– L’ordre est exécuté, Sire.
– Et Fouquet?
– M. le surintendant me suit, répliqua d’Artagnan.
– Dans dix minutes, on l’introduira près de moi, dit le roi en congédiant d’Artagnan d’un geste.
Celui-ci sortit, et, à peine arrivé dans le corridor à l’extrémité duquel Fouquet l’attendait, fut rappelé par la clochette du roi.
– Il n’a pas paru étonné? demanda le roi.
– Qui, Sire?
– Fouquet, répéta le roi sans dire monsieur, particularité qui confirma le capitaine des mousquetaires dans ses soupçons.
– Non, Sire, répliqua-t-il.
– Bien.
Et, pour la seconde fois, Louis renvoya d’Artagnan.
Fouquet n’avait pas quitté la terrasse où il avait été laissé par son guide; il relisait son billet ainsi conçu:
«Quelque chose se trame contre vous. Peut-être n’osera-t-on au château; ce serait à votre retour chez vous. Le logis est déjà cerné par les mousquetaires. N’y entrez pas; un cheval blanc vous attend derrière l’esplanade.»
M. Fouquet avait reconnu l’écriture et le zèle de Gourville. Ne voulant point que, s’il lui arrivait malheur ce papier pût compromettre un fidèle ami, le surintendant s’occupait à déchirer ce billet en des milliers de morceaux éparpillés au vent hors du balustre de la terrasse.
D’Artagnan le surprit, regardant voltiger les dernières miettes dans l’espace.
– Monsieur, dit-il, le roi vous attend.
Fouquet marcha d’un pas délibéré dans le petit corridor où travaillaient MM. de Brienne et Rose, tandis que le duc de Saint-Aignan, assis sur une petite chaise, aussi dans le corridor, semblait attendre des ordres et bâillait d’une impatience fiévreuse, son épée entre les jambes.
Il sembla étrange à Fouquet que MM. de Brienne, Rose et de Saint-Aignan, d’ordinaire si attentifs, si obséquieux, se dérangeassent à peine lorsque lui, le surintendant, passa. Mais comment eût-il trouvé autre chose chez des courtisans, celui que le roi n’appelait plus que Fouquet?
Il releva la tête, et, bien décidé à tout braver en face, entra chez le roi après qu’une clochette qu’on connaît déjà l’eut annoncé à Sa Majesté.
Le roi, sans se lever, lui fit un signe de tête, et, avec intérêt:
– Eh! comment allez-vous, monsieur Fouquet? dit-il.
– Je suis dans mon accès de fièvre, répliqua le surintendant mais tout au service du roi.
– Bien; les États s’assemblent demain: avez-vous un discours prêt?
Fouquet regarda le roi avec étonnement.
– Je n’en ai pas, Sire, dit-il; mais j’en improviserai un. Je sais assez à fond les affaires pour ne pas demeurer embarrassé. Je n’ai qu’une question à faire: Votre Majesté me le permettra-t-elle?
– Faites.
– Pourquoi Sa Majesté n’a-t-elle pas fait l’honneur à son premier ministre de l’avertir à Paris?
– Vous étiez malade; je ne veux pas vous fatiguer.
– Jamais un travail, jamais une explication ne me fatigue, Sire, et, puisque le moment est venu pour moi de demander une explication à mon roi…
– Oh! monsieur Fouquet! et sur quoi une explication?
– Sur les intentions de Sa Majesté à mon égard.
Le roi rougit.
– J’ai été calomnié, repartit vivement Fouquet, et je dois provoquer la justice du roi à des enquêtes.
– Vous me dites cela bien inutilement, monsieur Fouquet; je sais ce que je sais.
– Sa Majesté ne peut savoir les choses que si on les lui a dites, et je ne lui ai rien dit, moi, tandis que d’autres ont parlé maintes et maintes fois à…
– Que voulez-vous dire? fit le roi, impatient de clore cette conversation embarrassante.