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Louis s’aperçut qu’il avait été trop loin, que les portes de la Bastille étaient encore fermées sur lui, tandis que s’ouvraient peu à peu les écluses derrière lesquelles ce généreux Fouquet contenait sa colère.

– Je n’ai pas dit cela pour vous humilier. À Dieu ne plaise! monsieur! répliqua-t-il. Seulement, vous vous adressez à moi pour obtenir une grâce, et je vous réponds selon ma conscience; or, suivant ma conscience, les coupables dont nous parlons ne sont pas dignes de grâce ni de pardon.

Fouquet ne répliqua rien.

– Ce que je fais là, ajouta le roi, est généreux comme ce que vous avez fait; car je suis en votre pouvoir. Je dirai même que c’est plus généreux, attendu que vous me placez en face de conditions d’où peuvent dépendre ma liberté, ma vie, et que refuser, c’est en faire le sacrifice.

– J’ai tort, en effet, répondit Fouquet. Oui, j’avais l’air d’extorquer une grâce; je me repens, je demande pardon à Votre Majesté.

– Et vous êtes pardonné, mon cher monsieur Fouquet, fit le roi avec un sourire qui acheva de ramener la sérénité sur son visage, que tant d’événements avaient altéré depuis la veille.

– J’ai ma grâce, reprit obstinément le ministre; mais MM. d’Herblay et du Vallon?

– N’obtiendront jamais la leur, tant que je vivrai, répliqua le roi inflexible. Rendez-moi le service de ne m’en plus parler.

– Votre Majesté sera obéie.

– Et vous ne m’en conserverez pas rancune?

– Oh! non, Sire; car j’avais prévu le cas.

– Vous aviez prévu que je refuserais la grâce de ces messieurs?

– Assurément, et toutes mes mesures étaient prises en conséquence.

– Qu’entendez-vous dire? s’écria le roi surpris.

– M. d’Herblay venait, pour ainsi dire, se livrer en mes mains. M. d’Herblay me laissait le bonheur de sauver mon roi et mon pays. Je ne pouvais condamner M. d’Herblay à la mort. Je ne pouvais non plus l’exposer au courroux très légitime de Votre Majesté. C’eût été la même chose que de le tuer moi-même.

– Eh bien! qu’avez-vous fait?

– Sire, j’ai donné à M. d’Herblay mes meilleurs chevaux, et ils ont quatre heures d’avance sur tous ceux que Votre Majesté pourra envoyer après lui.

– Soit! murmura le roi; mais le monde est assez grand pour que mes coureurs gagnent sur vos chevaux les quatre heures de gain que vous avez données à M. d’Herblay.

– En lui donnant ces quatre heures, Sire, je savais lui donner la vie. Il aura la vie.

– Comment cela?

– Après avoir bien couru, toujours en avant de quatre heures sur vos mousquetaires, il arrivera dans mon château de Belle-Île, où je lui ai donné asile.

– Soit! mais vous oubliez que vous m’avez donné Belle-Île.

– Pas pour faire arrêter mes amis.

– Vous me le reprenez, alors?

– Pour cela oui, Sire.

– Mes mousquetaires le reprendront, et tout sera dit.

– Ni vos mousquetaires ni même votre armée, Sire dit froidement Fouquet. Belle-Île est imprenable.

Le roi devint livide, un éclair jaillit de ses yeux. Fouquet se sentit perdu; mais il n’était pas de ceux qui reculent devant la voix de l’honneur. Il soutint le regard envenimé du roi. Celui-ci dévora sa rage, et, après un silence:

– Allons-nous à Vaux? dit-il.

– Je suis aux ordres de Votre Majesté, répliqua Fouquet en s’inclinant profondément; mais je crois que Votre Majesté ne peut se dispenser de changer d’habits avant de paraître devant sa cour.

– Nous passerons par le Louvre, dit le roi. Allons.

Et ils sortirent devant Baisemeaux effaré, qui, une fois encore, regarda sortir Marchiali, et s’arracha le peu de cheveux qui lui restaient.

Il est vrai que Fouquet lui donna décharge du prisonnier et que le roi écrivit au-dessous: Vu et approuvé: Louis; folie que Baisemeaux, incapable d’assembler deux idées, accueillit par un héroïque coup de poing qu’il se bourra dans les mâchoires.

Chapitre CCXXX – Le faux roi

Cependant, à Vaux, la royauté usurpatrice continuait bravement son rôle.

Philippe donna ordre qu’on introduisît pour son petit lever les grandes entrées, déjà prêtes à paraître devant le roi. Il se décida à donner cet ordre, malgré l’absence de M. d’Herblay, qui ne revenait pas, et nos lecteurs savent pour quelle raison. Mais le prince, ne croyant pas que cette absence pût se prolonger, voulait, comme tous les esprits téméraires, essayer sa valeur et sa fortune, loin de toute protection, de tout conseil.

Une autre raison l’y poussait. Anne d’Autriche allait paraître; la mère coupable allait se trouver en présence de son fils sacrifié. Philippe ne voulait pas, s’il avait une faiblesse, en rendre témoin l’homme envers lequel il était désormais tenu de déployer tant de force.

Philippe ouvrit les deux battants de la porte, et plusieurs personnes entrèrent silencieusement. Philippe ne bougea point tant que ses valets de chambre l’habillèrent. Il avait vu, la veille, les habitudes de son frère. Il fit le roi, de manière à n’éveiller aucun soupçon.

Ce fut donc tout habillé, avec l’habit de chasse, qu’il reçut les visiteurs. Sa mémoire et les notes d’Aramis lui annoncèrent tout d’abord Anne d’Autriche, à laquelle Monsieur donnait la main, puis Madame avec M. de Saint-Aignan.

Il sourit en voyant ces visages, et frissonna en reconnaissant sa mère.

Cette figure noble et imposante, ravagée par la douleur, vint plaider dans son cœur la cause de cette fameuse reine qui avait immolé un enfant à la raison d’État. Il trouva que sa mère était belle. Il savait que Louis XIV l’aimait, il se promit de l’aimer aussi, et de ne pas être pour sa vieillesse un châtiment cruel.

Il regarda son frère avec un attendrissement facile à comprendre. Celui-ci n’avait rien usurpé, rien gâté dans sa vie. Rameau écarté, il laissait monter la tige, sans souci de l’élévation et de la majesté de sa vie. Philippe se promit d’être bon frère, pour ce prince auquel suffisait l’or, qui donne les plaisirs.

Il salua d’un air affectueux Saint-Aignan, qui s’épuisait en sourires et révérences, et tendit la main en tremblant à Henriette, sa belle-sœur, dont la beauté le frappa. Mais il vit dans les yeux de cette princesse un reste de froideur qui lui plut pour la facilité de leurs relations futures.

«Combien me sera-t-il plus aisé, pensait-il, d’être le frère de cette femme que son galant, si elle me témoigne une froideur que mon frère ne pouvait avoir pour elle, et qui m’est imposée comme un devoir.»

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