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– Mais le premier moment est passé, madame, vous êtes mère, vous êtes chrétienne, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Mon devoir, à moi, est de sauver votre fille et son enfant, et je les sauverai. Je reviendrai demain…

Mme de La Verberie ne pouvait laisser le docteur s’éloigner ainsi. Elle l’arrêta d’un geste, et sans réfléchir qu’elle se trahissait, qu’elle avouait, elle s’écria:

– Quoi! monsieur, prétendez-vous donc m’empêcher de faire tout au monde pour tenir secret l’affreux malheur qui me frappe! Faut-il que notre honte devienne publique, voulez-vous nous condamner à être la fable et la risée du pays!

Le docteur fut un moment sans répondre, il réfléchissait, la situation était grave.

– Non, madame, dit-il enfin, je ne saurais vous empêcher de quitter La Verberie, ce serait outrepasser mes droits. Mais il est de mon devoir de vous demander compte de l’enfant. Vous êtes libre, mais il vous faudra me donner des preuves qu’il vit, ou que du moins rien n’a été tenté contre lui.

Il sortit sur ces mots menaçants, et il était vraiment temps, la comtesse suffoquait de rage et de contrainte.

– L’insolent! s’écria-t-elle, l’impertinent! Oser faire la leçon à une femme de mon rang. Ah! si je n’étais pas à sa merci!

Mais elle y était et elle comprenait que cette fois, sans retour il lui fallait donner congé à ses chimères.

Plus de luxe à espérer désormais, plus de gendre millionnaire, plus de fortune pour la vieillesse, plus de voitures, de robes magnifiques, de fêtes où l’on joue gros jeu.

Elle mourrait ainsi qu’elle avait vécu, pauvre, besogneuse, condamnée à une médiocrité d’autant plus écœurante qu’elle n’aurait plus, pour l’aider à la subir, les perspectives d’un avenir meilleur.

Et c’était Valentine, qui la réduisait à cette extrémité. À cette idée, elle sentait s’allumer en elle contre sa fille une de ces haines qui ne pardonnent pas, que le temps avive au lieu de calmer. Elle souhaitait la voir morte, ainsi que cet enfant maudit.

Mais le regard écrasant du docteur était trop présent à sa mémoire pour penser seulement à rien tenter. Même, se décidant à monter près de sa fille, elle se contraignit à sourire, à prononcer quelques paroles affectueuses, puis la laissa à la garde de la dévouée Mihonne.

Pauvre Valentine! Elle avait été si rudement atteinte qu’il lui semblait sentir se tarir en elle les sources de la vie.

Cependant sa souffrance diminuait un peu. Aux grandes crises physiques ou morales, un engourdissement profond succède toujours, qui est presque exempt de douleurs. Quand elle avait la force de réfléchir, elle se disait: c’est fini, ma mère sait tout; je n’ai plus rien à redouter de sa colère; je ne puis qu’espérer et attendre mon pardon.

C’était là ce secret que Valentine n’avait pas voulu révéler à Gaston, comprenant bien que, le sachant, jamais il n’aurait consenti à s’éloigner d’elle. Or, elle voulait qu’il se sauvât, et la voix du devoir, en même temps, lui criait de rester. Et, à cette heure encore, elle ne se repentait pas d’être restée.

Son plus cruel souci était le souvenir de Gaston. Avait-il ou non réussi à s’embarquer? Comment le savoir? Depuis deux jours le docteur lui permettait de se lever, mais elle ne pouvait songer à sortir, à courir jusqu’à la cabane du père Menoul.

Par bonheur, le vieux patron fut intelligent, comme sait l’être le dévouement véritable.

Apprenant que la demoiselle du château était bien malade, il ne songea plus qu’au moyen de la rassurer sur le fort du fugitif. Il trouva plusieurs prétextes pour venir à La Verberie, et enfin réussit à voir Valentine. Ils n’étaient pas seuls, mais d’un regard le bonhomme fit entendre que Gaston n’avait plus rien à redouter.

Cette certitude fit plus pour la convalescence de Valentine que tous les remèdes, et peu après, le docteur, qui venait tous les jours depuis un mois et demi, déclara que la malade était en état de supporter les fatigues du voyage.

Ce moment, la comtesse l’attendait avec une indicible impatience. Déjà, pour que rien ne retardât le départ, elle avait vendu la moitié de ses rentes, et se disait qu’avec vingt-cinq mille francs, qui en étaient le prix, elle pouvait parer à toutes les éventualités. Depuis une quinzaine, elle allait répétant partout que, dès que sa fille irait mieux, elle partirait pour l’Angleterre, où la demandait un de ses parents, très vieux et encore plus riche.

Ce voyage, Valentine ne l’envisageait qu’avec terreur, et elle frissonna quand, le soir de la déclaration du docteur, sa mère lui dit:

– Nous partirons après-demain.

Après-demain!… Et Valentine n’avait trouvé nul moyen encore de faire savoir à Louis de Clameran que son frère n’était pas mort.

En cette extrémité, elle n’hésita pas à se confier à Mihonne, et la chargea d’une lettre pour Louis.

Mais la fidèle servante fit une course inutile. Le château de Clameran était désert; tous les domestiques avaient été congédiés, et M. Louis, qu’on appelait maintenant le marquis, avait quitté le pays.

Enfin on partit. Mme de La Verberie, se croyant sûre de Mihonne, se décidait à l’emmener, non sans lui avoir fait jurer sur l’Évangile, pendant la messe, au moment de l’élévation, un éternel secret.

C’est dans un petit village au-dessus de Londres que la comtesse alla s’installer avec sa fille et sa domestique, sous le nom de Mme Wilson.

Si elle avait choisi l’Angleterre, c’est qu’elle l’avait habitée longtemps, qu’elle en connaissait bien l’esprit et les mœurs, et qu’elle en parlait la langue comme la sienne.

Même, elle avait conservé des relations dans l’aristocratie, et souvent, le soir, elle sortait, dînait en ville ou allait au théâtre, prenant, en ces occasions, les précautions les plus humiliantes contre Valentine, qu’elle enfermait à double tour.

C’est dans cette triste et solitaire maison, qu’une nuit du mois de mai, Valentine de La Verberie mit au monde un fils. Il fut présenté au révérend de la paroisse, et inscrit sous les noms de Valentin-Raoul Wilson.

La comtesse avait d’ailleurs tout prévu, tout combiné.

Dans les environs du village, après bien des recherches, elle avait découvert une bonne grosse fermière qui, moyennant cinq cents livres (douze mille francs) consentait à se charger de l’enfant, promettant de l’élever comme les siens, de lui faire apprendre un état, et même de le pousser dans le monde s’il se conduisait bien.

Le petit Raoul lui fut donc livré quelques heures après sa naissance.

Cette femme ignorait le vrai nom de la comtesse, elle devait croire et elle croyait avoir affaire à une Anglaise. Il était donc plus que probable, il était certain que jamais l’enfant, devenu homme, ne parviendrait à découvrir le secret de sa naissance.

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