Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Elle reçut beaucoup, se permit de fréquents voyages dans les villes voisines, à Nîmes, à Avignon; elle fit venir de Paris des toilettes superbes, et donna carrière à son goût pour la bonne chère. Tout ce qu’elle avait si longtemps attendu de la munificence d’un gendre amoureux, elle se l’accorda. Il faut des consolations aux grandes douleurs!…

Le malheur est que ce semblant de luxe coûtait cher, très cher.

Après avoir vendu le reste de ses rentes, la comtesse emprunta sur le domaine de La Verberie d’abord, puis sur le château lui-même.

Et, en moins de quatre ans, elle en était arrivée à devoir plus de quarante mille francs et à ne plus pouvoir payer les intérêts de sa dette.

Elle commençait à ne plus trop savoir où donner de la tête, le fantôme de l’expropriation se tenait, la nuit, au pied de son lit, quand le hasard daigna venir à son secours.

Depuis un mois environ un jeune ingénieur, chargé d’études de rectification sur le Rhône, avait fait du village qui touche La Verberie son centre d’opérations.

Comme il était jeune, spirituel, fort bien de sa personne, il avait été d’emblée accepté par la société des environs, et souvent la comtesse le rencontrait dans les maisons où elle allait le soir faire sa partie.

Ce jeune ingénieur se nommait André Fauvel.

Ayant remarqué Valentine, il l’étudia attentivement, et, peu à peu, il s’éprit de cette jeune fille au maintien réservé, aux grands yeux tristes et doux, qui, dans cette galerie d’ancêtres, resplendissait comme un rosier en fleur au milieu d’un paysage d’hiver.

Il ne lui avait pas encore adressé la parole, que déjà il l’aimait.

Il était relativement riche; une carrière magnifique s’ouvrait devant lui, il se sentait l’initiative qui fait les millionnaires, il était libre… Il se jura que Valentine serait sa femme.

C’est à une vieille amie de La Verberie, noble, autant qu’une Montmorency, et pauvre, plus que Job, qu’il confia tout d’abord ses intentions matrimoniales.

Avec la précision d’un ancien élève de l’École polytechnique, il avait énuméré tous les avantages qui faisaient de lui un gendre phénix.

Longtemps la vieille dame l’écouta, sans l’interrompre. Mais, lorsqu’il eut fini, elle ne lui cacha pas combien ses prétentions lui semblaient outrecuidantes.

Quoi! lui, un garçon qui n’était pas né, un… Fauvel, géomètre ou arpenteur de son état, il se permettait d’aspirer à la main d’une La Verberie!

Avec une véhémence particulière, elle insista sur ces considérations d’un ordre supérieur. Heureusement, ce chapitre épuisé, elle en vint au positif.

– Cependant, ajouta-t-elle, il se peut que vous ne soyez pas éconduit. La situation de la comtesse est des plus embarrassées, elle doit à Dieu et à ses saints, la chère dame, les huissiers la visitent souvent, de sorte que… vous comprenez, si un jeune homme se présentait, animé d’intentions honnêtes et ayant du bien… eh! eh! je ne sais ce qui arriverait.

André Fauvel était jeune, les insinuations de la vieille dame lui semblèrent monstrueuses.

À la réflexion, cependant, lorsqu’il eut consulté, lorsqu’il se fut, surtout, donné la peine d’étudier l’esprit de la noblesse des environs, riche exclusivement de préjugés, il comprit que des considérations pécuniaires seraient seules assez fortes pour décider haute et puissante dame de La Verberie à lui accorder la main de sa fille.

Cette certitude dissipant ses hésitations, il ne songea plus qu’à se ménager un moyen de poser adroitement sa candidature.

Ce n’est pas que la chose lui parût aisée. S’en aller chercher femme son argent à la main répugnait fort à sa délicatesse et renversait toutes ses idées. Mais il ne connaissait dans le pays personne à qui se fier et son amour était assez grand pour le faire passer, les yeux fermés, sur toutes les répugnances.

L’occasion qu’il attendait de s’expliquer, sinon catégoriquement, au moins d’une façon claire et transparente, se présenta elle-même.

Comme il entrait, un soir, dans un hôtel de Beaucaire, pour dîner, il aperçut Mme de La Verberie qui allait se mettre à table. Tout en rougissant jusqu’aux oreilles, il lui demanda la permission de s’asseoir près d’elle, permission qui lui fut accordée avec un sourire des plus encourageants.

La comtesse soupçonnait-elle l’amour du jeune ingénieur? avait-elle été prévenue par son amie? Il est permis d’en douter.

Toujours est-il que, sans laisser à André la peine d’arriver, de transitions en transitions, jusqu’au sujet qui lui tenait si fort au cœur, elle commença dès le potage à se plaindre de la dureté des temps, de la rareté de l’argent et de l’insolence et de l’âpreté au gain des gens d’affaires.

La vérité est qu’elle était venue à Beaucaire pour un emprunt, qu’elle avait trouvé toutes les caisses cadenassées, et que son notaire lui conseillait une vente amiable de ses terres.

La colère, ce secret instant des situations qui est le sixième sens des femmes de tout âge, lui déliant la langue, elle fut, avec ce jeune homme presque inconnu, plus expansive qu’avec les gens de sa société la plus intime. Elle dit l’horreur de sa situation, sa gêne, les inquiétudes de l’avenir, et par-dessus tout, la douleur qu’elle éprouvait de ne savoir comment marier sa chère fille.

Lui, écoutait ces doléances infinies avec une figure de circonstance, mais intérieurement il était ravi.

Aussi, sans laisser finir la vieille dame, se mit-il à exposer ce qu’il appela sa façon d’envisager la position.

Après avoir plaint considérablement la comtesse, il avoua qu’il ne s’expliquait aucunement ses inquiétudes.

Quoi! elle était tourmentée de l’idée de n’avoir pas de dot à donner à sa fille! Mais Mlle Valentine était de celles dont la noblesse et la beauté sont un apport des plus enviables.

Il connaissait, pour sa part, plus d’un homme qui s’estimerait trop heureux que Valentine voulût bien accepter son nom, et qui se ferait un devoir – devoir bien doux – d’enlever à sa mère tout sujet de souci.

En définitive, la situation de la comtesse ne lui semblait pas si mauvaise qu’elle voulait bien dire. Que faudrait-il, pour la libérer, pour dégrever absolument le domaine de La Verberie? Une quarantaine de mille francs, peut-être? En vérité, ce ne serait pas une somme.

D’ailleurs, ce ne serait pas un cadeau que ferait là ce gendre, mais une avance. Est-ce que le domaine et le château de La Verberie ne lui reviendraient pas, tôt ou tard, augmentés par la constante plus-value des terres?

Et ce n’est pas tout. Jamais un homme aimant Valentine ne laisserait la mère de sa femme privée du bien-être dû à son âge, à sa noblesse et à ses malheurs.

Il s’empresserait donc d’ajouter à des revenus insuffisants de quoi se procurer, non seulement le nécessaire, mais encore le superflu.

68
{"b":"100543","o":1}