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– Et vous n’avez entendu aucun bruit cette nuit?

– Aucun! et cependant j’ai le sommeil si léger que, si parfois monsieur descend à la caisse lorsque je suis endormi, le bruit de ses pas me réveille.

– Monsieur Fauvel vient donc souvent à la caisse la nuit?

– Non, monsieur, très rarement, au contraire.

– Y est-il venu la nuit dernière?

– Non, monsieur, j’en suis parfaitement sûr, ayant à peine fermé l’œil à cause du café que j’avais bu avec le valet de chambre.

– C’est bien, mon ami, fit le commissaire de police, vous pouvez vous retirer.

Anselme sorti, M. Fanferlot reprit ses recherches. Il avait ouvert la porte du petit escalier du banquier.

– Où conduit cet escalier? demanda-t-il.

– À mon cabinet, répondit M. Fauvel.

– N’est-ce pas là, dit le commissaire, qu’on m’a conduit en arrivant?

– Précisément.

– J’aurais besoin de le voir, déclara M. Fanferlot, je voudrais étudier cette issue.

– Rien n’est si facile, fit avec empressement M. Fauvel; venez, messieurs, venez aussi, Prosper.

Le bureau particulier de M. André Fauvel est composé de deux pièces: d’abord le salon d’attente, somptueusement décoré; puis le cabinet de travail ayant pour tous meubles un immense bureau, trois ou quatre fauteuils de cuir, et, de chaque côté de la cheminée, un secrétaire et un cartonnier.

Ces deux pièces n’ont que trois portes: l’une est celle de l’escalier dérobé, l’autre donne dans la chambre à coucher du banquier; la troisième ouvre sur le vestibule du grand escalier, et c’est par cette dernière que sont introduits les clients et les visiteurs.

D’un coup d’œil, M. Fanferlot eut inventorié la pièce où se trouve le bureau. Il semblait dépité, en homme qui s’est flatté de l’espoir de saisir quelque indice et qui ne trouve rien.

– Voyons de l’autre côté, dit-il.

Aussitôt il passa dans le salon d’attente, suivi du banquier et du commissaire de police.

Prosper restait seul dans le cabinet de travail.

Si grand que fût le désordre de ses idées, il ne pouvait pas ne pas comprendre que de minute en minute sa situation s’aggravait.

Il avait demandé, il avait accepté la lutte avec son patron, cette lutte était engagée, et désormais il ne dépendait plus de sa volonté de la faire cesser ou d’en arrêter les conséquences.

Ils allaient maintenant combattre, sans trêve ni merci, utilisant toutes armes, jusqu’à ce que l’un des deux succombât, payant de son honneur sa défaite.

Aux yeux de la justice, quel serait l’innocent?

Hélas! le malheureux employé ne sentait que trop combien peu les chances étaient égales, et le sentiment de son infériorité l’accablait.

Jamais, non jamais, il n’aurait cru que son patron réaliserait ses menaces. Car enfin, dans un procès comme celui qui allait s’engager, M. Fauvel avait autant à risquer et bien plus à perdre que son commis.

Assis dans un fauteuil près de la cheminée, il s’abîmait dans les plus sombres réflexions, lorsque la porte de la chambre à coucher du banquier s’ouvrit.

Une jeune fille remarquablement belle parut sur le seuil.

Elle était assez grande, svelte, et son peignoir du matin, serré au-dessus des hanches par une cordelière de soie, faisait valoir toutes les richesses de sa taille. Brune, avec de grands yeux doux et profonds, son teint avait la pâleur mate et unie de la fleur du camélia blanc, et ses beaux cheveux noirs encore en désordre, échappant au léger peigne d’écaille qui les retenait, retombaient à profusion, en grappes bouclées, sur son cou du dessin le plus exquis.

C’était là cette nièce de M. André Fauvel, dont il avait parlé tout à l’heure: Madeleine.

En apercevant Prosper Bertomy dans ce cabinet où, probablement, elle croyait rencontrer son oncle seul, elle ne put retenir une exclamation de surprise:

– Ah!…

Prosper, lui, s’était levé comme s’il eut reçu un choc électrique. Ses yeux si complètement éteints brillèrent tout à coup, comme s’il eut entrevu une messagère d’espérance.

– Madeleine! prononça-t-il, Madeleine!

La jeune fille était devenue plus rouge qu’une pivoine. Elle semblait tout d’abord disposée à se retirer, elle fit même un pas en arrière; mais Prosper s’étant avancé vers elle, un sentiment plus fort que sa volonté l’emporta et elle lui tendit sa main qu’il prit et serra respectueusement.

Ils restèrent ainsi en présence, immobiles, oppressés; si émus que tous deux ils baissaient la tête, redoutant la rencontre de leurs regards; ayant tant de choses à se dire, que ne sachant comment commencer, ils se taisaient.

Enfin, Madeleine murmura d’une voix à peine intelligible:

– Vous, Prosper, vous!

Ces seuls mots rompirent le charme. Le caissier abandonna cette main si blanche qu’il tenait, et c’est du ton le plus amer qu’il répondit:

– Oui, c’est bien Prosper, votre compagnon d’enfance, soupçonné, accusé aujourd’hui du vol le plus lâche et le plus honteux; Prosper, que votre oncle vient de livrer à la justice, et qui, avant la fin de la journée, sera arrêté et jeté en prison.

Madeleine eut un geste du plus sincère effroi, ses yeux exprimèrent une compassion profonde.

– Grand Dieu! s’écria-t-elle, que voulez-vous dire?

– Quoi, mademoiselle, vous ne le savez pas? Madame votre tante, vos cousins ne vous ont rien dit?

– Rien. J’ai à peine vu mon cousin ce matin, et ma tante est si souffrante que je venais tout inquiète chercher mon oncle. Mais, de grâce, parlez, dites, que vous arrive-t-il?

Le caissier hésita. Peut-être eut-il l’idée d’ouvrir son cœur à Madeleine, de lui découvrir ses pensées les plus secrètes: un souvenir du passé, qui traversa son cœur, glaça sa confiance. Il secoua tristement la tête et dit:

– Merci, mademoiselle, de cette preuve d’intérêt, la dernière sans doute que je recevrai de vous; mais permettez-moi, en me taisant, de vous épargner un chagrin, de m’épargner la douleur de rougir devant vous.

Madeleine l’interrompit d’un geste impérieux.

– Je veux savoir, prononça-t-elle.

– Hélas! mademoiselle, répondit le caissier, vous n’apprendrez que trop tôt mon malheur et ma honte; et alors, oui, alors vous vous applaudirez de ce que vous avez fait.

Elle voulut insister; au lieu de commander, elle pria, mais la détermination de Prosper était prise.

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