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D’un éclat de rire trop bruyant pour être bien sincère, Louis interrompit son neveu.

– Comme tu prends feu tout à coup, dit-il; tu la hais donc bien, cette belle, cette ravissante Madeleine?

– C’est elle qui nous perdra.

– Sois franc, es-tu bien sûr de ne la pas aimer?

Si claire que fût la nuit, Louis ne put voir le mouvement de colère qui contracta les traits de Raoul.

– Je n’ai jamais aimé que la dot, répondit-il.

– Alors, de quoi te plains-tu? Ne t’en dois-je pas la moitié, de cette dot? Tu auras l’argent sans la femme, les bénéfices sans les charges.

– Je n’ai pas cinquante ans passés, moi, fit Raoul, avec une nuance de fatuité.

– Assez, interrompit Louis, il a été convenu, n’est-ce pas, le jour où je suis allé t’arracher à la plus affreuse des misères, que je resterais le maître.

– Pardon! tu oublies que ma vie, ou ma liberté, à tout le moins, est sur le jeu. Tiens les cartes, mais laisse-moi te conseiller.

Longtemps encore les deux complices restèrent à étudier et à discuter la situation, et il était plus de minuit lorsque Louis songea qu’en s’attardant davantage il risquerait de s’attirer des questions embarrassantes.

– Ne raisonnons pas dans le vide, dit-il à Raoul. Je suis de ton avis; les choses sont telles qu’il est urgent de prendre un parti. Mais je ne sais pas me décider au pied levé. Demain, à cette heure, sois ici, j’aurai arrêté notre plan.

– Soit, à demain.

– Et pas d’imprudence d’ici là!

– Mon costume, ce me semble, doit te dire assez que je ne tiens pas à me montrer. J’ai arrangé, à Paris, un alibi si ingénieux que je défie qui que ce soit de prouver – judiciairement parlant – que j’ai quitté ma maison du Vésinet, J’ai poussé les précautions si loin que j’ai voyagé en troisièmes, et on y est terriblement mal. Allons, adieu! je regagne mon auberge.

Il s’éloigna sur ces mots sans paraître se douter qu’il venait d’éveiller dans le cœur de son complice bien des soupçons.

Pendant le cours de sa vie aventureuse, Clameran avait assez organisé «d’affaires» pour savoir au juste quelle somme de confiance on doit accorder à des complices tels que Raoul. Les coquins ont leur probité à eux, c’est connu, d’aucuns la mettent bien au-dessus de celle des honnêtes gens, mais cette probité n’est jamais, après «le coup», ce qu’elle était avant. C’est au moment du partage que les difficultés surgissent.

L’esprit défiant de Clameran entrevoyait déjà mille sujets de craintes et de querelles.

– Pourquoi, se demandait-il, Raoul s’est-il si soigneusement caché pour venir ici? Pourquoi cet alibi à Paris? Me tendrait-il un piège? Je le tiens, c’est vrai; mais, de mon côté, je suis absolument à sa merci. Toutes ces lettres que je lui écris, depuis que je suis chez Gaston, sont autant de preuves contre moi! Songerait-il à se révolter, à se débarrasser de moi, à recueillir seul les profits de notre entreprise?

Cette nuit encore, Louis ne ferma pas l’œil; mais au matin sa résolution était prise, et c’est avec une fébrile impatience qu’il attendit le soir.

Si puissant était son désir d’en finir, si vive était la tension de sa pensée, qu’il ne put réussir à être ce jour-là ce qu’il était les autres jours.

À plusieurs reprises, son frère, le voyant sombre et préoccupé, lui demanda:

– Qu’as-tu? es-tu souffrant? Me cacherais-tu quelque inquiétude?

Enfin le soir vint, et Louis put rejoindre Raoul, qu’il trouva étendu sur l’herbe et fumant, dans ce champ où ils s’étaient entrevus la nuit précédente.

– Eh bien! demanda Raoul en se levant, es-tu enfin décidé?

– Oui. J’ai deux projets dont je crois le succès infaillible.

– Je t’écoute.

Louis parut réfléchir, en homme qui veut présenter sa pensée le plus clairement et le plus brièvement possible.

– Mon premier plan, commença-t-il, dépend de ton acceptation. Que dirais-tu si je te proposais de renoncer à l’affaire?

– Oh!…

– Consentirais-tu à disparaître, à quitter la France, à retourner à Londres, si je te donnais une forte somme?

– Encore faut-il la connaître, cette somme.

– Je puis te donner cent cinquante mille francs.

Raoul haussa les épaules.

– Oncle respecté, dit-il, je vois avec douleur que tu ne me connais pas, oh! pas du tout. Tu ruses avec moi, tu dissimules, et ce n’est ni généreux ni adroit. Ce n’est pas généreux, parce que c’est trahir nos conventions; ce n’est pas adroit, parce que – mets-toi bien cela dans la tête – je suis aussi fort que toi.

– Je ne te comprends plus.

– Tant pis; je m’entends, moi, et cela suffit. Oh! je te connais, mon oncle, je t’ai étudié avec les yeux de l’intérêt, qui sont bons; j’ai tâté le fond de ton sac. Si tu m’offres ainsi cent cinquante mille francs, c’est que tu as la certitude de rafler un million.

Clameran essaya le geste de protestation indignée d’un honnête homme méconnu.

– Tu déraisonnes, essaya-t-il.

– Point. C’est d’après le passé que je juge l’avenir. Des sommes arrachées à madame Fauvel – contre mon gré, souvent – qu’ai-je reçu? la dixième partie, à peine.

– Mais nous avons un fonds de réserve…

– Qui est entre tes mains, cher oncle, c’est très vrai. De telle sorte que si demain la mèche était éventée, tu sauverais la caisse, et que moi, faute d’argent, j’irais faire un tour en police correctionnelle.

Ces reproches parurent désoler Louis.

– Ingrat! murmura-t-il! ingrat!…

– Bravo! reprit Raoul, tu as bien dit ce mot. Mais trêve de sornettes; veux-tu que je te prouve que tu me trompes?

– Si tu le peux…

– Soit. Tu m’as dit que ton frère n’avait qu’une modeste aisance, n’est-ce pas! Eh bien! Gaston a soixante mille livres de rentes au bas mot. Ne nie pas. Que vaut sa propriété ici? Cent mille écus. Combien en a-t-il chez monsieur Fauvel? Quatre cent mille francs. Total, sept cent mille francs. Est-ce tout ce qu’il possède? Non, car le receveur particulier d’Oloron a été chargé de lui acheter des rentes. Tu vois que je n’ai pas perdu ma journée.

C’était si net, si précis, que Louis n’essaya pas de répondre.

– Que diable! poursuivait Raoul, quand on se mêle de commander on devrait bien tâter ses forces. Tu as eu, nous avons eu entre les mains la plus belle partie du monde, qu’en as-tu fait?

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