Même, elle remarqua fort bien que cette maladie semblait avoir été déterminée par la visite d’un personnage à figure sévère, qui était resté longtemps seul avec sa tante.
Madeleine pressentait si bien un secret que, le second jour, voyant Mme Fauvel plus inquiète, elle osa lui dire:
– Tu es triste, chère tante, qu’as-tu? parle-moi, veux-tu que je fasse prier notre cher curé de venir causer avec toi?
C’est avec une aigreur bien surprenante chez elle, qui était la douceur même, que Mme Fauvel repoussa la proposition de sa nièce.
Ce que Louis avait prévu arrivait.
À la réflexion, ne voyant nulle issue à sa déplorable situation, Mme Fauvel, peu à peu, se déterminait à céder. En consentant à tout, elle avait une chance de tout sauver. Elle ne s’abusait pas, elle comprenait bien qu’elle se préparait une vie impossible, mais au moins elle souffrirait seule, et dans tous les cas elle gagnerait du temps.
Cependant, M. Fauvel était de retour, et Valentine, en apparence du moins, avait repris ses habitudes.
Mais ce n’était plus l’heureuse mère de famille, la femme au visage souriant et reposé, si assurée en son bonheur, si calme en face de l’avenir. Tout en elle décelait d’horribles inquiétudes.
Sans nouvelles de Clameran, elle l’attendait, pour ainsi dire, à chaque minute du jour, tressaillant à chaque coup de sonnette, pâlissant toutes les fois que la porte s’ouvrait, n’osant sortir dans la crainte qu’il ne se présentât en son absence. Le condamné à mort qui chaque matin en s’éveillant, se dit: sera-ce pour aujourd’hui? n’a pas de plus épouvantables angoisses.
Clameran ne vint pas, il écrivit, ou plutôt, comme il était trop prudent pour préparer des armes contre lui, il fit écrire un billet, dont seule Mme Fauvel pouvait connaître le sens, et où, se disant malade, il s’excusait d’être forcé de lui donner rendez-vous pour le surlendemain chez lui, à l’hôtel du Louvre.
Cette lettre fut presque un soulagement pour Mme Fauvel. Elle en était à tout préférer à ses anxiétés. Elle était résolue à consentir à tout.
Elle brûla donc la lettre en se disant: j’irai.
Le surlendemain, en effet, à l’heure indiquée, elle mit la plus simple de ses robes noires, celui de ses chapeaux qui lui cachait le mieux le visage, glissa dans sa poche une voilette et sortit.
Ce n’est que fort loin de chez elle qu’elle osa prendre un fiacre qui la déposa devant l’hôtel du Louvre.
La chambre de M. le marquis Louis de Clameran était, lui dit le concierge, au troisième étage.
Elle s’élança, heureuse d’échapper à tous les regards qui lui semblaient s’attacher à elle; mais, en dépit de minutieuses indications, elle se perdit dans l’immense hôtel et longtemps erra dans les interminables corridors.
Enfin elle arriva devant une porte au-dessus de laquelle était le numéro indiqué: 317.
Elle s’arrêta, appuyant ses deux mains sur sa poitrine, comme pour comprimer les palpitations de son cœur qui battait à se briser.
Au moment d’entrer, au moment de risquer cette démarche décisive, une frayeur immense l’envahissait au point de paralyser ses mouvements.
La vue d’un locataire de l’hôtel qui traversait le corridor mit fin à ses hésitations.
D’une main tremblante, elle frappa trois coups bien légers.
– Entrez, dit une voix.
Elle entra.
Mais ce n’était pas le marquis de Clameran qui était au milieu de cette chambre, c’était un tout jeune homme, presque un enfant, qui la regardait d’un air singulier.
La première impression de Mme Fauvel fut qu’elle se trompait.
– Je vous demande pardon, monsieur, balbutia-t-elle, plus rouge qu’une pivoine, je croyais entrer chez monsieur le marquis de Clameran.
– Vous êtes chez lui, madame, répondit le jeune homme.
Et voyant qu’elle ne disait mot, qu’elle semblait se demander comment se retirer, comment s’enfuir, il ajouta:
– C’est, je crois, à madame Fauvel que j’ai l’honneur de parler?
De la tête, elle fit un signe affirmatif: oui. Elle frémissait d’entendre son nom ainsi prononcé, elle était épouvantée par cette certitude qu’on la connaissait, que Clameran avait déjà livré son secret.
C’est avec une anxiété visible qu’elle attendait une explication.
– Rassurez-vous, madame, reprit le jeune homme, vous êtes en sûreté ici autant que dans le salon de votre hôtel. Monsieur de Clameran m’a chargé pour vous de ses excuses; vous ne le verrez pas.
– Cependant, monsieur, d’après une lettre pressante qu’il m’a fait tenir avant-hier, je devais supposer… je supposais…
– Lorsqu’il vous a écrit, madame, il avait des projets auxquels il a renoncé pour toujours.
Mme Fauvel était bien trop surprise, bien trop troublée pour pouvoir réfléchir. Hors le moment présent, elle ne discernait rien.
– Quoi! fit-elle avec une certaine défiance, ses intentions sont changées?
La physionomie du jeune interlocuteur de Mme Fauvel trahissait une sorte de compassion douloureuse, comme s’il eût reçu le contre-coup de toutes les angoisses de la malheureuse femme.
– Le marquis, prononça-t-il, d’une voix douce et triste renonce à ce qu’il considérait – à tort – comme un devoir sacré. Croyez qu’il a longtemps hésité avant de se résigner à aller vous demander le plus pénible des aveux. Vous l’avez repoussé, vous deviez refuser de l’entendre, il n’a pas compris quelles impérieuses raisons dictaient votre conduite. Ce jour-là, aveuglé par une injuste colère, il avait juré d’arracher à l’effroi ce qu’il n’obtenait pas de votre cœur. Résolu à menacer votre bonheur, il avait amassé contre vous de ces preuves qui font éclater l’évidence. Pardonnez… un serment juré à un frère mourant le liait.
Il avait pris sur la cheminée une liasse de papiers qu’il feuilletait tout en parlant.
– Ces preuves, poursuivait-il, les voici, flagrantes, irrécusables. Voici le certificat du révérend Sedley, la déclaration de mistressi Dobbin, la fermière, une attestation du chirurgien, les dépositions des personnes qui ont connu à Londres madame de La Verberie. Oh! rien n’y manque. Toutes ces preuves, ce n’est pas sans peine que je les ai arrachées à monsieur de Clameran. Peut-être avait-il pénétré mes intentions, et voici, madame, ce que je voulais faire de ces preuves.
D’un mouvement rapide il lança dans le feu tous les papiers, ils s’enflammèrent et bientôt ne furent plus qu’une pincée de cendres.
– Tout est détruit, madame, reprit-il, l’œil brillant des plus généreuses résolutions. Le passé, si vous le voulez, est anéanti comme ces papiers. Si quelqu’un, à cette heure, ose prétendre qu’avant votre mariage vous avez eu un fils, traitez-le hardiment de calomniateur. Il n’y a plus de preuves, vous êtes libre.